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Anne Plantagenet (Traducteur)
EAN : 9782251452210
420 pages
Les Belles Lettres (10/09/2021)
  Existe en édition audio
4.37/5   161 notes
Résumé :
Des champs de bataille d’Alexandre le Grand à la Villa des Papyrus après l’éruption du Vésuve, des palais de la sulfureuse Cléopâtre au supplice de la philosophe Hypatie, des camps de concentration à la bibliothèque de Sarajevo en pleine guerre des Balkans, mais aussi dans les somptueuses collections de manuscrits enluminés d’Oxford et dans le trésor des mots où les poètes de toutes les nations se trouvent réunis, Irene Vallejo nous fait découvrir la route parsemée ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (37) Voir plus Ajouter une critique
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Ce livre est un petit chef d'oeuvre, un trésor - de connaissances - , une pépite - d'anecdotes - , une merveille qui à sa place dans toute bibliothèque d'amoureux des livres et d'h(h)istoire(s), un joyau d'écriture qui renferme tant de réflexions toutes aussi éclairantes et érudites les unes que les autres. 

C'est un livre brillant. Qui nous en apprend sur ce qui fait la communauté des "babelionautes" : le livre et son histoire.
"La passion du collectionneur de livres ressemble à celle du voyageur. Toute bibliothèque est un voyage ; tout livre est un passeport sans date de péremption".

"Si un livre est un voyage, le titre sera la boussole et l'astrolabe de ceux qui s'aventurent sur ses chemins Cependant, il ne fut pas toujours là pour orienter les voyageurs. Les premiers récits, les plus anciens, arrivèrent au monde sans titre, ni nom". Alors petite explication sur son titre : il fait référence au roseau qui a constitué l'une des premières surfaces d'écriture, le papyrus. Le rouleau de papyrus représenta une fantastique avancée. Après des siècles de recherche de supports et d'écriture humaine sur de la pierre, de l'argile, du bois ou du métal, le langage découvrit finalement son foyer dans une matière vive. 

Le premier livre de l'Histoire est né quand les mots, à peine des bulles d'air, trouvèrent refuge dans la moelle d'une plante aquatique. Face à ses ancêtres inertes et rigides, le papyrus dès le départ un objet flexible, léger, prêt pour le voyage et l'aventure et quelle aventure !!!. 
Malheureusement, le papyrus était sujet à la destruction, qu'il s'agisse d'incendies, d'insectes ou de pillages. il faut considérer comme miraculeux, grâce à la passion, de nombreux lecteurs anonymes que des oeuvres aussi formidables, que les classiques aussi vulnérables, soient arrivées jusqu'à nous "en longeant le précipice des siècles".

La naissance de la philosophie grecque coïncide avec le début des livres. Face à la communication orale qui avait cours à cette époque, l'écriture permit de créer un langage complexe que les lecteurs pouvaient assimiler et méditer tranquillement. Développer un esprit critique est plus simple pour celui qui a un livre entre les mains — et peut interrompre sa lecture, relire, s'arrêter pour réfléchir — que pour l'auditeur captivé par un aède. 

Alors si vous voulez en savoir plus sur l'histoire du livre, en apprendre sur le rôle des Grecs et des Romains dans notre histoire d'amour mutuelle du livre, ce livre est fait pour vous.

Dans la première partie l'auteure s'intéresse à l'héritage des Grecs qui ont fait beaucoup en plus que de créer la démocratie. Leurs écrivains ont créé la base de la civilisation occidentale. 
Les philosophes : Platon, Aristote et Diogène ; 
les dramaturges : Euripide, Aristophane et Eschyle
les historiens : Hérodote, Plutarque, Xénophon et Thucydide
les romanciers : Achille Tatius, Longus ou Ésope et ses fables animales. 
Et n'oublions celui par qui tout aurait commencé Homère et qui est présent dans l'ouvrage comme un fil d'Ariane. 

