Ce tome comprend les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2007. Il s'agit d'une histoire complète qui peut se lire sans rien connaître du personnage, écrite par
Brian K. Vaughan, dessinée et encrée par
Marcos Martin (sauf l'épisode 1 qui est encré par
Alvaro Lopez.
Dans la salle d'attente d'un médecin, Iron Fist (Danny Rand) attend son tour, dans son costume de superhéros. Il souffre d'une élongation. Sur ces entrefaites, Araña pousse la porte de la salle d'attente, elle souffre d'hématomes au visage. Leur discussion est interrompue par Wong soutenant Stephen Strange (dans son joli costume de sorcier suprême) qui vient de recevoir une balle tirée à bout portant. le médecin est une femme qui se fait appeler Night Nurse (Linda Carter) qui prend Strange en urgence, avant ses 2 autres patients. Alors qu'elle commence à soigner Strange, elle s'aperçoit qu'elle est observée par Strange sous sa forme astrale qui lui donne quelques conseils sur la manière de l'opérer, tout en se souvenant de l'époque où il était lui-même l'un des meilleurs chirurgiens du monde. On lui a tiré dessus parce qu'il avait récupéré dans une dimension magique une potion qui pourrait bien être une panacée pour guérir le cancer.
Le personnage du Doctor Strange est apparu pour la première fois en 1963, un an après Spider-Man, créé également par
Stan Lee et
Steve Ditko (les créateurs de Peter Parker). Ses premières aventures ont été rééditées (en VO) dans la collection Marvel Masterworks. Il est possible de lire la suite dans un format noir & blanc sur du papier bon marché dans la collection Essential. Régulièrement, un scénariste talentueux essaye de le remettre au goût du jour sans que ce personnage n'arrive à retenir l'attention du lectorat :
Roger Stern en 1984 (Into the dark dimension), JM
Straczynski en 2004 (
Docteur Strange, tome 1), Brian Michael Bendis en 2009 dans la série Avengers (Search for the Sorcerer Supreme),
Mark Waid en 2010 (The doctor is out), etc. En 2007, c'est donc au tour de
Brian K. Vaughan De tenter sa chance.
Pour les connaisseurs du personnage (ceux qui ont lu les épisodes de Ditko), il apparaît rapidement que Vaughan a conçu son récit de manière à rendre hommage à cette époque, et à l'inscrire dans le présent. le lecteur voit donc passer l'évocation de l'origine de la vocation de Strange et son mentor (Ancient One), son ennemi de toujours le Baron Mordo, la mention en passant du terrible Dormammu et de Nightmare, sans oublier la cape de lévitation et l'oeil d'Agamotto, ou encore l'immarcescible Wong. Vaughan insère même un clin d'oeil à une époque encore plus ancienne en donnant le nom de Timely à l'entreprise pharmaceutique, soit le nom de l'éditeur avant qu'il ne s'appelle
Marvel Comics. Il y a également le nom de la première entité surnaturelle apparaissant : Otkid, une anagramme transparente de (Steve) Ditko. Si cette évocation de l'historique du personnage est plaisante, elle reste très superficielle et très rapide, c'est-à-dire de peu de consistance pour un lecteur familier du personnage, et insuffisante pour un lecteur découvrant ce personnage pour la première fois.
Pour la majeure partie des scénaristes, l'usage de la magie dans les mondes partagés de superhéros relève de la gageure. D'un côté, le narrateur doit fait preuve d'une grande inventivité pour imaginer des sorts surprenants et inédits. de l'autre, le recours auxdits sorts ou entités surnaturelles s'apparentent souvent à un deus ex machina bien pratique, une échappatoire sorti du chapeau pour sortir son personnage d'une situation inextricable (et hop ! J'en appelle au démon ZYXW dont les décharges d'énergie vont pulvériser mes liens). Malgré son ton badin, Vaughan n'échappe pas à cette chaussetrappe, puisqu'il lui faut préciser à mi-parcours sur quel type de cible les sorts de Strange sont efficaces, et dans quelles conditions ils s'avèrent sans effet (une définition malhabile des règles du jeu en cours de route pour une tentative peu convaincante de rationalisation de quelque chose qui relève du magique). En effectuant cette mise au point en cours de route, Vaughan se montre maladroit, tentant d'expliquer que, ah oui au fait, ça ce n'est pas possible, mais par contre ceci l'est. À partir de là, les combats entre Strange et une créature surnaturelle ou contre un autre pratiquant des arts mystiques deviennent totalement artificiels et peu palpitants. Il reste le développement de la romance entre Night Nurse et Doctor Strange qui est assez sympathique.
Marcos Martin utilise un style assez réaliste, avec une simplification significative des formes, dans un hommage discret au style de Ditko sans tomber dans le plagiat ou la décalque. Il a adopté un encrage privilégiant les traits irréguliers, aux dépends des rondeurs. le lecteur peut ressentir au fil des pages que Martin fait des efforts pour produire des images à la fois iconiques, mais aussi légèrement ironiques. Il y a Wong soutenant le corps ensanglanté de Strange ayant perdu conscience, les sourcils arqués de Strange, la tenue stricte de Night Nurse avec le col boutonné (forme douce d'un costume de dominatrice), une vue en plongée sur Night Nurse demandant à un gros monstre de relâcher Strange, ce dernier se préparant à tirer un coup de revolver, etc. C'est sympathique, mais à force d'essayer de concilier premier degré et parodie, Martin finit par nuire à l'intensité du récit qui se veut surtout premier degré. C'est dommage parce qu'il se révèle convaincant dans toutes les scènes impliquant de la magie, trouvant des postures qui en imposent pour Strange tout en renforçant son aura de mystère. Il est un peu moins crédible dans les scènes de combats à main nue, grand classique prouvant que Strange n'est pas qu'un prestidigitateur qui a plus d'un tour dans son sac (mais ressort narratif éculé pour qui connaît déjà le personnage.
Avec cette histoire,
Brian K. Vaughan et
Marcos Martin dépoussièrent un personnage dont la place dans l'univers partagé Marvel est réduite à la portion congrue, faute d'un auteur capable de conceptualiser la magie de manière convaincante. Vaughan réussit un bel hommage aux épisodes de Ditko, sans vraiment réussir à dépasser l'original. Martin exécute des images le cul entre deux chaises, parfois premier degré et convaincante parfois second degré et pas tout à fait raccord avec le ton de la narration.