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Critique de Presence


Ce tome fait suite à No man's land (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 10 réalisés par la même équipe : Brian K. Vaughan pour le scénario, Pia Guerra pour les dessins, José Marzan junior pour l'encrage, Pamela Rambo pour les couleurs, et JG Jones pour les couvertures. Ces épisodes ont eu le droit à une réédition grand format avec couverture rigide : Y le Dernier Homme, volume 1 contenant les épisodes 1 à 10.

Le temps est venu pour Yorick Brown, l'agent 355, le docteur Allison Mann et Ampersand de quitter Boston, pour essayer de rallier son laboratoire secondaire en Californie. Toujours déguisé avec un masque à gaz, Yorick négocie un voyage en passager clandestin dans un train, dans le fourgon à bestiaux. En effet, il n'y a plus de vols par avion dans la mesure où tous les hommes sont morts, soit 95% des pilotes. le voyage laisse du temps au petit groupe de papoter. Ce moment de convivialité au milieu des bestiaux prend fin quand 2 femmes font irruption pour détrousser les voyageurs. Yorrick est éjecté du wagon, et il se retrouve dans une ville qui semble avoir surmonté la disparition des hommes, en particulier avec le rétablissement du l'électricité. Il est pris en charge par une douce jeune femme prénommée Sonia. Non loin de Boston, le groupe des amazones mené par Victoria continue de pourchasser ce qui est déjà une légende : le dernier homme vivant. Victoria prend un ascendant de plus en plus important sur Hero Brown, la soeur de Yorick.

Avec cette deuxième histoire, le lecteur retrouve les caractéristiques de la série, posées dans le premier tome. En particulier, l'intrigue est plus portée par les dialogues que par l'action, ce qui représente toujours un défi pour le dessinateur, ou ici la dessinatrice. Fort heureusement, il y a une bonne complémentarité entre Vaughan et Guerra, avec le premier qui pense à concevoir des scènes dans lesquelles les personnages sont en train d'agir (gestes du quotidien ou déplacements) pendant qu'ils parlent, et la seconde qui utilise des mises en scène simple (sans être statiques) avec des personnages normaux (sans être fades). Ce dernier point est à la fois un atout pour la série et une limite. C'est une limite parce que sans être fades, les personnages sont peu remarquables, très ordinaires, presque trop ordinaires pour vraiment retenir l'attention sur le plan visuel. C'est un atout parce que le scénario de Vaughan requiert des personnages ordinaires, sans capacités sortant de l'ordinaire, avec un langage corporel normal. Sur ce plan, Pia Guerra s'en sort remarquablement bien, évitant les poses stéréotypées des comics de superhéros. Il n'y a qu'un seul faux pas quand Yorick menace quelqu'un d'un pistolet où il adopte une position à la fois gauche et stéréotypée. C'est un atout parce que cette apparence parfois édulcorée permet de dessiner des éléments provocateurs sans qu'ils n'en deviennent choc en phagocytant la narration ou la sensibilité (les fesses nues de Yorick sont tellement banales qu'elles sont dépourvues de caractère érotique, par contre la situation ne manque pas de piquant). de la même manière les cicatrices de mammectomie des amazones sont dérangeantes par leur présence, par l'acte de mutilation qu'elles évoquent, sans relever du gore ou d'un attrait malsain pour la chair maltraitée. C'est toujours un atout parce que Pia Gerra prend soin de dessiner des femmes avec des morphologies variées, et des expressions nuancées. C'est parfois un désavantage parce que les éléments de décors sont fades, sans texture, trop propres sur eux (même quand ils bénéficient d'une pleine page comme la locomotive).

Brian K. Vaughan ayant présenté ses personnages dans les premiers épisodes, il peut maintenant consacrer son récit à l'intrigue, aux caractères, et à des thèmes abordés avec délicatesse. L'une des grandes réussites sur le plan des personnages réside dans les dialogues qui portent à la fois des informations faisant avancer l'intrigue, et la réaction des personnages traduisant leur état émotionnel. Vaughan évite les états émotionnels exacerbés pour rester dans une palette correspondant à des gens normaux, dans une situation extraordinaire. La seule exception concerne les amazones des féministes jusqu'auboutistes souhaitant l'extermination du genre masculin jusqu'au dernier. Leur forme de fanatisme apparaît d'autant plus déplacée qu'elles s'opposent à Yorick, un homme à l'opposé de tous les clichés de la virilité, un jeune homme digne de respect et simple. Son seul souhait dans un monde peuplé uniquement de femmes est de rejoindre celle qu'il aime.

De page en page, le lecteur peut apprécier l'humour taquin de Vaughan, que ce soit quand Yorick se fait rembarrer parce qu'il a demandé son âge à une femme, ou quand Sonia lui indique de quelle couleur est sa culotte. Il peut se laisser porter par l'intrigue avec une scène relative au talisman du docteur Frozan Hamad, et les agissements de Alter Tse'elon, la poursuite dont Yorick fait l'objet, et la rencontre entre Hero et son frère. Il peut apprécier les clins d'oeil à différentes formes de cultures populaires, de David Bowie et L'homme qui venait d'ailleurs, au voyage des clochards itinérants à bord des trains au début du vingtième siècle (avec les brigands attaquant les plus démunis).

Il est aussi possible de s'imprégner des problématiques que Vaughan met en scène le plus naturellement du monde à partir du postulat de départ (la disparition de la population mâle). Ainsi le lecteur pourra apprécier la brutalité des questions de Victoria ("Te souviens-tu de la première fois où tu as vu son pénis ?") qui font prendre conscience d'une facette de la relation homme/femme. La question facétieuse relative à la couleur de la culotte de Sonia évoque la fonction de séduction de la lingerie. En avançant encore, le lecteur prend conscience que ce monde de femmes doit repenser les fondements de la société, ses principes de base. À ce titre, l'exemple de démocratie dans la petite communauté de Marrisiville (Ohio) est édifiant. Comment accepter et intégrer la possibilité d'une rédemption, et donc laisser une seconde chance à des individus ayant fauté aux yeux de la société ? Faut-il penser comme 1 ou 2 personnages que le crime est masculin ? Quelle forme de justice adopter dans un monde condamné (pas d'homme, pas de naissance, pas de renouvellement de la population) ? Vaughan réussit également à intégrer un regard complexe sur l'influence d'un individu sur un autre par l'entremise de la relation entre Victoria et Hero Brown. La disparition soudaine des hommes sert de révélateur des conséquences d'une société historiquement dominée et conduite par les hommes.

Après un tome d'introduction sympathique, Brian K. Vaughan prouve au lecteur toute la richesse thématique de cette situation extraordinaire et catastrophique, sans rien sacrifier de l'intérêt de l'intrigue. Pia Guerra prouve que son style banal et commun est bien adapté à la nature du récit, même si il peut paraître fade sous certains aspects.
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