Nous ne devenons quelqu'un qu'à l'instant seulement où quelqu'un d'autre est au courant, et pas seulement une personne – il faut que ce soit un groupe. C'est alors que nous devenons ce quelque chose.
Chaque moment avait été intolérable. Le mariage et le divorce, avoir une famille, être séparé de ses gamins, travailler ou ne pas travailler, ses parents et son frère proches et lointains. Et chaque décision, limitée aux options disponibles. Quand a-t-il jamais eu le choix ?
Est-ce donc ce que nous voulons tous, ne rien s'entendre dire jusqu'à ce qu'il soit trop tard ?
Les gens seraient-ils en réalité tous au bord du suicide, toute leur vie, obligés de survivre à chaque journée en jouant aux cartes et en regardant la télé et en mangeant, tant de routines prévues pour éviter ces instants de face-à-face avec un soi-même qui n'existe pas ?
C'est peut-être ça, la vie après la mort, rien qu'une nostalgie pure, ni bien ni mal. Ni paradis ni enfer, rien que les tiraillements de ce qui a été et qui n'est plus.
Le sexe et le désespoir, une seule et même chose, tous deux définissant les limites de ce que doit être le monde, tous deux irrésistibles.
Rien ne vaut l'amour inconditionnel de vos enfants, peu importe qui vous êtes et ce que vous avez fait.
La fatalité. Difficile de savoir si elle existe vraiment, mais on la sent parfois au moment même où elle intervient. Quand trop de poids s'est amassé.
- Je t'aime, Papa, dit-elle en passant ses bras autour de son cou.
Son innocence l'attriste. Il ferme les yeux et s'accroche à elle.
- Jim, dit Lorraine.
- Tu pleures, Papa, dit David. Pourquoi tu pleures ?
- Désolé, dit Jim, et il lâche Cheryl, il se lève, s'essuie les yeux. C'est juste que je ne dors pas assez. Je suis fatigué, c'est tout.
La vérité, c'est qu'il ne contrôle plus rien en cet instant. Des sentiments variés l'assaillent nuit et jour, sans jamais le moindre avertissement, sans la moindre idée de ce qui va suivre. C'est terrifiant de n'avoir aucun contrôle, surtout devant ses enfants.
L'autoroute qui s'élève dans les dernières collines avant de descendre sur le Golden Gate, des veines lumineuses blanches et rouges. La sensation de vide tandis qu'ils traversent. Jim aimerait sauter. Bien plus dramatique et tragique, et pas violent, peut-être plus facile pour les enfants. Une meilleure histoire. Il pourrait y aller la tête la première, pour être sûr, car les gens survivaient parfois à la chute et restaient à l'état de légume.
C'est ce qui l'inquiète, de se tirer une balle dans la tête et de survivre. C'est peu probable avec un .44 Magnum. Il devrait s'arracher une bonne partie du crâne. Il n'a pas encore décidé, la bouche ou la tempe. Ou alors sous le menton, dirigé vers le haut. Aucune information quant à la meilleure méthode. Il ne peut poser la question à personne.