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Le cahier volé à Vinkovci est celui de la mère du narrateur alias l'auteur serbe Dragan Velikic. D'une enfance passée entre une mère dominante et un père absent qui vogue sur la mer, Velikic en garde une mémoire fragmentée et hasardeuse. À la nouvelle de la mort de sa mère, qu'il apprend alors qu'il vit à Budapest, il se retrouve face à une question cruciale à laquelle il peine à trouver une réponse :" Pourquoi je me trouve là où je suis, dans un appartement loué du boulevard Erzsébet à Budapest ? D'où vient cette femme à côté de moi ? Ce monde qui nous entoure. Ce moi ? Différent du modèle auquel j'étais censé me conformer. Au début tout était logique, prévisible, clair. le monde comme un catalogue. Je suis parti de là. Et je me suis retrouvé dans un quotidien que je ne voulais pas, dans une vie qui n'est pas la mienne. Avec des habitudes et des pratiques qui me sont étrangères. Sans un ordre logique des choses à faire journellement. Que s'est-il passé pour que j'accepte de manger ce que je n'aimais pas ? Je fais ce que je n'aime pas ? Je dis ce que je ne pense pas ? Je crois que la femme à mes côtés sait mieux que moi comment je me sens. Je vis avec des valises non défaites. Avec un pied en retrait. À la recherche permanente du point stable pour souffler, découvrir les erreurs et alors, ainsi régénéré, aller dans la bonne direction. Car ce que je vis maintenant ne peut pas être ma vie. Rien n'est à sa place."
C'est à partir de là qu'il décide de voyager dans le passé pour arriver à comprendre le présent, un voyage dans sa propre vie, celles de ses parents et d'autres personnages qu'il a côtoyé. C'est aussi un voyage à travers le XXiéme siècle dans la péninsule d'Istrie , et de Salonique à Trieste. le fameux cahier volé une nuit de novembre 1958, à la gare de Vinkovci où sa mère consignait les noms d'hôtels où elle séjournait , ses rêves et les histoires qu'elle inventait, sera son carnet de route fantôme . Ce cahier, le lieu de naissance de nombreuses illusions que sa mère laissera en héritage à lui et à sa soeur, l'ajournement du plaisir, la peur de l'accomplissement des désirs, l'obsession des cimetières, et La " ferme conviction que l'oubli n'est qu'une variante de la mémoire, conservation suprême de l'héritage pour la descendance."
Un livre profond doté d'une prose subtile, en deux parties, et une troisième comme épilogue . Dans la deuxième partie l'auteur change de style de narration, se distancie de lui-même, et parlant de lui à la troisième personne nous plonge dans l'histoire des Balkans dans la première moitié du XX éme siècle à travers l'histoire d'une autre femme qu'il connut enfant, et qui fut pour lui le symbole de la femme libre comparée à sa mère coincée dans ses principes et ses convictions.
Un livre pleine de nostalgie chargé des images du "Monde d'hier" , un monde qui n'existe plus. Mais pour l'écrivain "le passé n'est jamais fini, il ne cesse de se perfectionner", il englobe plusieurs vies, dont celles d'autres personnes qu'on a aimé, qu'on a admiré ,qu'on a approché, une infinité de possibilités !

Merci gonewiththegreen.



"Fréquenter le passé signifie le parfaire, l'invoquer et le vivre, mais puisque nous le lisons dans les traces qu'il a laissées, et que ces traces sont dépendantes des hasards, de la matière, plus ou moins friable, dans laquelle elles sont communiquées, de différents événements dans le temps, ce passé est alors chaotique, hasardeux, fragmenté…" Witold Gombrowicz.
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Quel livre original ! Je vais avoir beaucoup de mal à traduire mon ressenti.
Je remercie tout d'abord Babelio et les éditions Agullo pour leur confiance.

Ce livre se déroule en deux parties. Dans la première l'auteur revient sur les lieux , les personnages qu'a rencontrés ou visités sa mère et que lui même a connus durant son enfance. On visite Pula, la cote de l'Istrie, on pose ses valises à Rijeka, on fait un détour par Belgrade, Salonique , Budapest.
Il y a des barons, des professeurs de musique , des militaires, des horlogers et le peuple. Beaucoup de femmes , courageuses, libres.
La mère est autoritaire , péremptoire et éduque ses enfants avec poigne , sans se soucier du regard d'autrui. le père, marin, est souvent absent et l'auteur vit au grès des rencontres de sa mère dont une des obsessions est de noter sur un cahier tous les lieux visités, et notamment les hôtels. C'est ce fameux cahier qui va disparaitre et que l'auteur va tenter de ressusciter avec ses mots. Dans une très belle langue.

