LE thermomètre marque 35 degrés à l'ombre. Paris est éclaboussé de soleil, le bitume se change en mastic. Adossés aux parapets des quais, les bouquinistes sont somnolents. Les passants font hâte vers leurs affaires, et, chapeau d'une main, de l'autre s'épongent le front. — Ombrelles déployées, les petites femmes, en toilettes admirablement transparentes, passent en voitures découvertes ; d'énormes cohortes d'Anglais annoncent la canicule, un employé municipal inonde la chaussée de torrents d'eau qui sèche aussitôt. — C'est l'été dans toute sa cruauté.
Rien ne résiste à la température ; ce ne sont que soupirs et plaintes, on fait queue aux fontaines Wallace comme jadis à une première de l'Ambigu, les Parisiens halètent comme des forgerons à l'enclume, les cerveaux cuisent au bain-marie dans leurs boîtes osseuses.
... Le long des quais, calmes, allègres, héroïques, quelques bouquineurs ambulent, munis d'un espoir réfrigérant.
Ô poètes et artistes , amants passionnés du beau, vous qui dansez sur la corde roide d'un budget fictif et qui jonglez avec les boules d'or de vos caprices, vous qui ne songez qu' à moelleusement capitonner l'existence selon votre guise, vous tous, compétiteurs de luxe, il vous sera aisé de me comprendre: – savez-vous rien de plus digne d'engendrer le spleen nébuleux que la vue de superbes collections d' objets d'art dispersés à votre nez, à votre barbe, par le sort railleur des enchères.
Gloire à toi, bouquin !– Gloire à toi, vieillard robuste si vaillamment cuirassé ! Gloire à toi , grandiose aventurier, philosophe Stoïcien, sublime mendiant , Diogène de la boîte à quatre sols, dont les faux Bibliophiles rougissent ! – Bouquin, pauvre bouquin, Christ de la bouquinerie, tant de fois vendu par autant de Judas Iscariote, tant de fois vilipendé, tant de fois crucifié, – Gloire à toi !
Ce fut avec un bonheur mêlé de reconnaissance, que je contemplai ce soir-là mes richesses, meubles anciens, statuettes, potiches, tableaux et gravures, tous ces jolis riens amassés avec patience ; ma Bibliothèque se dressait fièrement, comme orgueilleuse de son noble faix, et la vue de mes livres me rasséréna.
Je regardai avec joie mes chers livres, anthologie de ma passion ; je me surpris à détailler leurs charmes, à compulser leur beauté, à analyser leurs perfections ; je les caressai de l'oeil, je les eus volontiers embrassés, et mes sensations vaniteuses de Bibliophile vibrèrent avec intensité.
« Bouquins adorés, ô mes amis, vrais consolateurs de celui qui vous possède, que de jouissances vous versez dans nos coeurs et que barbare est celui qui vous méprise ! vous êtes toute la sagesse, la vie, le cerveau, la quintessence des siècles passés ; bouquins adorés, ô mes amis, je vous vénère à l' égal des Dieux ! »
"La fin des livres" d'Octave Uzanne