Suit une galerie de portraits de personnages, de lieux ou d'inventions qui firent beaucoup pour cet objet que nous tenons en main, et pour la propagation du savoir :
- Tout d'abord un jeune homme du nom d'Alexandre a décidé qu'il voulait diriger le monde. Il l'a fait et a obtenu le nom de "le Grand". Il parcourait les routes d'Afrique et d'Asie sans se séparer de son exemplaire de l'Iliade, qu'il consultait, d'après les historiens, pour y glaner des conseils ou pour nourrir sa soif de grandeur. Pour Alexandre la lecture, comme une boussole, lui ouvrait les chemins de l'inconnu. 
- Ensuite un de ses généraux, un homme appelé Ptolémée, qui dirigeait l'Égypte, créa la première bibliothèque à Alexandrie. Pour la première fois, un endroit gardait plusieurs des grands « livres » en un seul endroit. Son bibliothécaire a même créé un système pour garder une trace de tous ces « livres ».
- Callimaque le père des bibliothécaires remplissant les premières fiches bibliographiques de l'Histoire — sûrement des tablettes. En s'inspirant des bibliothèques babyloniennes et assyriennes et de leurs méthodes d'organisation, mais il alla beaucoup plus loin que tous ses prédécesseurs. Il traça un atlas de tous les écrivains et de toutes les oeuvres. Il résolut des problèmes d'authenticité et de fausses attributions.
- Antiphon qui fut un véritable pionnier.Il avait appris que les discours, quand ils sont efficaces, peuvent agir puissamment sur l'état d'esprit des gens : ils bouleversent, réjouissent, passionnent, apaisent.Et qu'il fallait faire parler celui qui souffre sur les raisons de sa peine, car c'est en cherchant les mots que parfois on trouve le remède


Mais aussi des lieux, avec Alexandrie point de départ. Là, où l'argent des rois et l'engagement des savants permirent un grand travail de conservation et de protection. Les Grecs comprirent que les mots fragiles des livres étaient un héritage dont leurs enfants et petits-enfants auraient besoin pour expliquer la vie ; que quelque chose d'aussi éphémère — le dessin d'une bulle d'air, la vibration musicale de nos pensées — avait besoin d'être préservé en pensant aux générations futures ; que les histoires anciennes, légendes, contes et poèmes étaient le témoignage de quelques aspirations et d'une façon de saisir le monde qui refusait de mourir 

La vision des savants de la bibliothèque d'Alexandrie fut de comprendre qu'Antigone, Oedipe et Médée — ces êtres d'encre et de papyrus menacés par l'oubli — devaient voyager à travers les siècles ; que des millions de personnes pas encore nées ne pouvaient en être privées ; qu'ils inspireraient nos rébellions, nous rappelleraient combien certaines vérités peuvent être douloureuses, nous révéleraient nos plis les plus sombres ; qu'ils nous gifleraient chaque fois que nous serions trop fiers de notre condition d'enfants du progrès ; qu'ils resteraient importants pour nous. Pour la première fois, ils envisagèrent les droits des générations futures.

La seconde partie est consacrée aux Romains qui étaient doués pour l'appropriation. Romulus a "volé" la terre de son frère en tuant Remus. Les Romains ont "volé" les femmes des Sabines voisines et, ce faisant, ont créé un vaste empire, "volant" d'autres terres. Ils ont "volé" la terre des Grecs mais ont respecté leur littérature. Un bon aristocrate connaîtrait le grec et le latin. Mais avec leurs auteurs
Les poètes : Virgile, Ovide, Horace ;
les historiens : Tite-Live, Tacite ;
les orateurs : César, Cicéron ;
les dramaturges : Terence, Plaute, Sénèque ;
les  romanciers : Apulée
Même liste, mais personnes différentes.

