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sur 317 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est sans doute à Pont-Aven que Paul Gauguin a acquis dans son domaine de prédilection, le droit de tout oser.
Le Bois d'Amour, haut lieu pontaveniste où jaillirent naguère maintes inspirations artistiques, est le lieu idéal pour esquisser les grands traits de ce magnifique roman publié par Mario Vargas Llosa en 2003 : “Le Paradis - un peu plus loin”.
Le lien ci-dessous permet d'accéder à quelques photos donnant un petit aperçu de la quiétude des bords de l'Aven, autrefois peuplés de nombreux moulins à eau.

Mélange de primitivisme, de cloisonnisme et même de japonisme, le synthétisme marque une rupture avec le naturalisme et l'impressionnisme et se fond dans le symbolisme dont la principale caractéristique est de dépasser le monde des apparences.
Le synthétisme fut porté à la fin du 19ème siècle sur les fonts baptismaux de l'Histoire de la peinture par un cénacle d'artistes français et étrangers qui se sentaient à Pont-Aven comme des poissons dans l'eau.
Trois oeuvres, crées en 1888 dans ce petit village finistérien si accueillant, jetèrent les bases de ce mouvement pictural : “Les Bretonnes dans la prairie” d'Émile Bernard, “La Vision du sermon” de Paul Gauguin et “Le Talisman” de Paul Sérusier. Sous l'impulsion de ce dernier, le groupe des Nabis (“prophètes” en hébreu) fera jusqu'en 1900 bouger les lignes de l'art moderne.

Ce vieux pays de meuniers, ce paradis des artistes, Mario Vargas Llosas en parle admirablement dans ce roman, mais toujours par flash-back.
Il a choisi en effet de décrire dans le détail la vie au quotidien de Gauguin lors de ses deux longs séjours à Tahiti puis à Hiva Oa, la plus grandes des îles Marquises où il mourut en mai 1903 à l'âge de 54 ans.
Un des points forts de ce roman dépaysant tient au style jubilatoire adopté par le Nobel péruvien pour imaginer la genèse des principaux tableaux peints par Gauguin dans son exil polynésien :

“Manao Tupapau” (L'esprit des morts veille) ;
“Pape moe” (Eaux mystérieuses) ;
“Aita Tamari Vahiné Judith Te Parari” (La femme-enfant Judith, pas encore déflorée) ;
“Nevermore” (d'après le poème d'Edgar Poe intitulé “Le Corbeau”, traduit et par Baudelaire et par Mallarmé) ;
“D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?” (Le tableau le plus imposant et peut-être le plus connu de l'artiste, réalisé en 1897-98) ;
“Le sorcier d'Hiva Oa” (La dernière oeuvre de Gauguin, “sa pierre tombale”, date de mars 1903 alors que sa vue décline de jour en jour).

Mais une fois de plus, l'aisance de Mario Vargas Llosa à percer l'intimité des protagonistes, se double d'une générosité débordante. Dans “Le Paradis - un peu plus loin” il ne se contente pas de relater le parcours de vie chaotique de Paul Gauguin mais retrace également l'étrange destinée de Flora Tristan, sa grand-mère maternelle d'ascendance péruvienne, que le peintre n'a pas connue car décédée à seulement 41 ans, en 1844.
Un chapitre sur deux, le lecteur se familiarise avec le caractère entier de cette féministe, de cette pacifiste pure et dure, de cette écrivaine engagée qui, parcourant les routes de France avec l'aide de ses amis saint-simoniens et fouriéristes, essaie d'inculquer à qui veut l'entendre ses idées avant-gardistes relatives à l'unité ouvrière et à la fraternité universelle.

Seul un auteur de tout premier plan pouvait si justement brosser en parallèle deux parcours de vie aussi empreints de passion, d'anticonformisme et de tolérance, à l'atavisme évident.
On referme ce roman un peu triste de quitter ces deux êtres libertaires qui jusqu'à leur dernier souffle sont restés fidèles aux idéaux que l'un et l'autre se sont forgés à l'âge de la maturité ; mais aussi avec au cœur la joie ineffable d'avoir entraperçu lors de cette lecture vivifiante… de nombreuses ébauches de Paradis.




