La tasse de café ou le verre de rhum devait avoir meilleur goût, la fumée du tabac, le bain de mer par une chaude journée, le film du samedi ou les merengues à la radio devaient laisser dans le corps et l’esprit une sensation plus agréable quand on disposait de cela que Trujillo avait ravi aux Dominicains depuis trente et un ans : le libre arbitre.
Tous, dans le repli le plus ladre de leur âme, avaient vécu en redoutant de voir s'effondrer le régime. Quels salauds ! La loyauté n'était pas une vertu dominicaine, il le savait bien. Durant trente ans ils l'avaient adulé, applaudi, mythifié, mais au premier coup de vent, ils sortiraient leurs couteaux.
La politique exige des déchirements, parfois.
- [...] Il y a au secrétariat un traitre ou un incapable. J'espère que c'est un traitre, les incapables sont encore plus nuisibles.
Il y a au secrétariat un traître ou un incapable. J'espère que c'est un traître, les incapables sont encore plus nuisibles.
Le trujillisme est un château de cartes. Il va s'effondrer, vraiment.
- Je n'ai pas bu une goutte d'alcool, s'excusa-t-il confus. Vous savez que je ne suis pas un buveur diurne, Chef, mais seulement crépusculaire et nocturne.
En parlant de la période de dictature de Trujillo
Il y a beaucoup de choses de l’Ère que tu as fini par tirer au clair; certaines, au début, te semblaient inextricables, mais à force de lire d'écouter, de comparer et de penser, tu es parvenue à comprendre que tant de millions de personnes, sous le rouleau compresseur de la propagande et faute d'information, abruties par l'endoctrinement et l'isolement, dépourvues de libre arbitre, de volonté, voire de curiosité par la peur et la pratique de la servilité et de la soumission, aient pu en venir à diviniser Trujillo.
— Je vais assassiner Trujillo, monseigneur. Y aura-t-il un pardon pour mon âme ?
Sa voix se brisa. Il restait les yeux baissés, respirant avec anxiété. Il sentit sur son dos la main paternelle de monseigneur Zanini. Quand enfin il leva les yeux, le nonce tenait à la main le livre de saint Thomas d'Aquin. Un de ses doigts signalait un passage, sur la page ouverte. Salvador se pencha et lut : "L'élimination physique de la Bête est bien vue par Dieu si grâce à elle on libère un peuple."
p.275
Le dictateur si soigné de sa personne, si raffiné et élégant dans ses propos - un charmeur de serpents quand il se le proposait - pouvait, soudain, le soir, après quelques verres de cognac Carlos I, se répandre en énormes grossièretés, s'exprimer dans le jargon des sucreries, des bleds de la côte, ou celui des dockers d'Ozama, user du langage des stades ou des bordels, bref, parler comme parlent les hommes qui veulent affirmer haut et fort leur virilité.