Un jour, comme il se trouvait dans la Marche d'Ancône, et qu'il se promenait en mer, dans une petite barque, avec des amis, ils furent pris, tous ensemble, par des pirarates moresques, qui faisaient des incursions dans ces parages, et qui les emmenèrent en Barbarie;et chacun d'eux fut mis à la chaîne et tenu en esclavage; et Philippe y resta, avec bien des ennuis, pendant dix-huit mois. Mais ensuite, une fois, ayant souvent à être en compagnie de son maître, voici que lui vinrent l'occasion et le caprice de faire le portrait de cet homme; il prit dans la cuisine un charbon éteint, et, sur un mur blanc, dessina en piedla figure du maître, avec son habit à la moresque. Sur quoi, d'autres esclaves rapportèrent au maître ce qui leur paraissait, à tous, un prodige: car ni le dessin, ni la peinture n'étaient connus dans ces régions; et ce portrait lui valut d'être délivré de la chaîne, qu'il avait été jusqu'alors condamné à porter. Et vraiment c'est la gloire de cette grande vertu de l'art, qu'un homme à qui est accordé le droit de punir et de condamner soit amené, par elle, à faire tout l'opposé; et qu'au lieu d'ordonner le supplice et la mort il se trouve conduit à se montrer affectueux et à donner la liberté.
GEORGES VASARI est né à Arezzo le 30 juillet 1511. Il a étudié la peinture à Florence, dans l'atelier de Michel Ange, et reçu aussi des leçons d'André del Sarto. Après avoir pratiqué son art à Florence et à Rome, il a commencé vers 1536, à s'occuper aussi d'architecture; et, à la fois comme peintre et comme architecte, il a été l'un des maîtres les plus recherchés de son temps. En 1555 il est devenu, en quelque sorte, le surintendant artistique du duc Côme de Médicis. Il est mort à Florence le 27 juin 1573.
C'est au temps du Magnifique Laurent le Vieux de Médicis, — temps qui fut vraiment un siècle d'or pour les artistes et tous les hommes d'intelligence, — que fleurit Alexandre, appelé, suivant notre usage florentin, Sandro, et surnommé Botticello, pour un motif que nous verrons tout à l'heure. Il était fils de Mariano Filipepi, citoyen de Florence, qui l'éleva avec grand soin, et le fit instruire dans toutes ces choses que l'on a coutume de faire apprendre aux enfants avant de les mettre en apprentissage.
A Rome, Sandro s'acquit encore plus de renommée, parmi les nombreux concurrents qui travaillaient avec lui, aussi bien florentins qu'originaires d'autres villes; et il reçut également du pape une bonne somme d'écus, mais qu'il dispersa d'un seul coup et dépensa jusqu'au dernier, pendant son séjour de Rome, pour vivre au hasard, comme c'était son habitude; et puis, lorsqu'il eut achevé la partie des peintures qui lui était attribuée, et qu'il l'eut découverte, il s'en retourna brusquement à Florence.
Au reste, c'est chose certaine que Fra Filippo travaillait avec une grâce merveilleuse, et composait ses peintures avec un fini remarquable;et de là vient que toujours les artistes l'ont tenu en estime, et que les maîtres modernes l'ont célébré avec les plus hautes louanges, et que, malgré les dommages causés à nombre de ses oeuvres par la voracité du temps, il sera en vénération à tous les siècles futurs.
Giorgio Vasari : Vies des
peintresOlivier BARROT, depuis l'ermitage Sainte Catherine, sur le Lac Majeur en Italie, présente "Les vies des
peintres),
reportagemoderne et concret sur la vie des grands
peintres écrit par un contemporain,
Giorgio VASARI, édité pour la première fois en 1750.