Lien des quelques photos du Bois d'Amour : http://adobe.ly/269oyYC
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C'est le titre et la charmante photo de la couverture, si rétro, de David Seymour, qui m'ont parlé : un groupe de fillettes qui dansent une ronde. Jouent-elles à chercher le Paradis, cet introuvable Paradis qui est toujours un peu plus loin. Un jeu français ? Péruvien ? Elles gambadent, si pimpantes, d'énormes flots dans les cheveux… Cette aspiration universelle que d'atteindre le Paradis a inspiré le roman tout entier de Vargas Llosa.
Avant cette lecture, je ne connaissais rien de Flora Tristan, née en 1803 à Paris et morte en 1844, femme de lettres française, penseuse éminente, militante socialiste , féministe et portant autodidacte. Mais j'ai appris que c'était aussi la grand-mère de Paul Gauguin, universellement célèbre ! Que de vilains tours joue la vie à Flora qui n'a jamais expérimenté la chaude routine qui ressemble à une existence normale ! Tout en provenant d'une famille patricienne, elle est condamnée à la pauvreté parce que le mariage de ses parents n'est pas reconnu. Et aussi elle se promène avec une balle près du coeur que les médecins n'ont pas su extraire. En dépit de cela elle salue son destin et le remercie de lui avoir ouvert les yeux !
Je ne suis nullement experte de Gauguin et ce peintre n'a jamais été mon préféré. Je m'extasie davantage devant la lumière vibrante de son collègue Vincent van Gogh. Contrairement à Flora Tristan, je me suis toujours protégée de la politique et ne me suis pas intéressée aux affaires sociales. Douée d'un esprit plutôt contemplatif et solitaire, je ne me suis jamais battue pour une grande cause, même pas pour le beau de la poésie et des arts. Je serais un monstre d'égoïsme, aussi délicieux que méprisable, pour Flora, surnommée Madame-la-Colère, et une Occidentale sclérosée au sexe fané dès avant ma naissance et bridée par la mièvrerie des religions monothéistes ambiantes, aux termes presque exacts de Paul Gauguin épris de la vie sauvage ! Me voilà, indirectement, brutalisée. Et pourtant, ce livre m'a énormément passionnée et enrichie tant il est grandiose par sa forme et sa quête de l'absolu.
Il est construit de façon symétrique comme une alternance équitable de chapitres, avec le jeu du Paradis évoqué dans le premier et le dernier. Pour être totalement honnête j'avoue que la partie « Gauguin » m'a fourni plus d'affinités spirituelles que « Florita l'Andalouse », cette inflexible habillée en homme. Certains épisodes euphoriques liés à l'artiste peintre ont eu droit aux relectures mais pas l'enfer subi par Flora Tristan. L'enfer subi quoiqu'aussi défié par son courage.
Mario Vargas Llosa relate des faits, recourt aux dialogues, use des descriptions, comme un narrateur procède d'habitude, puis, curieusement, il se met à tutoyer ses deux héros principaux : Paul Gauguin et Flora Tristan. C'est assez significatif mais déroutant au début.
Dans ce roman, je retrouve ce qui est devenu pour moi le signe d'un chef-d'oeuvre : la difficulté de faire une citation soit par crainte d'abîmer la pensée en la sortant de son contexte soit par une incapacité d'élire un passage du livre ; chaque parcelle y est magnifique et il aurait fallu recopier tout. J'ai quand même publié quelques citations pour illustrer mon propos. Que d'aphorismes dont la brillance est digne d'Oscar Wilde !
Que la vie de Flora Tristan ainsi que celle de Gauguin, rongé par sa « maladie imprononçable », est tragique mais combien pleinement elle a été vécue ! Ce sont deux antipodes. Leurs excès en témoignent. Flora fuit le plaisir comme la peste tant que l'humanité n'est pas sauvée des exploitateurs. « Tu es une puritaine, Florita, une nonne laïque. » À part le sentiment que le plaisir ne peut que dilapider son énergie et sa force morale, le sexe lui inspire le dégoût après son mariage. Elle quitte son époux violent et pervers, repousse tous les valeureux prétendants qui tombent à ses genoux. Flora ne s'abandonne que, pendant une courte période, dans les bras d'Olympe qui lui fait découvrir qu'en fait l'amour existe ! L'idée que la mission, le combat bolchevique, est incompatible avec une passion amoureuse ainsi que le renoncement à toute vie sentimentale au nom du changement de la société apparaissent souvent dans la littérature, jusqu'à leur forme caricaturée, entre autres dans « Docteur Jivago », à travers le personnage du mari de Lara, Pavel Strelnikov (cet exemple m'est venu à l'esprit en premier).
