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Critique de HordeDuContrevent


Ce que je préfère dans la SF ce sont les romans post-apocalyptiques. Certes, beaucoup d'auteurs ont écrit dessus à tel point qu'il est rare de voir des scénarios vraiment originaux émerger. C'est vrai. Mais les visions offertes de cet après qui nous pend au nez ont le don souvent de me fasciner. Sans doute parce que je lis assez peu de SF et que je suis du coup bon public. Je m'enthousiasme, mi- fascinée mi terrifiée, en véritable éponge je garde en moi, telles de drôles de collections, les images proposées. J'y pense souvent. Visions désertiques, visions sous-marines, visions optimistes, visions catastrophiques… after® ne fait pas exception et je vais garder longtemps les images de la Terre dans 3000 ans imaginées par la jeune Auriane Velten dont il s'agit du premier roman. Les images mais aussi le mode de vie, l'organisation sociétale que l'auteure propose. Fascinant…

J'ai profondément aimé ce livre. J'ai pu l'apprécier à sa juste valeur parce que je ne savais pas du tout à quoi m'attendre. Tout s'éclaire peu à peu, au fur et à mesure de la progression de l'intrigue. C'est subtil et dévoiler certains éléments serait détruire cette découverte progressive qui m'a énormément plu et fascinée.

Le « tout » que j'évoque englobe à la fois notre devenir en tant qu'humains (que sommes-nous devenus des milliers d'années après ? comment vivons-nous ?) et en tant que société (quelle forme d'organisation suivons nous ? quelle technologie utilisons nous ?). Il englobe également notre humanité (quels sont les rapports entre les gens, entre les hommes et les femmes, avec les animaux, la nature ?), notre mémoire collective (Quel lien entretenons nous avec le passé ? Où en sont les connaissances scientifiques et techniques ?). Ce tout est abordé sous un angle philosophique, psychologique mais aussi poétique. Et c'est également ce qui fait la richesse de ce livre.

Sans dévoiler l'intrigue, voici le contexte de départ du livre : un grand cataclysme a décimé l'humanité qui vit aujourd'hui, à l'écart des terres renoncées, une utopie collective autour d'un baobab, le reste du paysage étant monochrome, terre ocre et végétation racornie. Nous nous situons dans 3000 ans. le millier d'humains restant suit aveuglément le Dogme dont il récite les mantras, ensemble de règles qui les empêchent d'exprimer leurs sentiments, d'être curieux ou créatifs, les humains doivent rester humbles, modestes, impassibles, égaux avec « touts » (humains, nature, animaux) sous peine de de se faire ôter leurs souvenirs. La curiosité, l'impatience, la colère ou la joie sont considérés comme étant hérétiques. Les humains sont ainsi strictement égaux et vivent en harmonie avec la nature jusqu'au jour ou Paule et Cami reçoivent pour mission d'explorer les terres renoncées.

« Une chose s'agite en moi. Ce sont des sentiments, je crois. Des choses que je ne suis pas censé éprouver. Je discerne une sorte de joie, d'avoir été choisi, et il y a aussi de la culpabilité, bien sûr. Et une sensation encore plus étrange, et désagréable ».

« Je sens une excitation monter en moi, impie, car “la tempérance, en toute occasion, est mon guide”, mais je n'ai jamais passé une nuit hors du village, loin de mes pairs et de la rassurante massivité des silos, érigés comme une forêt protectrice de notre sommeil ».

Le livre peut être déroutant au début car l'auteure a fait le choix d'une écriture inclusive, non pas celle que nous connaissons, qui parle par exemple d'ami.e.s (aucun mots à point ici) mais Auriane Velten a supprimé les « il » ou les « elle » pour des «ile » (que je prononçais ilé et qui renvoit au pronom « iel » employé parfois aujourd'hui), les « un » ou les « une » pour des « an », et les « mon » et « ma » pour « man » …J'ai joué le jeu (moi qui ai du mal avec l'écriture inclusive) en m'imprégnant et chose étonnante cette écriture m'a permis véritablement de rendre les personnages asexués. Je les imaginais physiquement neutres, non genrés. C'est une expérience intéressante : comment l'écriture peut modifier notre vision des choses. Et ce n'est pas qu'une posture de l'auteure car l'écriture inclusive fait sens ici étant complètement liée à l'histoire et à l'intrigue.

J'ai aimé les réflexions philosophiques sur la beauté, sur l'art, sur ce qui fonde notre humanité. J'ai apprécié l'univers dépouillé (on pourrait dire Lowtech) dans lequel nous plongeons, assez éloigné du nôtre, l'introspection et l'évolution des deux personnages. J'ai trouvé intéressants les points de vue alternés entre Cami et Paule, leurs pensées et leur psychologie que nous suivons tout à tour lors de cette quête. C'est un livre beau et touchant qu'il est impossible de lâcher une fois commencé. Sans parler de la couverture, magnifique, avec son somptueux baobab rouge.

« Son sérieux, sa rectitude ne forment que les couches extérieures, conformes à ce qu'ile devrait être, qui enveloppent un noyau limpide, prêt à tout admirer. Et puis, surtout, il y a cette envie de faire – ou, plutôt, de créer. Personne ne fait, n'a jamais fait, cela. Depuis plus de trois mille ans, nous ne faisons que répéter les mêmes gestes, et vivre des journées toutes identiques. Parce que, créer, c'est prendre un risque. Moi, je n'oserais pas ».



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