Petit essai de moins de cent pages sur le thème de la liberté d'expression, et de ses limites. Pour l'auteur, les limites en question ne devraient pas exister : toutes les idées doivent pouvoir être exprimées, y compris les idées racistes, négationnistes, … Ces idées doivent être défendues par l'argumentation, et pas par l'interdiction (qui donne d'ailleurs à ses défenseurs la posture de victime persécutée par le système).
Théorie intéressante, mais difficilement applicable en pratique. À la fin de l'essai, Vaneigem passe en revue quelques cas particuliers qui peuvent nécessiter une interdiction : appel au meurtre, calomnie, insultes, …, mais les interprétations sont très personnelles. On n'est plus très loin du « Tout individu est libre d'exprimer les opinions qui ne me dérangent pas » qui fait tant d'adeptes chez les défenseurs de la liberté d'expression.
Malgré quelques idées rafraîchissantes, l'essai semble atterrir dans la même impasse que d'autres réflexions sur le même sujet : personne n'est prêt à défendre une liberté d'expression absolue, mais toute limite posée est propre à chacun et donc hautement discutable.
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Ce petit livre, je ne fais que le relire, le déguster, le rouvrir au hasard pour méditer tour à tour une seule phrase ou tout un chapitre, depuis presque un mois. Tant il est distillé. Tant sont nombreuses les implications d'un principe, celui de la liberté d'expression, qui paraît consensuel à notre convenance mais qui, poussé à peine plus loin que la vulgate, s'avère très difficilement compatible avec un grand nombre de nos convictions tout aussi superficielles que ce consensus. Sous la loupe du moindre approfondissement dans nos consciences, nous sommes tous si peu Charlie !
Mais il est impératif et urgent de se soumettre à un examen sévère. Pourquoi est-ce si difficile, mais tout aussi indispensable, d'être tolérant avec les intolérants.
Car il est question ici de lutter contre l'inhumanité, sous forme du principe presqu'universel de la prédation, grâce à l'abolition absolue de toute entrave à la liberté d'expression, ainsi que de la suppression du secret, même lorsque les opinions exprimées sont abjectes et haineuses.
Il faudrait partir de ceci: "Une vérité imposée s'interdit humainement d'être vraie." (p.34), ou de ceci : "L'indignation est une forme honorifique d'abdication." (p. 92), ou encore de ceci : "Il n'y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d'expression, il n'en existe qu'un usage insuffisant."
Mais cet essai n'est pas un florilège d'aphorismes. Il répond au contraire à des circonstances très précises, telles les libertés virtuelles, la liberté de la presse ("bafouée par ceux-là mêmes qui la détiennent"), l'appel au meurtre, les témoignages de sévices, la calomnie, l'insulte, la pornographie... de même, sont ici cités de célèbres ouvrages repus d'ignominie :
"Le sens commun montre qu'il est inconséquent d'interdire Mon Combat de Hitler, Bagatelles pour un massacre de Céline, les Protocoles des sages de Sion, ou les ouvrages révisionnistes, et de tolérer par ailleurs les propos misogynes de Paul de Tarse et du Coran, les diatribes antisémites de saint Jérôme et de Luther, un livre truffé d'infamies comme la Bible, l'exhibition complaisante des violences qui forment la matière ordinaire de l'information, l'affichage omniprésent du mensonge publicitaire, et tant de contrevérités historiques, entérinées par l'histoire officielle." (p. 26)
Il serait impossible de résumer la démonstration de la thèse de l'ouvrage - contenue principalement dans le Ch. III "Pourquoi nous voulons abolir le délit d'opinion" - en quelques phrases. L'on peut se limiter aux postulats suivants : "Tolérer toutes les idées n'est pas les cautionner", "L'interdit aiguillonne la transgression", et "Les pensées haineuses périssent de leur propre venin".
Pour le reste, il faut s'en remettre à la valeur poétique de la parole à qui sa liberté a été rendue, seule arme pour "vaincre le nihilisme à la mode alors que la lecture du monde est fournie avec la grille de décryptage de la rentabilité" (p. 91).
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L'autorité instituée a toujours eu besoin, pour affermir sa tutelle de traiter les hommes en aveugle, incapables de se guider par eux‐mêmes, à tel point que, accoutumés à aller les yeux fermés où on leur enjoint de se rendre, ils craignent la lumière et réclament à leurs dépens plus de nuit et de brouillard, où ils puissent errer en s'insurgeant contre la dureté des temps. L'obscurantisme a toujours été le mode d'éclairage du pouvoir.
L'esprit tutélaire excelle à produire les conditions qui rendent nécessaire cette protection dont le système mafieux a le mieux exprimé la vérité pratique en faisant payer la sécurité au prix du péril qui la menace.
Les promoteurs de l'idéologie sécuritaire sont les mêmes qui propagent la délinquance, le meurtre, le viol, la violence en prônant le fétichisme de l'argent et en perpétuant des mœurs de prédateur, les mêmes qui en appellent à la répression d'une criminalité qu'ils encouragent. Pris en otage, parce qu'il aspire à la paix et est hanté par la peur de la perdre, le citoyen paie à la fois le prix de l'insécurité et la redevance d'un service de protection. Dans l'arène sociale du spectacle, où s'affrontent avec une égale cupidité les forces du bien et les puissances du mal, il faut que le combat continue puisque les deux camps y gagnent financièrement.
Le droit de tout dire, de tout écrire, de tout penser, de tout voir et entendre découle d’une exigence préalable, selon laquelle il n’existe ni droit ni liberté de tuer, de tourmenter, de maltraiter, d’opprimer, de contraindre, d’affamer, d’exploiter.
La vérité est que la violence résulte de conditions bien précises : la promiscuité, le surnombre, le ghetto, l’oppression, l’étouffement, la carapace caractérielle, l’ennui, la frustration. Une fois le canon bourré à mitrailles, le moindre motif boute le feu : match de football, jeu vidéo, sentiment d’injustice, peur viscérale, fantasme sécuritaire, illumination, rumeur.
Les opinions sont un prétexte, non une cause.
Nombre d’opinions, hier encore acceptables, voire recommandables, sont, d’une génération à l’autre, happées par la désuétude. La plupart des polémiques à la mode ont déjà les relents d’une querelle de bouffons.
Rien n’est sacré. Chacun a le droit d’exprimer et de professer à titre personnel n’importe quelle opinion, n’importe quelle idéologie, n’importe quelle religion.
Aucune idée n’est irrecevable, même la plus aberrante, même la plus odieuse.
Aucune idée, aucun propos, aucune croyance ne doivent échapper à la critique, à la dérision, au ridicule, à l’humour, à la parodie, à la caricature, à la contrefaçon.
Le 22.05.18, Thibault Henneton recevait Gérard Berréby dans "À voix nue" (France Culture), pour un entretien en cinq parties :
"Gérard Berréby vit de petits boulots et se met en quête : que faisaient les Guy Debord, Raoul Vaneigem et consorts avant 1968 ?
Sa première rencontre, c?est avec le poète et plasticien Gil Joseph Wolman, membre fondateur de l?Internationale lettriste : point de départ d?une généalogie des avant-gardes qui le conduira à rassembler et publier, en 1985, ses Documents relatifs à la fondation de l?Internationale situationniste. Ce qui n?a pas plu à tout le monde."
Photo : Gérard Berréby et Ralph Rumney à Cosio d'Arroscia. © Pauline Langlois.
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