Les parties réservées à la militante tournent autour des villes où elle était venue parler aux ouvriers. Celles de Gauguin se consacrent à la genèse d'un tableau en particulier : Eaux mystérieuses, Portrait d'Aline Gauguin, Nevermore, D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? etc. Par exemple, dans le chapitre 2, il s'agit de l'histoire du tableau « Manao Tupapau » dont le nom se traduit par « Elle pense au revenant » ou « le revenant pense à elle ». Quand Koké (surnom tahitien de Gauguin) entre dans sa chambre obscure et qu'il gratte une allumette, sa femme le prend pour un revenant ! Il tremble d'excitation à la vue de ce corps allongé, aux fesses froncées de peur, et réalise quelques semaines après « un véritable tableau de sauvage », longuement rêvé !
Dans chaque toile dort le désir, elle est peinte avec sa verge. Pas d'érection pas d'inspiration ! Une grande vérité, d'ailleurs. Cette idée domine dans le roman, sans pruderie, comme celle de créer et non imiter la nature ! Il fait de ses modèles ses vahinés et inversement. Elles ont presque toujours quatorze ans.
Qu'il est beau, qu'il est heureux, Gauguin, au début de l'oeuvre, lors de son séjour à Mataiea, dans ce paysage aux couleurs vives, parmi les hommes et les femmes orgueilleux de leur corps : « Il se levait tôt, au point du jour, et se baignait dans le fleuve voisin, prenait un petit déjeuner frugal — la sacro-sainte tasse de thé et une tranche de mangue ou d'ananas —, puis se mettait au travail, avec un enthousiasme jamais en défaut. »
Il admire la sagesse sexuelle des natifs qui admettent très naturellement l'existence du troisième sexe, les mahus, hommes-femmes. Pour les habitants de cet Éden qui est Tahiti, se mariant et se démariant comme ils veulent, le sexe est un divertissement, un passe-temps, mais il peut aussi prendre un caractère du rite sacré.
J'ai particulièrement apprécié le chapitre qui parle des débuts de Paul Gauguin : son « vice tardif », la peinture, a explosé sa carrière de nanti et sa vie pondérée et sécurisée avec son épouse légitime Mette Gad, surnommée la Viking pour ses origines danoises. Et aussi le chapitre où il remémore sa vie avec Van Gogh à Arles : « En réalité, Paul nettoyait et Vincent salopait » !
Ainsi, les parcours respectifs, tout entiers, de Flora et de son petit-fils se déroulent par des flash-backs dotés d'un réalisme inouï, des digressions philosophiques, des séjours dans différents lieux. Gauguin voyage : de la Bretagne traditionaliste aux îles Marquises. En ce qui concerne Flora Tristan, elle passe par Auxerre, Dijon, Lyon, Roanne, Saint-Étienne, Avignon, Marseille, Toulon, Nîmes, Montpellier, Béziers, Carcassonne, Bordeaux, avec une conviction sans pareille — et tout cela en 1844, son ultime année. Elle se souvient de Londres, « le comble de l'iniquité » :
« La dernière nuit dans la ville fortifiée [Carcassonne], elle rêva à la cuillère de fer et à son tintement d'outre-tombe. C'était un souvenir persistant qui, d'une certaine façon, symbolisait finalement son voyage en Angleterre : le tintement de cette cuillère métallique, reliée par une chaîne aux bouches d'incendie, dans maints carrefours londoniens, où les misérables venaient étancher leur soif. L'eau que ces pauvres buvaient était contaminée, car avant d'arriver au réservoir elle avait traversé les égouts de la ville. La musique de la pauvreté, Florita. Tu l'avais dans les oreilles depuis cinq ans. Parfois tu disais que ce tintement t'accompagnerait jusque dans l'autre monde. »
Et le Paradis nous semble plus loin que jamais.
Et toi, cher Paul, a quoi rêvais-tu avant de disparaître ? Tu te rappelais sûrement un de ces tableaux où tu avais peint des chevaux en rose crépusculaire galopant dans la baie marquisienne ?
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Une très belle évocation de la vie de Flora Tristan qui fut la grand-mère de paul Gauguin et qui passa un moment de sa vie à Arequipa, ville d'origine de l'écrivain prix Nobel Vargas Llosa. Une vie pleine d'aventures et de rebondissements pour celle qui fut une des pionnières du féminisme.. Un grand moment d'histoire et de sentiments..
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El paraíso en La Otra Esquina
Traduction : Albert Bensoussan, avec la collaboration d'Anne-Marie Casès et le concours de Stéphane Michaud, spécialiste de Flora Tristan