Dans la deuxième partie , on va plus particulièrement s'intéresser à une protagoniste de la première partie mais aussi à l'auteur, comme si le stylo avait été prêté à une tierce personne pour le dépeindre .

Cela peut sembler déroutant, tous ses personnages qui se croisent mais c'est tellement bien fait que cela passe "crème".
Il y a beaucoup de questionnements dans ce livre , de mélancolie, ces terres traversées de Triestre à Salonique qui ont changé de propriétaires au cours du siècle dernier, ces exodes d'Italiens , de Turcs .
La mélancolie suite à travers les photos qui incitent à la nostalgie , à travers les regrets d'actes manqués.
Un livre indescriptible , très bien écrit, un tourbillon de personnage qui ont vécu sur ces terres au XXème siècle.

Un beau portrait de mère aussi, touchant, déroutant. Comme tout ce livre.
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Ce beau livre est exigeant. Pour moi, il a nécessité une approche géographico- historique qui demeure insuffisante, tant cette péninsule de l'Adriatique nommée Istrie a été secouée par L Histoire, depuis l'époque romaine. Après la chute de l'Empire romain d'occident, elle fut envahie par les Ostrogoths, puis reconquise par l'empire byzantin,conquise par Charlemagne à la fin du 8ème siècle, on la retrouve au 11ème siècle comme unique point de jonction entre l'empire germanique et l'empire byzantin. Au 15ème siecle le sud ouest et les côtes de la péninsule appartiennent à la République de Venise, tandis que le Nord Est est sous l'autorité des Habsbourg. Napoléon, puis l'Empire austro hongrois s'empareront aussi de cette terre, mais à la fin de la première guerre mondiale l'empire austro hongrois se démembre, et l'Istrie passe d'abord à l'Italie, mais la conférence de Versailles l'attribue finalement au Royaume des serbes, croates et Slovènes.La fin de la seconde guerre mondiale voit l'Italie refluer et ne conserver que Trieste, actuellement 90% de l'Istrie appartient à la Croatie, le reste à la Slovénie qui conserve un difficile accès aux eaux internationales de l'Adriatique. Sous le régime communiste de Tito, l'Istrie a subi une épuration politique voire ethnique de la part de ce dirigeant. Il y a encore des italophones (environ 10% ) en Istrie, une minorité de serbes et de slovènes, et 70% de la population actuelle est croate.
Ce long préambule pour aider à comprendre que l'écrivain serbe qui signe l'ouvrage , né en 1953, c'est à dire en pleine époque titiste, et qui a vu la dislocation de la Yougoslavie, a grandi dans une société multi linguistique et multi ethnique faiblissante tandis que le communisme imposait son glacis, assassinant aussi d'anciens combattants du fascisme italien dominant la péninsule durant la seconde guerre mondiale. Il est intéressant de noter l'obsession de l'auteur pour l'émiettement, le morcellement de la mémoire dans le vieillissement cérébral et la maladie d'Alzheimer: ce qu'il craint aussi à l'échelle des nations concernant l'émiettement de la mémoire , la perte du souvenir de pays ou de lieux où s'entendaient des cultures et des langages différents et se comprenaient aussi des civilisations d'origines très variées. le titre du livre évoque une perte, un vol, celui du cahier où la mère de l'auteur, qui vécut avec ses enfants dans des hôtels une grande partie de sa vie, notait les noms de ces établissement afin d'en conserver la mémoire et donner une traçabilité faute de stabilité à sa vie non choisie de nomade. La perte réelle comme métaphorique de cette mémoire maternelle constitue dit l'auteur son acte de