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Critique de DameOdessa


Parfois vous tombez sur LA bande dessinée qui ranime votre ferveur de lecteur, qui crée la surprise, vous enchante, vous transporte. Peut-être tout simplement parce que vous ne l'attendiez pas.
C'est ce qui s'est passé pour moi avec les Fantômes de Neptune. Une BD relativement récente dont je n'avais jamais entendu parler et qu'une amie a découverte en convention et a décidé de m'offrir pour mon anniversaire.
Petit détail : c'est du steampunk. Si ce courant a une identité visuelle reconnaissable entre toutes, des codes bien précis, paradoxalement je trouve qu'il est peu représenté et mis en valeur dans la production littéraire (BD comme romans) actuelle. de ce fait, il y a presque un côté confidentiel qui pourra rebuter le néophyte qui n'y verra qu'un univers Belle Epoque plein de fantaisie. C'était un petit peu mon cas et ce serait passer à côté d'une richesse narrative, du développement d'un univers et de la mise en scène de personnages absolument fabuleux. Vraiment cet ouvrage est LA bonne surprise de qualité de cette fin 2017 qu'il fallait exhumer, noyée sous une production abondante et pas forcément toujours très captivante.
Mais fi de ces considérations !
Passons d'abord à l'aspect premier d'une bande dessinée, son visuel et son graphisme. Je pense que le sentiment devant les planches peut être assez radical. On aime ou on déteste. Prenant le contrepied des productions résolument réalistes, Les Fantômes de Neptune offre un graphisme plus dépouillé et surtout résolument cartoon, avec même un petit côté Disney. Au début j'étais sceptique (les premières planches ne donnent pas une juste mesure de ce qui va suivre dans l'ouvrage), ensuite admirative de la manière dont Valp mettait son univers en image et à la fin totalement conquise autant par les décors, les palettes de couleurs que par les designs et expressions des personnages ! Des critiques ? Peut-être pourra-t-on trouver certaines planches un peu vides, quelques décors pas assez travaillés mais il faut bien garder à l'esprit que la bande dessinée est réalisée entièrement par Valp, scénario, dessins et couleurs ! Alors là, coup de chapeau pour la somme de travail et le rendu !
Car il y a trois points sur lesquels j'aimerais insister : tout d'abord, le rendu des villes Belle Epoque est saisissant ! On sent une recherche de documentation historique derrière. Vous enlevez les éléments steampunk, vous avez une reconstitution minutieuse de l'Europe et de l'Afrique du Nord à la fin du XIXème siècle. Et cela se ressent dans le choix des couleurs. Parallèlement, l'artiste jongle avec les différentes palettes en fonction des ambiances qu'elle souhaite distiller tout au long de son aventure, ce qui permet de passer d'un tableau à un autre, d'avoir un effet très théâtral de saynètes qui se succèdent. En sus les couleurs choisies ont cet effet vieilli des anciennes affiches, légèrement sépia, qui immédiatement immerge le lecteur dans cette atmosphère si particulière en respectant parfaitement les codes visuels de l'époque. Enfin, les personnages… Ils ont tous sans exception (même les personnages les plus anecdotiques à l'instar de Jean le facteur) une identité visuelle propre, un design saisissant qui ne laisse certainement pas indifférent. Et tellement expressifs ! On ne peut qu'admirer le travail de l'auteur pour donner vie à ses personnages, ils sont criants de réalisme (ce qui est assez ironique pour un design cartoon vous en conviendrez), même les protagonistes non-humains.