ISBN : 978-2070429295

Pourquoi réunir, objecteront certains, Flora Tristan et Paul Gauguin dans un parallèle biographique que son auteur a voulu le plus fidèle possible mais dans lequel, bien entendu, il romance un peu et nous décrit entre autres de superbes paysages maoris et les images, tout aussi splendides, de l'art du peintre, mort pratiquement méprisé de tous le 10 mai 1903, aux Marquises ? Depuis quelques années, un autre "rebelle à la société" est venu le rejoindre : si vous voulez vous incliner un jour sur la tombe de Jacques Brel, eh ! bien, vous verrez qu'il repose non loin de la tombe de Gauguin.

Pourquoi, donc ? Tout simplement parce que la première, révoltée exclusivement sociale, n'est autre que la grand-mère maternelle du second, révolté à la fois social et artistique, qui fut le chef de file des "Nabis" et dont l'influence se retrouve dans le futur 'Fauvisme".

Gauguin était en effet le fils d'Aline Chazal, seule enfant survivante d'Albert et de Flora Chazal, née Tristan ou plutôt Tristán, laquelle descendait par son père de riches propriétaires terriens péruviens. Certains soutiennent encore qu'elle était le fruit illicite des amours de sa mère avec Simón Bolivar. Ces rumeurs, qui courent toujours, sont évidemment invérifiables mais Flora aimait à les affirmer authentiques car cette pionnière du féminisme, qui eut l'idée d'allier la cause de l'exploitation des ouvriers et celle de l'exploitation des femmes, était, il faut bien le signaler tout de même, un tantinet mégalomane.

Il n'en reste pas moins vrai que Paul Gauguin - et moi-même, j'avoue, à ma grande honte, que je l'ignorais - était le petit-fils de Flora Tristan, décédée à Bordeaux en 1844, à 41 ans, et qu'il passa une partie de son enfance chez son grand-oncle maternel, au Pérou, le très riche, très avare et très puissant don Pío Tristán. Les chapitres impairs sont consacrés à Flora, que l'on voit entreprendre, en 1844, sa dernière "tournée" en France, et les pairs à Gauguin et à sa transformation en "Koké le Maori." Des retours en arrière nous permettent de saisir des reflets du passé de l'une comme de l'autre, ce temps où Flora était une femme au foyer (comme on dirait aujourd'hui) amoureuse folle de son Albert mais dégoûtée par le sexe dès probablement sa nuit de noces, et Paul un trader (comme on dirait aujourd'hui aussi ) que s'arrachait les banques.

Car Gauguin avait le don de l'argent. Jusqu'au jour où le Don, l'Autre, celui qui n'a qu'une majuscule mais qui surclasse tous les autres, le Don de l'Art, qui couvait en lui sans que, apparemment, il le sût (à moins qu'il se forçât inconsciemment à l'ignorer) le frappa, un peu comme l'ange dans ""La Vision Après le Sermon", toile qui date de son séjour à Pont-Aven et qui peut être considérée comme le chef-d'oeuvre qu'il peignit durant cette période.

