La forêt était horriblement bruyante, elle masquait même son propre pouls.
Il commençait à se demander si son père n'avait pas échoué à trouver une meilleure façon de vivre. Si tout cela n'était qu'un plan de secours et si Roy, lui aussi ne faisait pas partie d'un immense désespoir qui collait à son père partout où il allait.
Il sentait que tout cela dégageait un parfum d'inévitable, qu'il n'avait en réalité pas le choix.
Je ne comprends pas comment une chose peut vous manquer à ce point quand on ne l'a pas.
…et il se demanda à quoi ils passeraient leur temps. Les choses étaient crûment ce qu'elles étaient et rien d'autre.
Écoute, dit son père. L'homme n'est qu'un appendice de la femme. La femme est entière, elle n'a pas besoin de l'homme. Mais l'homme a besoin d'elle. Alors c'est elle qui décide. C'est pour ça que les règles n'ont aucun sens et qu'elles changent sans cesse.On ne les établit pas ensemble. (p.108)
Ses sanglots repartirent de plus belle, mi-pleurs, mi-cris. Ils pouvaient se déclencher n’importe quand, ils avaient une volonté propre, et si pleurer était censé soulager, ce n’était pas le cas pour lui. C’étaient des sanglots terribles, de ceux qui blessent et qui transforment tout en une épreuve de plus en plus insupportable, et s’ils lui faisaient passer le temps, ils semblaient à chaque fois ne plus vouloir s’arrêter. (Deuxième partie, p. 121).
Il s'asseyait sous les arbres à une centaine de pas de là et se demandait comment il pourrait raconter cela.Il n'était pas sûr que son histoire soit compréhensible. Chaque évènement rendait le suivant inévitable, mais l'ensemble ne faisait pas bonne impression.
Cette nuit-là, tard, son père pleura de nouveau. Il parlait tout seul en de petits chuchotis qui ressemblaient à des gémissements, et Roy ne comprenait pas ce qu’il disait, pas plus qu’il ne saisissait l’ampleur de sa douleur ni son origine. Les phrases que prononçait son père le faisaient pleurer de plus belle, comme s’il s’y obligeait lui-même. Il se calmait un instant, se racontait quelque chose et recommençait à gémir et à sangloter. Roy ne voulait pas l’entendre. Il était effrayé et déstabilisé, et il n’avait aucun moyen d’en parler, ni la nuit ni le jour. Il fut incapable de trouver le sommeil avant que son père ne se soit tu et endormi.
Tu te rappelles ce que je t'ai raconté sur le monde qui n'était qu'un grand champ, à l'époque où la Terre était plate ?
Ouais, dit Roy. Comment tout est parti en vrille après que tu as rencontré Maman.
Hé là, dit son père. J'ai pas dit ça. Bref, j'y ai repensé et ça m'a fait réfléchir aux choses qui me manquent et au fait que je n'ai pas de religion alors que j'en ai quand même besoin.
Quoi ? demanda Roy.
En gros, je suis foutu. J'ai besoin d'un monde animé, j'ai besoin qu'il me renvoie à moi-même. J'ai besoin de savoir que, quand un glacier bouge ou qu'un ours pète, j'ai quelque chose à voir là-dedans. Mais je n'arrive pas non plus à croire à ces conneries, alors que j'en ai besoin.
Qu'est-ce que ça a à voir avec Maman ?
Je ne sais pas. Tu me déconcentres.