Justement une fois que l'on se plonge dans l'histoire elle-même on réalise combien le casting est un petit bijou qui supporte admirablement une trame enchanteresse ! L'histoire en elle-même pourrait sembler banale si Valp ne possédait pas un talent de conteuse et de scénariste indéniable ; le découpage est tout bonnement parfait, à aucun moment on ne se perd dans la lecture malgré la succession de lieux, de péripéties et surtout ce travail de documentation historique rend l'ensemble tellement cohérent qu'on y croit ! L'immersion est totale ! Si la trame peut sembler manichéenne (l'empire prussien qui cherche à s'emparer des découvertes d'une équipe de scientifiques franco-russe sur fond de civilisation mystérieuse disparue et de quête initiatique de l'héroïne), l'auteur distille une étincelle incomparable de féérie, jouant avec les codes du film d'espionnage, d'aventures, de science-fiction dans une alchimie parfaite. On sent derrière cette course au pouvoir les intérêts politiques qui ébranlèrent alors l'Europe, il est difficile de voir en chaque protagonistes des personnages totalement lisses (Lorelei l'espionne est tout à la fois l'archétype de la femme vénéneuse et la patriote résolument attachée à la grandeur de son pays), ce qui remet en question nos conceptions parfois simplistes des guerres et conflits.
En outre, l'histoire s'appuie sur un casting cinq étoiles (ou dix ou cent !) ; c'est bien simple, aucun des personnages n'est inintéressant ! Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas lu une épopée où tous les protagonistes sont uniques, dotés d'une forte personnalité, attachants, charismatiques. Valp jongle avec une savante dose d'humour, d'émotions et d'héroïsme, suffisamment pour donner vie à ses héros, les rendre crédibles.
Meena en est un exemple flagrant ; la jeune héroïne, horlogère de son état, n'est ni une super-héroïne dotée de pouvoirs faramineux (quoique…), ni une mary-sue geignarde sur qui tombent toutes les tuiles possibles et qui a besoin d'une équipe de nounous pour la porter dans ses aventures. Non, c'est une jeune fille normale, à la vie bien rangée, souffrant d'une légère déficience cardiaque, qui se retrouve embarquée malgré elle dans une aventure qui la dépasse. Olga, sa grand-mère, est un personnage contrasté, attentive au bien-être de sa petite fille, aimante, dévouée mais également d'une détermination sans faille et, on le découvrira plus tard, qui cachait plutôt bien son jeu. Caleb, son fils, l'oncle de Meena, a hérité cette ambigüité de sa mère, c'est ce personnage qui en sait plus qu'il n'en dit, droit, loyal, férocement attaché à ses idéaux. Lorelei, l'espionne prussienne, ne se contente pas d'être belle et redoutable, elle distille son lot de mystères lors d'une scène particulièrement sidérante. Les autres personnages ne sont pour le moment pas assez développés pour que l'on puisse s'en faire une juste idée, même s'ils sont des plus prometteurs et que nous avons l'honneur et le plaisir d'avoir en guest-star une femme des plus illustres en la personne de Marie Curie ! Oui, c'est un détail, mais pour moi qui admire cette femme, sa vie, ses travaux, ça a été la cerise sur le gâteau !
Mais ce casting ne serait pas complet sans Montague. Ce personnage a été la révélation de cet album, le coup de coeur, celui qui m'a donné envie de tourner les pages encore et encore jusqu'à ce que je referme la couverture avec un soupir de frustration. Et pourtant c'était assez mal parti : quand j'ai feuilleté l'ouvrage, je l'ai pris pour une fille… Sa coiffure, son visage… Je n'ai pas du tout accroché. Mais il a suffit que je lise enfin sa première intervention, sa première réplique et je suis immédiatement tombée sous le charme de cet androïde ! Sa rhétorique est une pure merveille, ses réactions programmées pour être humaines le rendent attachant et s'il peut avoir de prime abord un côté froid, détaché, on soupçonne un esprit incisif et une humanité au milieu de tous ces circuits et de ce cuivre. Quant à ce design qui m'avait rebutée, je ne l'imagine vraiment pas autrement à présent !
Mais vient le temps de conclure sur cette découverte littéraire qui m'a rendue aussi extatique que des exoarchéologues au milieu de ruines kheropis : que vous soyez ou non fan de steampunk, si vous aimez les belles histoires, le rythme trépidant, les graphismes uniques, jetez vous sans hésitation sur les Fantômes de Neptune de Valp, vous ne le regretterez pas !
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