Le codex est apparu quelques dizaines d’années avant notre ère dans la Rome classique à l’époque d’Horace, qui s’en servait d’ailleurs comme d’un carnet de notes. Plus petit et plus maniable que le rouleau, le codex est aussi plus économique parce qu’il permet au scribe d’écrire des deux côtés, voire de gratter la surface pour récrire par-dessus. Mais en raison de son ancienneté, le rouleau jouissait d’une dignité qui le faisait préférer par l’élite des lettrés et que le codex mettra plusieurs siècles à acquérir. Le passage de l’un à l’autre ne sera vraiment effectué dans l’Empire romain qu’au IVè siècle. Et il faudra encore longtemps avant que le nouveau média se libère du modèle imposé par le volumen — (p. 52)
(…) Aussi le codex est-il le livre par excellence, sans lequel notre civilisation n’aurait pu atteindre son plein développement dans la quête du savoir et la diffusion de la connaissance. Il entraîne l’établissement d’un nouveau rapport entre le lecteur et le texte. Comme le relève Labarre : « Il s’agit d’une mutation capitale dans l’histoire du livre, plus importante peut-être que celle que lui fera subir Gutenberg, car elle atteignait le livre dans sa forme et obligeait le lecteur à changer complètement son attitude physique ». En libérant la main du lecteur, le codex lui permet de n’être plus le récepteur passif du texte, mais de s’introduire à son tour dans le cycle de l’écriture par le jeu des annotations. Le lecteur peut aussi accéder directement à n’importe quel point du texte. Un simple signet lui donne la possibilité de reprendre sa lecture là où elle avait été interrompue, ce qui contribue également à transformer le rapport avec le texte et en modifie le statut. L’historienne Colette Sirat note fort justement :
« Il faudra vingt siècles pour qu’on se rende compte que l’importance primordiale du codex pour notre civilisation a été de permettre la lecture sélective et non pas continue, contribuant ainsi à l’élaboration de structures mentales où le texte est dissocié de la parole et de son rythme. » (p.53)