Ce qu'elle attend de moi est complètement fou, mais j'irai jusqu'au bout de son rêve ,même si je finis en prison, en morceaux ou chez les dingues.
Le contact de ses doigts me donne une émotion inattendue. Le charme qui émane d'elle, à chacun de ses gestes, la sensualité intacte malgré les rides et les fêlures de la voix me rendent heureux, je ne sais pas pourquoi. Une jubilation douce, une revanche sur la vie, le temps, l'injustice, les gens normaux qui vont dans le sens du vent.
- Mon sauveur, murmure parfois Hélène après l'amour, alors que c'est elle qui m'a rendu ma vie.
En face d'elle, un garçon de quinze ans, recroquevillé dans un fauteuil électrique, le corps sanglé à son dossier, lisait un roman.
Concentré, absorbé, isolé des bruits de flipper et de Nintendo. Toutes les minutes et demie, son visage se contractait et c'était la torture: il devait s'y reprendre à dix fois pour commander son geste, rassembler ses forces, coordonner ses mouvements et finalement réussir, au prix d'un effort de volonté intense, l'opération si simple de tourner la page.
-Et tu sais ce qu'il y avait alors, dans ses yeux? Du plaisir. Du plaisir devant ces mots étalés face à lui, gagnés à la sueur de son front; du plaisir plus fort que la peine et la contrainte qui l'attendaient au bas de la page suivante. C'est ce petit corps tordu au dessus d'un roman qui m'a appris qu'on pouvait toujours être libre.
Le vrai drame, la vraie injustice, c'est de survivre tout seul quand on se sent inutile. Ou de mourir pour rien en croyant qu'on va sauver quelqu'un.
Le fait d'avoir exhibé cette photo ancienne semblait l'avoir rajeunie d'un coup.Elle n'était plus une vieille dame excentrique, mais une amoureuse intacte, sérieuse, précise.
Cette fille me donne des ailes. Il aura fallu une fée dans un fauteuil roulant pour que je retrouve le bonheur d'être jeune, libre et valide.
- Tu sais depuis combien de temps je suis amoureuse de toi? demande-t-elle en me rendant les avirons.
J'évite de risquer une réponse qui pourrait me faire passer pour inattentif ou prétentieux.
- Cinq minutes. Quand, après m'avoir embarquée, tu as loué un troisième ciré et que tu es allé abriter mon fauteuil.
Mes yeux se posent sur la tache jaune entre les pins au loin. Mon souci était d'éviter qu'elle ne se trempe les fesses au retour, mais ce qui semble l'avoir touchée davantage, c'est ma façon de traiter son compagnon de route comme une part d'elle-même.
Les plantes ne m’appartiennent pas et c’est pourquoi je veille sur elles, et c’est pourquoi peut-être, aussi, elles survivent. Pour me faire plaisir, pour me remercier. Parce que je les aime sans raison, sans droit ni titre, sans rien attendre en retour.
Hélène chante sous la douche, court dans une forêt, sourit à la caméra, plonge dans la mer, nage sur le dos, bronze en dormant, les jambes repliées. La caméra s'attarde sur ses cuisses charnues, ses mollets musclés, ses jolis orteils. J'arrête le film, les larmes aux yeux.