naissance en tant qu'écrivain, d'abord en tant qu'auteur de romans, puis dans un second temps 'mémorialiste s'efforçant de réunir les souvenirs de plus en plus épars de sa mère , encouragé par celle-ci qui lui enjoint de plonger en lui-même pour trouver matière à écrire autre chose que de la fiction. Une mère incroyable, bien plus mère que femme , qui garde ses enfant une heure auprès du poêle après leur shampooing, de peur que leur cerveau ne soit détruit par le froid de la chevelure mouillée, qui n'hésite pas à prendre à partie les baigneurs de la plage qui y abandonnent leurs détritus, ou les spectateurs des salles de ciné qui mâchonnent des confiseries durant les séances.Ses erreurs considérables ( ne pas acheter des maisons splendides vendues alors pour trois fois rien, de peur de se tromper, faire une carrière erratique dans l'enseignement pour rester au plus près de ses enfants, jusqu'à son mariage dont elle mettra en doute la pertinence, même si , au fond, elle n'aurait selon moi pu supporter que cet homme-là, marin et donc le plus souvent absent.)..L'auteur reprend à son compte les indignations maternelles, tout en en fuyant l'emprise ."Ils ont gagné maman. Les gens de la plage sont devenus les maîtres du monde.Indifférents, abrutis par le plaisir, ils se baguenaudent sur les destinations exotiques;. Ils ignorent la valeur des choses.Derrière le masque de la liberté, ils cachent leurs âmes misérables[...] Des hordes de touristes déferlent de partout. Ils ont pollué la planète entière."
En face de cette mère, une femme qui semble , elle, n'être que femme, fascine l'enfant qu'était alors l'écrivain. Il passe ainsi des heures, assis dans l'appartement de Lizeta, à examiner les photos collées au mur de sa chambre. Cette femme, grecque d'origine, a grandi à Salonique, puis a été envoyée à Trieste par sa famille pour y étudier le chant. Elle y a passé cinq ans, jusqu'à la catastrophe de l'incendie de Salonique, qui a détruit des quartiers entiers et tué toute sa famille.
Par des allers et retours entre la vie de ces deux femmes, Dragan Velikic fait surgir en nous des images, des lieux, des noms inconnus qui forment comme des îlots, puis des archipels de mémoire, de plusieurs mondes disparus .Dans la deuxième partie de son livre, plus ramassée et plus conventionnelle, il conclut:"Ce n'est plus le pays où j'ai grandi, mais un terrain où les tricheurs, arracheurs de sacs et acrobates amusent la foule stupide.Je sais, ce n'est pas mieux ailleurs .Je suis tombé en cette époque.Il y a des siècles où commandent les Vandales, les Huns, les Wisigoths, quand on se coule dans le poing serré de la pensée unique.Lorsque la bêtise commande, lorsque les rustres envahissent le monde. Car les Barbares finissent toujours par arriver."
Je remercie infiniment les Editions Agullo pour cet envoi, ainsi que Babelio et Masse critique. J'ai découvert une écriture, un écrivain magnifiquement servi par sa traductrice Maria Bejanovska, interprète à la Présidence française et au Ministère des Affaires Etrangères.
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Un voyage dans le temps, dans l'espace, ou plutôt les espaces, dans la mémoire, mais celle de qui ? de la mère du narrateur (auteur?) qui dans le cahier volé avec d'autres objets, sans doute plus précieux pour les voleurs, notait de manière obsessionnelle les choses, en particulier les hôtels où elle avait séjourné. Et le fils va de la même manière tenter d'arracher à l'oubli, à la disparition définitive, ses propres déplacements, qui dans un premier temps sont les mêmes.