Voler mais entre guillemets car pour la première fois, "une grande puissance ancienne assumait l'héritage d'un peuple étranger — et vaincu — comme un ingrédient essentiel de sa propre identité. Sans culpabilité, les Romains admirèrent la supériorité grecque et osèrent explorer leurs découvertes, les intérioriser, les protéger prolonger leur onde de choc. Cette entreprise de séduction a eu d'énormes conséquences pour nous tous. C'est là qu'a parut le fil qui unit notre présent au passé, et nous relie à un monde éteint magnifique. Au-dessus, comme des funambule les idées, les découvertes scientifiques, les mythes, les pensées, l'émotion, et aussi les erreurs et les misères de notre histoire marchent d'un siècle à l'autre. Nous avons appelé classiques toutes ces paroles en équilibre dans le vide. À cause de la fascination qu'elle exerce toujours sur nous, la Grèce survit comme le kilomètre zéro de la culture européenne."

Irene Vallejo a un talent brillant pour parler de toutes ces histoires gréco-romaines et les relier à notre monde contemporain.

Qu'est-ce qui empêche une histoire de sombrer dans l'oubli ? Quelqu'un crée une histoire, elle est copiée, traduite, vendue dans les librairies, stockée dans une bibliothèque, échangée, transportée à l'étranger, enseignée .

Ni le savoir ni toute la littérature ne tient dans un seul cerveau mais, grâce aux livres, chacun de nous trouve les portes ouvertes à tous les récits et à toutes les connaissances. On peut penser, comme l'avait prédit Socrate, que nous sommes devenus une poignée de prétentieux ignorants. Ou que, grâce aux lettres, nous faisons partie du cerveau le plus grand et le plus intelligent ayant jamais existé. « de tous les instruments de I'homme, le plus étonnant est, sans doute, le livre. Les autres sont des extensions de son corps. le microscope et le télescope sont des extensions de sa vue ; le téléphone est une extension de la voix; puis nous avons la charrue et l'épée, extensions de son bras. Mais le livre est différent : le livre est une extension de la mémoire et de l'imagination. »

Alors que les textes des anciennes civilisations tombaient dans l'oubli au fil des siècles et, dans le meilleur des cas, furent redéchiffrés bien longtemps plus tard, l'Iliade et L'Odyssée n'ont jamais cessé d'avoir des lecteurs. 

En Grèce commença une chaîne de transmission et de traduction qui ne s'est jamais brisée et a réussi à entretenir la possibilité de se souvenir et de converser à travers le temps, la distance et les frontières. Nous lecteurs d'aujourd'hui, nous pouvons nous sentir seuls, au milieu de la frénésie, quand nous cultivons nos lents rituels. Mais nous avons derrière nous une longue généalogie et nous ne devrions pas oublier que, sans nous connaître, nous avons participé, entre autres, à un fantastique sauvetage.

On doit aux livres la survie des plus belles idées fabriquées par l'espèce humaine, sans les livres, les plus belles choses de notre monde seraient tombées dans l'oubli et nous, LECTEURS, y participons, chaque jour en partageant nos critiques en relevant des citations qui nous marquent. Homère serait fier...

Tout comme Homère chantait des chansons à son public (comme le dit l'auteure : "Lire, c'est écouter de la musique faite de mots"). Tellement simple et basique. Nous enseignons aux autres à suivre nos traces, afin qu'ils puissent apprécier la lecture et transmettre cette passion des livres. Homère serait fier...
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Voici un livre sur l'histoire des livres.

Un de ces livres qui aurait pu commencer par « il était une fois », tant l'auteure nous embarque avec elle dans une épopée passionnante à travers l'Antiquité gréco-latine. Elle nous raconte l'histoire de l'alphabet et de l'écriture, des supports de celle-ci (de la pierre au papyrus en passant par les tablettes enduites de cire), l'histoire du livre en tant qu'objet (des rouleaux encombrants de papyrus aux premiers codex reliés par pages) et en tant que contenant (des livres de comptes aux livres de contes, en passant par la poésie, la fiction, les idées), et même l'histoire de la lecture, d'abord à voix haute pour un groupe de personnes puis silencieuse, pour soi-même.

