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Critique de LaBiblidOnee


P.R.O.T.O.C.O.L. : L'acronyme est placardé partout dans la ville, mais personne ne sait ce qu'il signifie ni quand il est apparu. La ville est pourtant sous l'oeil de milliers de caméras qui observent jour et nuit la population : Angèle, par exemple, qui réagit étrangement bien à la curieuse mort de son prof de philo de mari ; Katya, l'escorte de luxe créant du désir, dont les affaires sont florissantes malgré le couvre-feu ; Oumar, vigile en supermarché et père de famille, cumulant les emplois pour permettre à son fils de faire des études pour mieux s'en sortir ; Amir, son fils, qui rejette ce système où son père se tue à la tâche au lieu de saisir sa chance de s'en extraire ; Re:Al, qui refuse de travailler non-pas, selon lui, parce qu'il a un poil dans la main, mais pour ne pas cautionner ce système capitaliste ; Il y a aussi la délicieuse Mél, SDF truculente parfaitement mise en valeur par la plume de Stéphane VANDERHAEGHE, comme Carlotta la prostituée qui répond à un besoin social, ou encore le roi des rats, qui offre un regard saisissant sur l'animalité de l'Homme ; Et bien d'autres, dont le point de vue sur la situation du pays, de leur vie ou de celle des autres, s'ajoutera à celui des caméras qui les espionnent pour construire, lentement mais sûrement, la mosaïque d'un désastre annoncé. Ce sont leurs voix que ce roman libère, leurs réflexions qu'il pousse à l'extrême. Comme par jeu, pour voir ce qu'il en ressort.


Ce roman plaira aux amateurs de plumes atypiques, qui suscitent réflexion plus qu'action. Attaques terroristes nécessitant surveillance et contrôle des identités et déplacements ; Pandémie nécessitant l'installation de couvre-feu ; Révoltes de casseurs nécessitant patrouilles et milices, arrestations musclées. Des tas d'événements peuvent survenir dans une démocratie, qui justifient (diront les uns) ou servent de justification à (diront les autres) des restrictions de libertés plus ou moins importantes, nombreuses, et longues. A partir de quel moment deviennent-elles étouffantes au point que la population se rebelle ? Et quand, au lieu de maintenir l'ordre, deviennent-elle prétexte à le renverser ? L'équilibre semble instable… Mais l'ordre établi n'est pas facile à renverser. Certains le tolèrent comme un mal pour un bien, pour une paix sociale un peu passive ; D'autres se rebellent contre « l'oppresseur », ce gouvernement « capitaliste à outrance », accélérateur de différences sociales. Alors lorsque la surveillance est telle qu'on ne peut plus agir dans la lumière, c'est dans l'ombre que s'inventent des protocoles pour y remédier. Mais l'alternative proposée de la violence vaut-elle mieux que celle « légitimement » exercée ?


Dès la première page, il y a ce suspense en filigrane : On tente de reconstituer le trajet d'un suspect précédant une catastrophe dont on ignore encore tout. C'est en écoutant tour à tour des personnages sans lien apparent que la vérité se dévoilera dans son entièreté. Mais plus on tourne les pages, plus on se rend compte que la manière de raconter de l'auteur est plus importante que cette vérité. D'ailleurs il n'y a pas une seule vérité mais bien une myriade, autant que de personnes pour la percevoir, la ressentir, la vivre, la raconter… Alors il m'est arrivé une chose très étrange : j'ai eu l'impression que le personnage principal de ce roman devenait… la plume de l'auteur. Une vraie « plume à papotte » pour les fans d'Harry Potter, qui écrit plus vrai que nature les pensées de ceux qu'elle laisse s'exprimer, quitte à cautionner leur extravagance, les faire enfler, prendre de l'ampleur et même toute la place. C'est une plume qui suit ses personnages un peu comme dans G.A.V. (de Marin Fouqué - même genre de titre aussi !), mais qui m'a parue plus pointue, précise et digeste.


Dès les premières lignes, l'écriture est implacable. Rythmée, millimétrée, percutante - sans perdre en fluidité pour autant. Elle alterne les segments courts et les longues phrases serpents qui s'enroulent autour de la scène décrite, l'attaque sous tous les angles, comme ces caméras qui voient tout et entendent tout. On passe du rythme très ponctué, comme surveillé, à un mouvement plus libre pour décrire les pensées, seules à demeurer invisibles, donc libres. Alors les phrases caracolent comme les idées qui s'envolent, incluant dialogues, attitudes, l'extérieur et l'intérieur du personnage tout cela en un clin d'oeil, en une longue sentence qui vous emporte, vous lessive puis vous recrache, épuisé mais ravi du manège. Puis la voix suivante arrive. L'alternance rythme la lecture à la perfection et m'a rendue addict. L'écriture est d'une exquise justesse dans les mots et jusque dans les tournures, qui épousent parfaitement les propos et émotions des personnages.


Le style s'adapte à eux, prend la forme de leur réflexion et de leurs attitudes : langage de rue, ou bien plus soft, bulle de chewing-gum qui éclate, tout y passe. L'auteur nous implique dans la peau des personnages. Ca demande un peu plus de concentration qu'une plume uniforme, lisse et régulière, sur laquelle on pourrait se caler et puis laisser nos yeux courir. C'est pourquoi ça ne plaira pas à tout le monde, et je ne lirais pas uniquement ce genre de roman. Mais l'auteur, qui maîtrise la technique, la rend aussi plaisante qu'efficace. On s'attache aux personnages à travers leurs façons d'être. L'histoire, presque au second plan car formée de leurs multiples vérités éparpillées, structure le récit. Ce « petit livre rouge » ne serait-il pas en vérité un pavé dans le marc ? Ce fut en tous cas un très bon moment de lecture, même si l'objet est bien lourd à tenir en main pour 560 pages !
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