Le père, marin, peu présent, et visiblement même lorsqu'il était là physiquement, n'a pas imprégné de la même manière que la mère, envahissante, angoissée, voulant imposer une manière de vivre, de penser. Toujours présente, malgré sa mort. Présente dans les gestes, les doutes, les obsessions, les souvenirs. le passé qui est toujours là, qu'il s'agit de traquer, dans les lieux, les objets. Qui peut ressurgir dans une rencontre, une ressemblance. Comme cet ancien camarade de classe qui rend quarante ans après, des tables de logarithmes, inutiles mais essentielles, comme une balise qui marque un lieu sur la carte de la mémoire.

Evidemment les lieux, les décors, les bâtiments, les gens, changent, disparaissent. Mais quelque chose peut toujours surgir, rappeler, faire croire à l'immuable, à une forme d'éternité. Il s'agit de traquer, de ne rien laisser passer, de retenir. Mais la mémoire peut se montrer infidèle, comme celle de la mère atteinte à la fin de sa vie d'Alzheimer. L'oubli de telle personne ou de tel événement en est-il le signe précurseur ? Une angoisse envahit par moments le narrateur.

Mais il est aussi écrivain, romancier, qui invente, qui modifie. Et il tente de reconstituer la vie, les sensations, d'une amie de sa mère, chez qui il a vécu quelques jours, avec la sentiment de toucher au paradis, chez cette femme si différente de sa mère. Les deux cheminements se croisent. C'est que les Balkans sont des lieux qui ont connu des guerres, des changements de frontières, des déplacements de population. La ville de Pula, point central dans l'existence du narrateur, qui n'est plus dans son pays, qui n'est plus son lieu de résidence, qu'il trouvait ennuyeuse, qu'il voulait fuir dans sa jeunesse, est un point de fixation, qu'il ne peut quitter, où il revient à la recherche de lui-même. Dans le même geste, il imagine que Lizeta éprouvait la même chose pour Thessalonique où elle est née, où ses parents sont morts, dont elle a été exfiltrée. Mais le voyage de Lizeta, tel qu'il le raconte, apporte la paix, l'acceptation de soi-même, l'ouverture à tous les possibles, une forme de libération. Cela ne semble pas être le cas des retours à Pula pour le narrateur, qui tournent en rituel sans fin.

Un très beau livre sur la mémoire, sur le lien avec le passé, avec ses proches, mais aussi en filigrane, avec l'Histoire. Car elle est présente à chaque instant, avec ses vicissitudes, ses écueils. Elle modifie les existences, les destins, fixe un champ des possibles à un moment donné, dans lequel chacun essaie de se trouver une place, un interstice, pour tenter de vivre sa petite histoire individuelle. Avant de s'effacer et laisser place à d'autres histoires, qui sont imprégnées de celles qui les ont précédées, qui en gardent trace.
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Comment écrire sur ce splendide ouvrage qui ne se laisse pas saisir ? La structure en est indéchiffrable au lecteur, telle une oeuvre musicale de Webern dont on ne peut que ressentir l'ineffable beauté. Livre sur la mémoire, les lieux, tout à la fois hommage à une mère et aux gens de cette partie de l'Europe traversée par les guerres , les exils, hommage à cette Yougoslavie disloquée, comme cette mémoire qui s'échappe. Passé, présent, morts et vivants , réel et fiction, Histoire et quotidien s'entremêlent en une ronde qui m'a emportée et qui m'a laissée, une fois disparue, un sourire sur le visage .
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Dragan Velikic est un écrivain et diplomate serbe, le cahier volé à Vinkovici est traduit du Serbe mais il se déroule entre Pula, Rijeka et des villes d'Istrie qui se trouve maintenant en Croatie et Belgrade où sa famille s'est installée après avoir quitté Pula.  Il évoquera aussi Ohrid en Macédoine, Ristovac à la frontière Turco-serbe, maintenant en Serbie. Mais pas seulement en Ex-Yougoslavie, Budapest , Trieste et surtout Salonique.

Une carte de l'Istrie m'a été indispensable pour localiser les plus petites localités de Rovinj, Rasa, Opatija....

Géographie et Histoire :
l'Istrie a été italienne du temps de Mussolini qui y a construit une ville-modèle à Rasa. Occupation par les Alliés à la fin de la guerre quand les frontières ont changé. Fiume est devenue Rijeka...Histoire aussi plus ancienne quand Trieste était autrichienne. Les fantômes des anciens habitants hantent les maisons et les appartements.

"Je feuillette à l'aveuglette le gros livre de la mémoire. Il en sortira bien quelque chose."

C'est un livre sur la mémoire, la mémoire de sa famille, la mémoire de sa mère qui est en train de la perdre, malade d'Alzheimer dans une maison de retraite. Mémoire perdue dans le train avec le déménagement de Belgrade à Pula avec ce cahier volé

"Dans le cahier volé à Vinkovci, elle ne notait pas seulement les noms des hôtels et des pensions où elle avait séjourné, les histoires et les contes de fées qu'elle inventait, incitée par une puissante exigence de justice, de vérité, mais aussi ses rêves."

Evocation de la mère et de sa personnalité originale.

Comme Mendelsohn et Sebald , Velikic mène son enquête de manière circulaire. Il tourne et retourne, digresse, retrouve d'anciennes photographies, interroge des témoins comme le vieil horloger nonagénaire. Il fait revivre les anciens souvenirs familiaux comme ceux de son grand père cheminot. Surtout il raconte l'histoire de son ancienne voisine Lizeta, grecque, italienne et juive de Salonique dont les anciennes photos ont enchanté son enfance. L'incendie de Salonique (Aout 1917).

J'ai beaucoup aimé ce livre qui m'a promené dans des contrées que je ne connaissais pas. J'ai aimé ce regard sur la désintégration de la Yougoslavie, serbe mais aussi cosmopolite, critique  sans  parti pris nationaliste alors que la folie nationaliste a mis le pays à feu et à sang. Au contraire il dessine un palimpseste où interviennent les histoires, les photos de ses ancêtres , des voisins, et même d'inconnus comme les occupants anglais ou allemands à Pula.