L'écrit, qui nous paraît si évident et omniprésent aujourd'hui, a pourtant suscité la méfiance à ses débuts. Ainsi, Socrate était convaincu que le passage de l'oralité à l'écrit entraînerait paresse intellectuelle et atrophie de la mémoire. On se demande ce que le philosophe athénien aurait pensé aujourd'hui d'Internet et des GPS, par exemple.

Si l'écrit et les livres ont peut-être, d'une certaine manière, « figé » l'oralité, il n'en reste pas moins qu'ils l'ont aussi, paradoxalement, sauvée de la disparition. Sans leur retranscription laborieuse au fil des siècles, l'Iliade et l'Odyssée, les pensées de Platon, les vers d'Ovide seraient-ils arrivés jusqu'à nous ?

Des conquêtes d'Alexandre à l'obsession de la dynastie des Ptolémée à bâtir à Alexandrie une bibliothèque qui contiendrait tous les ouvrages du monde connu, de la Villa des Papyrus à Herculanum disparue sous la lave du Vésuve à la bibliothèque de Sarajevo détruite par les bombardements, « L'infini dans un roseau » est aussi une petite histoire de l'Humanité à travers le prisme de sa relation à la littérature.

L'ouvrage est dense, riche, foisonnant, très documenté, mais qu'on se rassure, il n'est jamais austère. Ce livre n'est pas un essai de philologie qui serait écrit dans une langue académique, objective et factuelle, bourré de données désincarnées rigoureusement exposées. La narration est chronologique, mais Irene Vallejo fait régulièrement des liens avec l'époque contemporaine, livre des réflexions, des hypothèses et des anecdotes personnelles. On y trouve aussi des touches d'humour (parfois ironique), de la fluidité et de la poésie dans l'écriture, et un bel équilibre entre érudition et vulgarisation. Mais surtout, Irene Vallejo nous partage sa passion pour les livres et la littérature, et rend compte de leur importance capitale dans la sauvegarde et la diffusion du savoir, des idées et des histoires à travers le temps et l'espace, malgré l'obscurantisme et la barbarie.

