De tout cela (carrière, fortune), il n’est plus question. Jusqu’à la fin, il n’y a plus qu’un réduit circulaire et, tout autour de moi, des machines qui archivent tout ce qui s’effectue, se dit, s’écrit au-dessus : les numéros composés, les regards échangés, les sommes dépensées, les articles commandés. Leurs circuits ont mémorisé autant d’identités qu’il en a été emprunté, autant de préférences qu’il en a été avoué : la taille des portions renseigne sur la nature du foyer (célibataire, couple sans enfants, famille), les marques choisies sur l’âge et la catégorie socioprofessionnelle, donc sur le pouvoir d’achat. Et dans toutes les directions prolifère un texte inlassablement généré par chaque action effectuée – le passage devant les lecteurs et les cellules photoélectriques, les pressions sur les boutons, la composition des mots de passe -, mêlé à chaque parole prononcée, chaque instruction écrite : interminable récit aux milliers de personnages dont je suis le seul lecteur. Ici, il n’y a plus de surface ni de sous-sol : il n’y a qu’un cône de déjection qui emplit tout l’espace, un infini de strates, chaque histoire, chaque personnage, écrasant les autres de tout son poids, compactant couleurs et matières.
Correspondances secrètes, formes invisibles, rapports souterrains : la carte devait révéler tout un monde obscurément pressenti, le projeter sur l’espace terrestre et l’ouvrir à la déambulation. Mais rien n’est apparu : sur les innombrables écrans qui couvrent les murs de mon réduit, il n’y a qu’un interminable défilé de listes de noms, de lieux, de latitudes, d’identités, de signes particuliers, de montants, de dimensions, d’horaires, de cotations et de messages, tout cela à la suite, sans ordre ni signification, comme un long et sinueux ruban de déchets continuellement déposés par les vagues.
Lassé du silence de l'écriture, le narrateur s'improvise parolier et submerge de textes une star dont il admire la voix. Mais malgré son désir, et ses efforts, sa langue peine à devenir sonore, l'entraînant dans une exploration de plus en plus obsessionnelle de la voix, et en premier lieu de la sienne, qu'il a passé sa vie à assourdir. Parviendra-t-il à s'entendre ?
À l'occasion de la parution de son nouveau roman A cappella, dans lequel Philippe Vasset explore à la première personne les liens entre texte et voix, l'auteur propose dans le cadre du festival une expérience d'écoute immersive consacrée aux mutations du timbre d'une seule personnalité, présence sonore familière et terriblement lointaine. L'écoute dans le noir, d'une durée de trente minutes, sera suivie d'un entretien avec l'auteur.
Philippe Vasset est journaliste et écrivain. Il a publié dix livres aux éditions Fayard, dont Un livre blanc (2007), Journal intime d'un marchand de canons (2009), Journal intime d'une prédatrice (2010), La Conjuration (2013), et plus récemment La Légende (2016) et Une vie en l'air (2018). A cappella est son premier ouvrage aux éditions Flammarion.
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Retrouvez toute la programmation du festival sur le site d'Effractions : https://effractions.bpi.fr/
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