"Comme étaient déterminants pour la survie de ce monde les socles invisibles sur lesquels grouillaient des vies si différentes ! Héritages, légendes, traditions séculaires, histoires privées – plongées dans la réalité socialiste avec ses rituels et sa propagande assurant la cohésion de ce monde – grouillaient sous la surface du quotidien."
Lien : https://netsdevoyages.car.blog
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Pour le philatéliste amateur, en sa lointaine jeunesse, et amoureux de l'Europe Centrale et des Balkans, leur histoire mouvementée et leur géographie, le cahier volé de Vinkovci est à l'instar de son auteur serbe un voyage chargé d'émotion dans le passé et dans l'espace. Et de se rappeler ces timbres italiens surchargés "Istria" ou les nombreuses émissions de Fiume (aujourd'hui Rijeka, en Croatie). le narrateur du livre trace donc les contours d'une époque révolue, volant de Trieste à Salonique, en passant par Pula et Belgrade, entre autres. Il ne s'agit pas d'un roman mais d'un ouvrage très personnel qui comme la mémoire sinue et hoquette, s'attardant sur une mère qui a fini sa vie en maison de retraite, atteinte par la maladie d'Alzheimer et une autre femme, à la vie plus aventureuse, fascinante et insaisissable. Les allers et retours vers le passé sont constants dans le cahier volé à Vinkovci et la toponymie omniprésente comme pour un Modiano qui aurait troqué la France pour cette Europe du XXe siècle où surgissent les ombres des empires défunts, Ottoman et austro-hongrois, sans parler de l'ex-Yougoslavie. le plaisir du lecteur à ces évocations ondoyantes et assez obsessionnelles, il faut bien le dire, dépend de son acceptation ou non à entreprendre un périple sans passeport ni visa, aux confins d'un monde perdu qui ne survit que dans les souvenirs des plus anciens. Un labyrinthe spatio-temporel qui peut égarer, naturellement.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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C'est ma première incursion dans la littérature serbe et je dois cette découverte à l'opération Masse Critique de Babelio et au partenariat avec les Editions Agullo (que je ne connaissais pas).

Je découvre donc cet auteur, Dragan Velikić, un écrivain serbe connu et reconnu, lauréat de nombreux prix littéraires. Dans le Cahier volé à Vinkovci, il propose un voyage dans l'Istrie, un petit bout de la Croatie qui appartenait autrefois à la Yougoslavie. Car il faut se rappeler que l'éclatement de cet État est un évènement récent. Dragan Velikić est né à Belgrade mais a vécu toute son enfance aux quatre coins de l'Istrie, séjournant dans un hôtel, puis un autre, au gré des déplacements de ses parents.

Sa mère avait l'habitude de noter tous leurs séjours dans un cahier, qui lui fut volé avec tous leurs biens dans le convoi qui transportait leurs affaires d'une ville à une autre. Elle ne s'est jamais remise de cette perte. Ce cahier marque le point de départ du voyage dans le temps que fait l'auteur. Nous irons à Rovinj, Rijeka, Pula… Autant de villes qui m'étaient totalement inconnues et que j'ai aimé parcourir au fil des pages.

Il revient sur son enfance, auprès d'une mère au fort caractère. Elle n'a jamais semblé heureuse, plutôt frustrée de son existence. Elle n'aurait pas épousé le bon mari par exemple. L'affection qu'elle montrait à ses enfants était en retenue, comme s'il fallait avant tout qu'ils comprennent qu'il ne faut pas attendre de cadeaux de la vie. A Pula, où il a le plus longtemps vécu, Dragan se remémore la voisine d'en face, une grecque de Salonique, chez qui il allait souvent et qui lui racontait d'où elle venait. de ce qu'elle avait vécu. C'est un des personnages les plus importants du roman.