Un bel hommage aussi aux milliards d'anonymes à travers les siècles, comme vous, comme moi, qui contribuent à la transmission des messages infinis portés par les livres, convaincus du pouvoir de ceux-ci.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Depuis toute petite, Irene Vallejo baigne dans les livres grâce à sa mère qui lui lisait énormément d'histoires.
Et l'écriture et les livres sont devenus sa passion.
Alors, avec un courage pharaonique, c'est le cas de le dire, elle a entrepris ce livre.
Elle est remontée aux toutes premières origines de l'écriture et de la transmission.
Depuis l'Antiquité jusqu'aux tablettes numériques, il semblerait qu'elle n'ait rien oublié.
C'est un travail pharamineux qui laisse sans voix.
Quel dommage que je sois si ignare en histoire
Malgré cela, j'ai été passionnée et le fait qu'Irene Vallejo mêle des passages de sa vie personnelle et des faits et des références littéraires ou cinématographiques actuels, permet à une néophyte de mon espèce d'avoir suivi sans difficultés cette fabuleuse épopée de l'écriture, des livres et des bibliothèques.
J'admire énormément cette capacité à mener des recherches très précises et à conclure un livre si abouti.
On traverse à travers toutes les civilisations le long chemin qui nous a mené jusqu'aux lecteurs de babelio et de Navarre.
C'est une superbe aventure dans laquelle nous embarque l'auteure.
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Un essai érudit sur l'origine des livres à nos jours.
Nous suivons l'évolution de la littérature, de la narration orale jusqu'au numérique.
Symbole de puissance, d'une élite excluant le peuple, les femmes, les nations conquises mais dont, surprise, les copies et l'enseignement étaient confiés à des esclaves.
Objet de luttes avec des batailles pour posséder les plus majestueuses des bibliothèques.
L'auteure aborde la nature de l'objet, sa conception, son organisation, ses mouvement ou sa conservation mais surtout son impact sur les sociétés.
Il manque, selon moi, un chapitre dédié à l'imprimerie, absente de ce récit.
Et puis, le livre qui fait peur, qui doit être banni, les autodafés, les écrits clandestins, les romans cachés dans les camps ou les dictature ; emblème de liberté.
C'est dense, un peu long parfois, mais souvent passionnant.
Les livres ou l'histoire de l'humanité.
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" Les livres sont faits pour unir les hommes par delà la mort, et nous défendre contre l'ennemi le plus implacable de toute vie : la fugacité et l'oubli." (Stefan Zweig)
Voilà un formidable récit sur l'invention des livres dans l'Antiquité d'Irène Vallejo. Tout s'écrit à partir d'un roseau.
Les critiques sont d'ailleurs assez unanimes, excepté (comme l'a bien dit Laetitiaflagothier ici) le coté purement historique lié aux liens (?) entre Alexandre le Grand et à la bibliothèque d'Alexandrie.
Mais, ce livre est tellement agréable à lire et Irène Vallejo est tellement une formidable conteuse, qu'on lui pardonne.
Cet essai reste vraiment passionnant, malgré quelques longueurs parfois, et quelques manques de datation dans les nombreux propos à travers les différentes époques qu'elle nous fait vivre, et à travers les nombreux personnages qui parsèment l'histoire des livres, du livre.
Pour les amoureux des écrits, L Infini dans un roseau restera une référence
tant il est bourré d'anecdotes notamment sur les grecs et sur les romains bien sûr.
Le fait qu'elle parle d'elle aussi et de sa jeunesse ajoute une émotion particulière à cette lecture.
N'oublions pas, et elle nous le raconte, qu'au cours des époques passées lointaines et plus récentes, que certains ont brulé en masse des livres qui ne correspondaient pas à leur "vision" .
Le passé est là pour nous parler aujourd'hui, et ceux qui voudraient supprimer des livres ou déboulonner des statues feraient mieux de réfléchir.
"Sans les livres, les plus belles choses de notre monde seraient tombées dans l'oubli." conclut-elle.