Si Gauguin, renié par les gens du monde de la finance et même d'ailleurs par certains peintres, a eu des doutes sur sa décision (doutes que nous dépeint d'ailleurs Vargas Llosa), cela ne l'a pas empêché de quitter la France pour la Polynésie française et Tahiti. Il souhaitait retrouver là-bas une Nature et une civilisation que le progrès n'avait pas encore atteintes. Rongé, à compter d'un certain âge par la syphilis qui devait finir par l'emporter en détruisant lentement son corps, son long (et passionnant) séjour à Tahiti où il peignit, entre autres toiles que l'on doit connaître, "L'Esprit des Morts Veille", après le décès du bébé qu'il eut avec sa première femme tahitienne ou "D'Où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?", est ici raconté avec moult détails que l'auteur dans des pages qui restituent à merveille l'univers onirique, à la fois si proche et si éloigné de celui du schizophrène de génie et de peintre suicidé sans gloire que fut Van Gogh, que la magie de son Don transmuait en passant par la magie du pinceau, sa certitude et son obsession d'aller encore plus loin en s'installant aux Marquises (il est alors, sur le le plan santé, quasi "en phase terminale") tient au fait que, à la longue, il trouve Tahiti contaminé par la société occidentale et bien-pensante. Aux Marquises, il s'apercevra là encore qu'il s'est trompé. Gauguin, un peu comme Brel dans "L'Inaccessible Etoile", veut toujours "aller plus loin" - tout à fait comme sa grand-mère Flora d'ailleurs. La perfection ...

C'est celle, inexorable et en même temps miséricordieuse, de la Mort, qu'il trouve enfin aux Marquises, dans cette "Maison du Jouir" qu'il avait bâtie de ses propres mains et dont il avait orné le jardin de deux cruels "totems", celui du prêtre catholique du lieu et de sa maîtresse supposée, Teresa. de nos jours, elle a été reconstituée là où fut construite l'originale, à Atuona et, bien sûr, si vous avez la chance d'aller aux Marquises, ne manquez pas de la visiter. Visitez aussi, plus proche de vous et cela vous permettra d'admirer ma région natale, que Gauguin, ce fanatique des couleurs, aimait pourtant beaucoup ;o), à Clohars-Carnoët, la Maison-Musée du Pouldu, tenue au XIXème siècle par Marie Henry, surnommée "Marie-la-Poupée", qui acceptait que tous les peintres de Pont-Aven logeassent chez elle et se satisfaisait de leurs toiles pour tout paiement. Croyait-elle en leur talent ? Y retrouvait-elle sa Bretagne à elle malgré tout ? En tous cas, la France artistique lui doit beaucoup, assurément ... Et Gauguin aussi ...

Pour en terminer avec "Le Paradis - Un Peu Plus Loin", disons que c'est un livre peut-être inégal (plus inégal que "La Fëte au Bouc") mais si j'écris ceci, cela tient en partie, à mon sens, au fait que la personnalité de Flora Tristan y est admirablement dépeinte et que nous rencontrons une certaine gêne à la découvrir bien plus étriquée et, pire, bien plus puritaine que celle de son petit-fils. Ce qui n'enlève d'ailleurs rien à la noblesse de sa "Quête" personnelle : il lui en a fallu, du cran, pour la poursuivre, sous Louis-Philippe La Poire o) . Les lecteurs s'amuseront sans doute à chercher et trouver des points communs entre Gauguin et sa grand-mère maternelle, point positifs (la Foi, plus mystique il est vrai chez Gauguin, quoiqu'il s'affirmât athée, comme sa grand-mère), points ambigus, tantôt qualités, tantôt erreurs (l'entêtement et une propension à la colère que la carrure masculine du peintre - c'était un baraqué - rend certainement redoutable physiquement alors que, chez Flora, elles demeurent verbales (mais tout aussi terribles et écrasantes de mépris), tantôt négatifs (une déresponsabilisation absolue envers la famille, même si Flora a certainement aimé ses enfants, et une manie épouvantable de bougeotte.) Et n'oublions pas que tous deux étaient bisexuels - tous les défauts, on vous dit ! ;o)

Enfin, peut-on qualifier le désir d'aller plus loin, toujours et malgré les coups et les chutes, surtout chez une pionnière du féminisme (du vrai féminisme ) et d'un des plus grands peintres du monde comme un défaut ? Ils cherchaient, c'est tout et se refusaient parfois à voir que, en cherchant ce qu'ils sentaient tous deux mais sur quoi ils ne pouvaient vraiment mettre un nom ou même une image satisfaisante pour le peintre, ils faisaient mal à ceux qui les aimaient.