Ce flux de souvenirs n'obéit pas à une chronologie claire. On passe de l'enfance à l'âge adulte, lorsque Dragan va rendre visite à sa mère en maison de retraite. Elle perd petit à petit la tête et parle souvent des villes qu'ils ont connue. Mais jamais le lecteur ne se sent perdu

En racontant la géographie et l'histoire de l'Istrie, on se sent riches de connaissances et de rencontres. Moi qui ne connaissais absolument rien de ce territoire, pas même le nom, je sais maintenant qu'il y a eu un brassage culturel énorme, avec des Italiens surtout venus d'en face, de l'autre côté de l'Adriatique, et qui ont longtemps occupé ces terres. le voyage dans le temps est aussi intéressant pour la géopolitique, les conflits, les guerres…

Mais c'est plutôt tout ce qui concerne l'identité culturelle qui m'a marquée. En refermant ce livre, que j'ai lu intensément, passionnément, me sont restées des images, des visages, des tranches de vie, des émotions. Je me sens comme si j'avais moi-même voyagé, et que je ramenais dans mes bagages des souvenirs de rencontres qui m'ont enrichies.

Quant à l'écriture, c'est le summum. Elle est d'une beauté ! Quelle maîtrise de la langue ! Bravo à la traductrice Maria Bekanovska, j'ai pris un tel plaisir à lire ce roman. Une véritable symphonie dont la musique entêtante m'a charmée du début à la fin.

Je suis ravie d'avoir eu l'occasion de lire cet ouvrage qui m'a emballée comme rarement. J'ai pu aller à la rencontre d'un auteur, d'un territoire, d'une littérature inconnue et d'une maison d'éditions. le numérique a le vent en poupe, mais le numérique ne permet pas d'apprécier la qualité d'une reliure, le toucher d'un beau papier, le plaisir de tourner les pages. En plus d'aimer le contenu, j'ai aimé l'objet. Deux très bonnes raisons de suivre la production des Editions Agullo.

Un coup de coeur sur tous les plans.
Lien : https://lejardindenatiora.wo..
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Livre d'une mémoire morcelée, itinéraire brisée et désinvolte entre Trieste, Pula et Salonique, entre la mémoire de la mère du narrateur, des hôtels où elle a été, d'une amie de sa mère et surtout de la manière dont les souvenirs se dérobent, s'agencent, reviennent. le cahier volé à Vinkovci est un récit magistral, son désordre apparent, ses détours, la plasticité de la prose de Dragan Velikic, donne une image saisissante de l'Istrie, de son histoire pleine de manipulations et de séparations.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Cet ouvrage est un livre que j'avais remarqué par hasard lors de mon passage dans une grande librairie de ma ville. Les deux termes "Vinkovci" et "Velikic" m'ont tout de suite interpellé sur les consonances balkaniques. Je dois dire que le résumé ne m'a pas vraiment emballé au premier abord et j'ai dû même le relire pour comprendre l'histoire et à quoi je devrais m'attendre...

Après une première partie qui un peu longue à se mettre en route, je commence à m'accrocher au roman vers la centaine de pages. A partir de ce moment là, l'accroche est bonne et je me jette dans la lecture comme un affamé jusqu'à sa fin.

L'histoire aborde le voyage du narrateur entre les différentes régions qui composent la péninsule Balkanique. Sur fond d'histoire, le lecteur est envoyé en Croatie (Pula, Zagreb, Rijeka), Italie (Trieste), Serbie (Belgrade) et Grèce (Thessalonique). Il décrit sa mère comme un fardeau durant sa jeunesse, elle est omniprésente et contrôle tous les faits et gestes de ses deux enfants. Cette mère vit à travers ses enfants, ils sont un moyen de s'exposer, elle est rigoureuse, refuse les plaisirs de la vie et profite de l'absence du père marin pour régler la jeunesse des enfants.


Durant ce roman, le narrateur revient continuellement sur le personnage de Lizeta Benedetti, sa tante et décrit une quête sur ses traces en tentant de retracer les grands éléments de sa vie entre Trieste et Thessalonique. Il plonge le lecteur dans la vie de l'époque où Thessalonique était cette ville aux carrefours des peuples et des religions, où se côtoyaient Macédoniens, Serbes, Grecs, Juifs et Turcs.

Le narrateur formule quelques avis sur la vie en pays Yougoslave. Il n'y a pas de frontière mais on peut percevoir nord et sud. Tout le monde parle la même langue...

Tous les éléments de contexte sont regroupés dans cet ouvrage avec le train "Orient Express": Vienne-Belgrade-Budapest-Thessalonique"; la grande incendie de Thessalonique en 1917, la langue ladino parlée par les juifs d'origine espagnole et enfin la catastrophe d'Asie Mineure...

Tout y est pour bien comprendre la complexité de cette région multiculturelle, instable par l'histoire et les guerres.

Un roman historique qui captive tout amateur des Balkans et de ces échanges interculturels sur fond d'histoire.
Lien : https://deleurme.blogspot.com/
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