Comme disait Johnny, "noir c'est noir". Cette histoire en six chapitres concoctée par
Paul Jenkins (scénario), Jae Lee et Sean Phillips (dessin), ne fait, en effet, pas dans la dentelle côté ambiance. Axée sur Harvey Dent, alias Double-Face, elle nous propose de mettre en lumière (obscure) les tourments d'un des méchants les plus emblématique de l'univers de Batman. Pour l'anecdote, sachez que Double-Face, apparu en 1942 dans un épisode réalisé par Bob Kane et
Bill Finger, s'appelait initialement Harvey Kent. Ce n'est que dans les années 1950 que son nom serra rectifié en Dent, pour ne pas entraîner de confusion avec un autre Kent, un certain Clark, adepte des slips rouges.
Ainsi, dès le début, ce personnage semble avoir été marqué par le sceau de la dualité de l'âme humaine, tiraillée entre le bien et le mal. Tiraillement qui s'inscrit dans le parcours même de Harvey, qui passera de procureur incorruptible à criminel notoire (Nolan en fait d'ailleurs une belle illustration dans The Dark Knight).
Ça démarre dans une ambiance de polar très sombre, par une série de meurtres violents, impliquant des gens apparemment sans histoires. La police est désemparée mais peut, heureusement, compter sur les talents de détective du chevalier noir. Rapidement Dent, enfermé à l'asile d'Arkham, demande à rencontrer Batman...
Je vais directement abordé ce qui m'a déplu, ce qui ne sera pas long, à savoir une intrigue un peu convenu, déjà vue mille fois, notamment dans d'autres épisodes de Batman, sans grand suspens. Mais, finalement, elle n'est qu'un prétexte, et le but n'est pas de brouiller les pistes pour ménager la surprise de la découverte du coupable. le polar n'est que le cadre, mais la toile de fond est bien l'exploration du psychisme de Double-Face, le titre de l'histoire n'est donc absolument pas mensonger.
A l'aide de quelques flashbacks sur l'enfance de Dent,
Paul Jenkins nous brosse le portrait d'un meurtrier sans pitié mais qui, paradoxalement, se révèle émouvant, notamment dans la scène finale, magnifique confrontation à trois, entre les deux personnalités de Double-Face et Batman. Ainsi, contrairement à un énigmatique et insaisissable Joker, Jenkins fait de Dent un psychopathe plus proche de nous (pas trop quand même, reste où tu es Harvey), en nous proposant une origine à sa schizophrénie. Placée sous l'ombre tutélaire de
Stevenson et son Dr Jekyll et Mr Hyde, ce récit présente aussi, en creux, une réflexion sur la maladie mentale, ses possibilités de guérison et, par extension, sur
le normal et le pathologique comme dirait
Canguilhem. Ne sommes-nous pas, en effet, tous des criminels en puissance, dissimulant notre part d'ombre comme nous le pouvons ? L'histoire est aussi l'occasion de mettre en lumière la relation particulière, ambivalente, que Batman entretient avec Dent, empreinte de compassion et de pitié, très différente de celle qui le lie au Joker.
Au niveau du dessin, pas de surprise, on a affaire à un encrage noir, très noir, aussi bien dans les trois premier chapitres, dessinés par Jae Lee que dans les derniers, qui sont l'oeuvre de Phillips. Il est également à noter que la transition entre les deux artistes se fait tout en douceur (ce qui n'est pas toujours le cas lorsque plusieurs dessinateurs sont présents sur une histoire), les deux artistes nous offrant donc une continuité stylistique remarquable.
En bref, voici un récit qui mérite d'être découvert que l'on soit connaisseur ou pas de l'univers de Batman (même si c'est mieux de l'être pour apprécier les clins d'oeil aux épisodes marquants du chevalier noir, tels la mort de Jason Todd ou l'agression de Barbara Gordon par le Joker). En tout cas, les amateurs d'ambiances obscures, qui souhaitent regarder l'abîme en face devraient aimer. Qu'ils n'oublient pas que l'abîme les regarde aussi...