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critiques presse (1)
LeDevoir
13 décembre 2021
N’hésitant pas à recourir à des anecdotes personnelles, conjuguant épisodes connus ou méconnus de l’Histoire, la philologue espagnole a compressé toute son érudition entre les pages de ce livre qui se lit comme un roman.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (79) Voir plus Ajouter une citation
Depuis les premiers siècles de l'écriture jusqu'au Moyen Age, la norme était de lire à voix haute, pour soi-même ou pour les autres, et les écrivains prononçaient les phrases à mesure qu'ils les écrivaient, pour entendre de cette manière leur musicalité. Les livres n'étaient pas une chanson qui se chantait dans la tête, comme maintenant, mais une mélodie qui bondissait sur les lèvres et résonnait à voix haute. Le lecteur devenait l'interprète qui lui prêtait ses cordes vocales. [...] Il ne faut pas imaginer les portiques des bibliothèques anciennes silencieux, mais envahis par les voix et les échos des rouleaux [de papyrus]. Sauf exception, les lecteurs de ces époques n'avaient pas la liberté dont tu [toi, le lecteur d'aujourd'hui] jouis pour lire à ta guise les idées ou les récits écrits dans les textes, pour faire une pause afin de réfléchir ou de rêver les yeux ouverts quand tu le souhaites, choisir et cacher ce que tu choisis, interrompre ou abandonner, créer tes propres univers. Cette liberté individuelle, la tienne, est une conquête de la pensée indépendante face à la pensée sous tutelle, et elle a été gagnée pas à pas au fil du temps.
C'est pourquoi sans doute, les premiers à lire comme toi, en silence, en conversation muette avec l'écrivain, attirèrent puissamment l'attention. Au IVè siècle, saint Augustin fut tellement étonné de voir l'évêque Ambroise de Milan lire ainsi qu'il le mentionna dans ses Confessions. C'était la première fois que quelqu'un faisait cela devant lui ce qui, manifestement, lui parut hors du commun. Quand il lit - nous raconte-t-il avec stupéfaction -, ses yeux parcourent les pages et son cerveau comprend ce qu'elles disent, mais sa langue se tait. Saint Augustin se rend compte que ce lecteur n'est pas à côté de lui, malgré sa grande proximité physique, mais qu'il s'est échappé dans un autre monde, plus libre et fluide, choisi par lui, qu'il voyage sans bouger et sans révéler à personne où il est. Ce spectacle lui sembla déconcertant et fascinant.
Tu es un type très particulier de lecteur/lectrice, et tu descends d'une généalogie de pionniers. Ce dialogue silencieux entre toi et moi, libre et secret, est une invention incroyable.
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[A propos de l'apparition de l'écriture:]
A l'époque de Socrate, les textes écrits n'étaient pas encore un outil habituel et ils suscitaient de la méfiance. On les considérait comme un succédané de la parole orale - légère, aérienne, sacrée. [...] Pour Socrate, les livres étaient des adjuvants de la mémoire et de la connaissance, mais il pensait que les vrais savants feraient mieux de s'en méfier. [...] Socrate craignait qu'à cause de l'écriture les hommes abandonnent la réflexion personnelle. Il craignait que grâce au support des lettres, on confie le savoir aux textes qu'on se contenterait d'avoir à portée de main, sans faire l'effort de les comprendre à fond. Ainsi, il ne s'agirait plus de connaissance propre, intégrée et indélébile, partie du bagage de chacun, mais d'un appendice extérieur. L'argument est subtil, et toujours d'actualité. Aujourd'hui nous sommes immergés dans une transition aussi radicale que l'alphabétisation grecque. Internet transforme l'utilisation de la mémoire et la mécanique même du savoir. [...] Les scientifiques appellent "effet Google" ce phénomène de relaxation de la mémoire. On a tendance à se souvenir mieux de l'endroit où est conservée une information que de l'information elle-même. Il est évident que la connaissance disponible est plus importante que jamais, mais presque tout est stocké en dehors de notre cerveau. Des questions inquiétantes surgissent: sous ce déluge de données, que reste-t-il de la connaissance? Notre mémoire paresseuse est-elle en train de devenir un carnet d'adresses où chercher une information, sans trace de l'information elle-même? Sommes-nous au fond plus ignorants que nos ancêtres à forte mémoire des anciens temps de l'oralité?
La grande ironie de toute cette affaire, c'est que Platon a expliqué le mépris du maître pour les livres dans un livre, conservant ainsi ses critiques de l'écriture pour nous, ses futurs lecteurs.
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Mais le défi est toujours d'actualité, comme le savent les professeurs de Louisville qui ont voulu effacer l'insultant "nigger" de l'oeuvre de Mark Twain. Les livres pour enfants et adolescents sont-ils des oeuvres littéraires complexes ou des manuels de bonne conduite? Un "Huckleberry Finn" assaini peut apprendre beaucoup aux jeunes lecteurs, mais il leur ôte un enseignement essentiel: il y eut une époque où presque tout le monde appelait ses esclaves "négros" et, à cause de cette histoire d'oppression, le mot est devenu tabou. Ce n'est pas en supprimant des livres tout ce qui nous paraît inapproprié qu'on éloignera les jeunes des mauvaises idées. En revanche, on les rendra incapables de les reconnaître. Contrairement à ce que croit Platon, les méchants sont un ingrédient crucial des contes traditionnels, pour que les enfants sachent que la méchanceté existe. Tôt ou tard, ils y seront confrontés (des brutes qui les harcèlent dans la cour de l'école aux tyrans génocidaires). [...]
Eprouver une certaine gêne fait partie de l'expérience de la lecture: il y a beaucoup plus de pédagogie dans l'inquiétude que dans le soulagement. On peut faire passer sur le billard et remodeler toute la littérature du passé, elle cessera alors de nous expliquer le monde. Si on s'aventure dans cette voie, il ne faudra pas s'étonner que les jeunes abandonnent la lecture et, comme le dit Santiago Roncagliolo, jouent à la PlayStation, où ils peuvent tuer un tas de gens sans que ça pose de problèmes à personne.
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Citation pour tous les lecteurs :