"Le Paradis - Un Peu Plus Loin" ne juge ni l'une, ni l'autre. Ce n'est peut-être pas le meilleur ouvrage de Vargas Llosa mais il donne en tous cas en vie de mieux connaître Gauguin - et sa grand-mère aussi. (Enfin, pour moi, c'est surtout Gauguin qui m'a fascinée.)

Lisez-le donc, ce livre, et laissez-vous bercer par la merveilleuse poésie qui s'en dégage, au-delà du réalisme de certaines scènes. Ah ! Et, en fond sonore, pourquoi pas "Les Marquises" de Brel ? ... Vous ne devriez pas regretter ... Bonne lecture ! ;o)
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Que dirai-je de ce livre que j'ai eu envie de relire après être passé, par hasard, devant la tombe de Flora Tristán ? Tout a été dit ou presque. Je ne reviendrai donc pas sur ce que grand-mère et petit-fils représentent et symbolisent. Vous en avez abondamment parlé, souvent avec une grande justesse.
Je m'attarderai davantage sur la façon dont Vargas Llosa nous les présente. Depuis Conversation à «La Cathédrale», l'écrivain péruvien n'a eu de cesse de se renouveler, de chercher la forme et l'écriture la plus appropriée au sujet traité.

«  Flora se rendit compte qu'elle avait les yeux humides. Elle fit un effort pour chasser de son esprit ces souvenirs désagréables, l'important, c'était que ces revers et ces désillusions, au lieu de te détruire, t'avaient rendue plus forte, Andalouse. » Ces deux phrases résument assez bien une des caractéristiques de son style dans ce roman : nous rendre proche des personnages, créer de l'empathie , nous faire partager leur vécu et leurs émotions. Il y parvient habilement en s'adressant directement à eux à l'intérieur de la narration, en les tutoyant et les appelant par leur prénom ou leur surnom : Florita/ Andalouse/ Paul/ Koke/ le Maori…Certains pourront trouver ce procédé un peu étrange et répétitif mais c'est la nouveauté stylistique de ce roman...et c'est une trouvaille.
Ainsi, il nous rend touchante cette Flora, pleine de force et de candeur, avec son charme, son charisme, ses emportements de belle Andalouse (qu'elle n'est aucunement), parcourant ces bas-quartiers dans lesquels s'entasse le peuple des ouvriers et où elle est témoin des pires injustices. Lorsque avec sa prose fluide, naturelle et précise, il nous décrit les taudis des victimes de la Révolution Industrielle, on ne peut que penser aux meilleures pages de Hugo, Dickens ou Zola sur le même thème.
Nous sommes aussi touchés par les tourments de Gauguin, sa folie, sa façon d'être, tantôt odieux et admirable, créateur et poivrot, égocentrique et généreux. Un paumé à la recherche du paradis primiif. Émus aussi par sa déplorable fin où il n'est plus qu'une loque humaine. Seul un grand écrivain peut traduire tous ces états d'âme..et peu importe s'il en prend parfois à son aise avec la vérité. Les encyclopédies sont là pour y pallier. Mais seul l'écrivain, ce grand illusionniste, est à même, à partir du réel, de le transformer, de le transcender, bref d'en faire un objet esthétique qui nous touche et nous émeut. Comme dans la plupart de ses romans ( le rêve du Celte, Temps sauvages...), il réunit une abondante documentation et à partir de là, il lui donne forme et la façonne avec tout son talent. Bref, le paradis...est roman qui nous instruit tout en nous distrayant, selon le principe cher à Cervantès.
A travers ces deux portraits attachants, il écrit le roman de l'utopie, l'un des thèmes récurrents de toute son oeuvre. Deux vies, à l'opposé l'une de l'autre, mais deux destins identiques. Libertaires, passionnés, profondément humains, mais hantés par une quête d'absolu qui leur donne un caractère tragique. Il y a quelque chose de quichottesque dans ce refus de faire leur deuil de leur idéal. Ils vont jusqu'au bout de leurs rêves pour atteindre « l'inaccessible étoile », mais ils «  rêvent debout » - n'est-ce pas L. Salvayre ! - ; leur quête va se solder par un échec et et ils vont y laisser la vie. Ce roman nous dit que le paradis qu'ils cherchaient – recherche éperdue d'un monde pur, primitif, impollué pour l'un, d'un monde où régneraient enfin, égalité, justice et fraternité pour l'autre – ce paradis qu'ils croyaient atteindre, se trouve toujours un peu plus loin, toujours au coin d'une autre rue, pour reprendre le titre original.
Mais, après tout, semble nous dire Vargas Llosa, même si l'utopie ne mène nulle part, l'essentiel pour l'homme n'est-il pas, de croire aux « lendemains qui chantent ».
PS. le monument sur la tombe de Flora Tristán à Bordeaux symbolise bien ce qu'elle représente aujourd'hui. « Sa tombe se compose d'une colonne brisée sur laquelle s'enroule une guirlande de chêne et de lierre. Sur sa partie supérieure est posée l'Union ouvrière, son ouvrage majeur. »








