Quelque part dans la cordillère des Andes, peut-être bien aux confins de l'Argentine et du Chili ou de la Bolivie, il y a le col de
Roca Pelada (« roche pelée » en VO), perché à près des 5000m d'altitude. Autant dire qu'à ces hauteurs quasiment inhumaines, les êtres vivants sont peu nombreux : un puma, des guanacos et quelques hommes. Parmi ces derniers, de rares autochtones et deux détachements de soldats. Oui, deux, car à
Roca Pelada, ce milieu de nulle part, passe la frontière, avec donc un poste et des gardes de chaque côté. Dans ce désert du haut du monde, c'est le minéral et le magnétique qui règnent, s'exprimant à travers volcans, geysers, orages, secousses sismiques, électricité statique. Un environnement hostile où les hommes ne sont pas à leur place, encore moins les nouvelles recrues d'un des deux postes, tout juste arrivées de leur plancher des vaches tropical chaud et humide, et victimes du mal de l'altitude.
Il ne se passe pas grand-chose à
Roca Pelada, où les commandants de chaque camp tuent le temps en scrutant l'horizon infini à la jumelle à la recherche d'éventuels contrebandiers, en répertoriant des bornes frontière (que les uns et les autres déplacent furtivement pour gagner quelques mètres carré de territoire), et en faisant repeindre à la chaux la ligne de démarcation.
Un jour, survient un grand chamboulement : le commandant Gaitan, de la Ronde des Confins (côté ouest de la frontière) annonce à son homologue Costa, de la Garde-Frontière (côté est), qu'il va être remplacé. Dans cet univers pétrifié, c'est là une surprise de taille, qui devient carrément coup de théâtre quand Costa réalise que le nouveau commandant est une femme, la capitaine Vera Brower.
Commence alors entre Costa et Vera un jeu de chat et de souris, l'un cherchant à découvrir la mission secrète de l'autre. Mais entre ces deux officiers appartenant (en théorie) à des armées ennemies, la frontière va (en pratique) se brouiller...
Dans ce roman hypnotique (aah, le mal des montagnes et ses vertiges...), on assiste à des scènes et des dialogues surréalistes, absurdes, savoureux. Les corps et les âmes sont mis à rude épreuve par le manque d'oxygène, parfois victimes d'hallucinations, et fantasment sur un retour vers le monde d'en-bas, animé, mouvant, réel. Entre rigidité militaire et sensation d'être en permanence détaché des contingences matérielles et temporelles, le col de
Roca Pelada est le lieu improbable des questionnements existentiels sur le sens de la vie et même sur l'amour. Un paradis (ou un enfer, c'est selon) à l'écart et à l'abri du monde : « Quand Gaitan aurait réalisé ses aspirations dans la plaine, elles se changeraient vite en routine et perdraient leur magie, tôt ou tard il reviendrait vers les hauteurs de
Roca Pelada où le passé et le présent étaient des idées aberrantes qui libéraient les hommes de leur mémoire. Ce n'est qu'en retournant dans la cordillère qu'il pourrait jouir de sa mer et de ses femmes exubérantes, son poisson frais, son air marin et ses vagues ».
Malgré quelques longueurs, un beau roman profond, drôle et magnétique.
En partenariat avec les Editions Métailié.
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