Parlons un instant de toi, qui lis ces lignes.
À présent, le livre ouvert entre les mains, tu te consacres à une activité mystérieuse et inquiétante, même si l'habitude t'interdit de t'étonner de ce que tu es en train de faire.
Réfléchis bien. Tu es silencieux/se, parcourant des yeux des rangées de lettres qui ont un sens pour toi et te communiquent des idées indépendantes du monde qui t'entoure en ce moment même.
Tu t'es retiré/e, pour ainsi dire, dans une pièce intérieure où on te parle de personnes absentes, c'est-à-dire de fantômes visibles seulement pour toi, et où le temps passe plus ou moins vite selon ton intérêt ou ton ennui.
Tu as créé une réalité parallèle semblable à l'illusion cinématographique, une réalité qui dépend juste de toi. Tu peux, à tout moment, détourner les yeux de ces paragraphes et retourner participer à l'action et au mouvement du monde extérieur.
Mals en attendant tu restes à la marge, où tu as choisi d’être,
Il y a une aura presque magique dans tout cela
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Victor Lapuente Giné a écrit que la société contemporaine souffre d'un préjugé futuriste manifeste. Quand on compare quelque chose de vieux et quelque chose de nouveau - par exemple un livre et une tablette, ou une religieuse assise à côté d'un adolescent plongé sur son téléphone dans le métro -, on croit que la nouveauté a davantage d'avenir. En réalité, c'est le contraire. Si un objet ou une habitude existe depuis longtemps dans nos vies, il a plus de chance de durer. Ce qui est nouveau, en moyenne, meurt avant. Il est plus probable qu'il y ait des religieuses et des livres au XXIIè siècle que Whatsapp et des tablettes. Dans le futur, il y aura encore des tables et des chaises, mais peut-être plus d'écrans plasma et de téléphones portables. On continuera de fêter le solstice d'hiver alors qu'on aura arrêté les cabines de bronzage UV. Une invention aussi antédiluvienne que l'argent a beaucoup de probabilités de survivre au cinéma 3D, aux drones et aux voitures électriques. De nombreuses tendances qui nous semblent indiscutables - de la consommation effrénée aux réseaux sociaux - s'effaceront. Et les vieilles traditions qui nous ont accompagnés depuis des temps immémoriaux - de la musique à la quête de spiritualité - ne disparaîtront jamais. Quand on visite les nations les plus avancées du monde sur le plan socio-économique, on est surpris en réalité par leur amour des archaïsmes - de la monarchie au protocole et aux rites sociaux, en passant par l'architecture néoclassique ou les tramways vétustes. [...]
Pour cette raison, face à l'avalanche de prédictions apocalyptiques quant à l'avenir du livre, je dis: du calme.
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Vidéo de Irene Vallejo
Lors de son passage en France, nous avons eu le plaisir de rencontrer Irene Vallejo aux Éditions des Belles Lettres. L'autrice avait eu la gentillesse de préparer un petit mot à l'attention de ses futurs audio-lecteurs français.
Pour en savoir plus sur ce livre audio lu par Katherine Erhardy, rendez-vous ici : https://www.audiolib.fr/livre/linfini-dans-un-roseau-suivi-du-manifeste-pour-la-lecture-9791035407506/
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