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Critique de kielosa



Quinze ans avait l'auteure lorsque son pays, le Rwanda, fut ravagé par un génocide horrible. Et en dépit de cette horreur et en faisant abstraction des sentiments, Beata Umubyeyi Mairesse a réussi un parcours plus qu'étonnant : exemplaire ! L'année même du massacre des Tutsi, 1994, la jeune fille est partie pour la France où elle a enchaîné études et diplômes, l'IEP à Lille, la Sorbonne à Paris. Ce qui demande tout de même une merveilleuse force de caractère ! Par ailleurs, simultanément à ses études poussées, la jeune dame a été fort active dans des organisations à but non lucratif, comme à Bordeaux dans le domaine de la santé par exemple.

En 2015, Beata Umubyeyi Mairesse a publié son premier ouvrage "Ejo", et pendant les 4 ans qui ont suivi, elle a manifesté le même rythme élevé comme écrivaine qu'elle avait soutenu en tant qu'étudiante. En 2017, elle sort son second recueil de nouvelles "Lézardes" et cette année elle achève un double coup : un recueil de poésies "Après le progrès" et un roman "Tous les enfants dispersés". Ce dernier ouvrage a été fort bien accueilli sur Babelio et lui a valu d'être nommée pour divers prix littéraires, parmi lesquels celui de la Société des Gens de Lettres (SGDL).

Comme Belge j'ai suivi ce génocide, qui a fait entre 800.000 et un million de victimes, avec une grande attention du fait que le Rwanda, tout comme le Burundi à côté, a été, après la 1re guerre mondiale, sous mandat belge et qu'un de mes anciens instituteurs s'y trouvait comme missionnaire.

J'ai aussi lu plusieurs ouvrages sur le sujet : du Canadien, Gil Courtemanche, "Un dimanche à la piscine de Kigali" (2000) ; de la journaliste belge du quotidien Le Soir, Colette Braeckman "Rwanda : histoire d'un génocide" (1994) et la trilogie de Jean Hatzfeld "Récits des marais rwandais" (2000-2007). Un livre que j'ai commenté, le 14 août 2017, sur la question est de l'ancienne juge de la Cour de la Haye, la courageuse Suissesse Carla del Ponte : "La Traque, les criminels de guerre et moi".

L'originalité de cet ouvrage de notre écrivaine franco-rwandaise c'est qu'en 10 nouvelles et 6 lettres elle nous peint le "passé simple, le conditionnel présent et le futur" de quelques femmes du Rwanda. "Combien hier épuise, hante et bouleverse la vie des survivant(e)s du génocide... " comme elle précise dans un court avant-propos.
En l'espace d'à peine 141 pages, Beata Umubyeyi Mairesse nous trace un tableau extrêmement convaincant de la réalité psychologique que ce génocide a représentée et continue à signifier à ces femmes. Un peu plus loin, elle spécifie : "Nous sommes trop pleines d'amertume et de souffrances... "

Très souvent par des petites touches, l'auteure évoque cette réalité. Par exemple, la tante d'une protagoniste a été arrêtée sans raison et lorsqu'elle rentre au bout d'un certain temps refusait d'en parler et la nièce de conclure : "J'ai juste remarqué qu'elle était devenue insomniaque". En d'autres termes, l'ignominie de son expérience carcérale avait comme effet qu'il lui était impossible d'en formuler le moindre mot, mais d'en voir des flashbacks qui lui empêchaient de dormir.

Dans le même ordre d'idées ou plutôt de sentiments, il y a les Tutsi à qui le sommeil échappe à cause des messages atroces de haine qu'elles entendent toujours de l'infâme Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM), qui de juillet 1993 à juillet 1994, a répandu systématiquement une propagande virulente contre les Tutsi et les Hutus modérés. En fait, une incitation au génocide avec des slogans tels "Tuez tous les cafards". Durant la tuerie, la RTLM, surnommée "Radio Machette" ou "RTLMort", indiquait où les "cancrelats" ou les Tutsi se cachaient avec comme "conseil" : "Remplissez les fosses" ! le commandant des forces de l'ONU, le général canadien Roméo Dallaire, a proposé de bloquer l'émetteur, mais les États-Unis s'y sont opposés. Lire les mémoires de Dallaire "J'ai serré la main du diable : La faillite de l'humanité au Rwanda" (2004).
Parmi les condamnés pour planification du génocide figurait une femme, l'animatrice Valérie Bemeriki qui a eu perpète en 2009.

À la page 119, l'auteure fait dire à une de ses héroïnes : "Je crois que les seules disputes qu'il y ait jamais eues à la maison étaient dues à la radio". À sa fille, elle dit : "Tu n'as pas idée de ce que dit cette radio petite idiote ! Toi tu danses quand on veut te couper les jambes ?"

Parmi tant d'abomination, tout de même une phrase plus légère, en parlant d'une jeune fille férue de la mode : "Elle s'est fait éclaircir la peau avec des crèmes et des savons soi-disant parisiens - mais est-ce que les Parisiennes ne sont pas déjà blanches ?"
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