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Critique de michfred


Quel est le point commun entre Georges Bataille, Man Ray, Nush et Paul Eluard, Tanguy, Balthus, Louis Chavance, James Lord, Brassaï, Nicolas de Staël, Jacques Lacan et Picasso?

Deux yeux gris-verts, sombres et graves, un visage de médaille, un corps de déesse, un port de ...reine du Tibet, et surtout: des larmes.

La femme au chapeau rouge, aux gants ensanglantés. La femme-qui-pleure. Dora Maar.

Dora Maar, née Théodora Markovitch, croate, émigrée en Argentine, venue en France en plein essor du Surréalisme. Dora, la belle, Dora l'immense photographe surréaliste,Dora l'artiste moins connue, peintre de paysages presque abstraits de son cher Luberon,Dora la poétesse,Dora la Muse,Dora l'abandonnée, Dora la folle, Dora la mystique recluse du 4ème arrondissement.

De James Lord à Nicole Avril, en passant par Alicia Ortiz, Victoria Dexeus, Mary-Ann Caws, cette femme- qui- pleure, plus connue pour son statut de maîtresse de Picasso que pour elle-même, a suscité depuis une quinzaine d'années, bien des questions, bien des interprétations..bien des biographies.

Voici donc celle de Zoé Valdès.

Elle a choisi pour point de départ un voyage à Venise de Dora, en compagnie de deux amis homosexuels, auteurs et critiques d'art ,James Lord et Bernard Minoret, en 1958, longtemps après sa rupture avec Picasso, en 1944, et juste avant sa décision de se retirer du monde dans son appartement -mausolée du 4ème arrondissement, au 6 rue de Savoie.

le récit est un aller-retour constant entre le présent de ce voyage, vu par les différents protagonistes, James, Bernard ou Dora, et le passé qu'ont vécu, auprès de Picasso, James et surtout, bien sûr, Dora.

Mais le puzzle spatio-temporel se complique: Zoé Valdès elle-même se met en scène, elle rencontre Bernard puis James, avec la ferme intention d'obtenir d'eux le secret de la brusque rupture de Dora avec son passé,de comprendre le déclencheur mystérieux de cette réclusion volontaire de la fin de sa vie. entre religiosité et souvenirs.Déçue du résultat, elle devra se contenter de répondre elle-même à ces interrogations par le recours à la fiction...

Cette mise en abyme va très loin, puisque Valdès va jusqu'à nous raconter la "rencontre" muette et "adorante" qu'elle fait de son modèle, tous les jours, pendant de longues semaines, juste après son arrivée en France en tant qu'exilée du régime castriste- elle en avait été, il faut le dire aussi, une des figures de proue, artiste "officielle" et bien en cour...-

Ces "rencontres" de l'auteure et de son sujet -se succèdent selon le même rituel de muette adoration jusqu'au jour de la mort de Dora, foudroyée à 90 ans, par une attaque cérébrale, en pleine rue - un jour où , justement, Zoé Valdès avait manqué son rendez-vous rituel ..

Le personnage de Dora Maar était suffisamment dense, mystérieux, attachant, bouleversant sans s'encombrer de la présence invasive de l'écrivaine.

Elle s'identifie étrangement à son sujet, jusqu'à la dévoration, et jette sur les "grands noms" qu'elle évoque- Eluard, Picasso, Balthus, etc..- quelque chose de vénéneux, qui m'a mise, personnellement, très mal à l'aise.

Non pas qu'on doive traiter ces gloires artistiques avec une révérence obligatoire ni qu'il faille s'abstenir, à leur endroit, de tout saccage iconoclaste...Mais je n'ai pu m'empêcher de voir, dans son procédé d'écriture, une manière de phagocyter le réel, en le pillant et en le transformant au gré de ses propres fantasmes, et surtout, tant la désacralisation est rude, obscène même, d'y sentir une forme de médisance, de haine jalouse et féroce...

Ceux qui liront le livre me diront si je suis complètement parano ou si le livre de Zoé Valdès vampirise allègrement la pauvre Dora Maar pour nous parler..d'elle. J'ai pensé au dernier livre de Delphine de Vigan.. Valdès serait-elle une réincarnation de L. ?Mais à la différence de Delphine, jeune et bien vivante, Dora ne peut plus se défendre - ni Lord, ni Eluard, ni Picasso...

N'empêche qu'il me restera un gain inappréciable de cette lecture : la découverte des immenses talents de Dora Maar, l'artiste.

Ses gouaches et huiles magnifiques du Luberon, ses photos surréalistes, celles qu'elle prit de la création de "Guernica", valent largement qu'on lui consacre enfin une grande exposition, où elle ne serait plus là en tant que "maîtresse de" mais en tant que créatrice à part entière!!

Je remercie les éditions Arthaud et masse critique de Babélio d'avoir suscité, par cette lecture, mon désir d'en savoir plus sur Dora Maar, la femme et surtout l'artiste...
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