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Deux destins à un siècle d'intervalle : Flora Tristan féministe militante et Paul Gaughin peintre aujourd'hui reconnu. Deux êtres entiers, passionnés, prêt à tout pour défendre leurs convictions. Une alternance des chapitres qui leur sont consacrés, pour faire découvrir ses êtres d'exception qui ont marqué L Histoire avec un grand H. Mario Vargas Llosa est admirable dans sa peinture des faits, des tempéraments, des atmosphères, des obstacles et de leur quête d'absolu. Sa plume est riche, colorée, ombrageuse parfois, mais si poétique. C'est un livre qui mérite une bonne place dans une bibliothèque.
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Très beau livre parfaitement construit.Chaque livre de cet auteur montre une facette différente de son talent.
J'ai lu plusieurs de ses ouvrages et je n'ai jamais été déçue, La fête au bouc, "La ville et les chiens" , "La tante Julia et le scribouillard, " "Le paradis, un peu plus loin" etc............;Une écriture ample et savoureuse !
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Un roman fleuve avec deux récits entrecroisés : celui de Paul Gauguin qui déclarait "Je suis un sauvage" et qui après avoir recherché l'authenticité en Bretagne est parti (sans femme ni enfant) aux Iles Marquises à la recherche d'inspiration plus brute et originelle et l'histoire de Flora Tristan, sa grand-mère, au destin incroyable partie sur l'océan à la recherche d'une nouvelle vie, d'un nouveau destin.
Très bien écrit, captivant et replaçant un morceau d'histoire de l'art dans un contexte sociétal et familial! J'adore.
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J'ai été enthousiasmé, emballé, enchanté - tout ce que l'on veut - par ce livre. J'ai aimé comment Vargas Llosa transformait en roman épique l'histoire tourmentée de ces 2 personnages hors du commun que furent Flora Tristan, la pasionaria de l'Union Ouvrière, précurseur des féministes et son petit-fils (eh oui!) Paul Gauguin, ce peintre "sauvage". La forme du récit avec ces flash-back entremêlés au récit, ce tutoiement des personnages, tout cela m'a subjugué, tout autant que le sujet du livre et tout ce qu'il nous apprend sur ce XIXe siècle où la modernité s'installe mais au prix de souffrances et d'injustices terribles.
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Un beau livre sur les destins entrecroisés de Flora Tristan et de Paul Gauguin . le second étant le petit-fils de la première . Vargas Llosa raconte ces deux vies en alternant les chapitres . Ainsi le destin de la féministe , de la passionaria qui va de ville en ville prêcher la Révolution aux ouvriers s'entrecroise avec celui du peintre employé à la Bourse ,marin , aventurier et enfin peintre à la recherche de l'inspiration et dans une sorte de quête éperdue du bon sauvage qui le mènera à Tahiti puis aux Marquises .
Passionnant... les prémices du socialisme , du communisme et de l'anarchisme où l'on découvre qu'ils furent basés sur des utopies...
Passionnants également les rapports entre Gauguin et Van Gogh car il est montré que le plus fou des deux était certainement le Hollandais mais que Gauguin , loin d'être son persécuteur en fut plutôt la victime ...
Lien : http://www.critiqueslibres.c..
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