Débarqués sur l’Atlantide
Le spectre d’un hangar se profile sur la vase.
Le pays a coulé, mais qu’importe aux matelots
depuis que cette guerre n’en finit pas
et que l’empire même a volé en morceaux.
Il ne reste que la vue depuis la cantine d’hôtel.
Les canots se balancent. Entre les rideaux l’hiver
se faufile, plus sombre que les vitres
éclaboussées de béton, assaisonnées de terre.
Toujours aussi trapu le phare rouge ;
la forteresse se devine à peine,
sur la jetée les mouettes se bagarrent, plus robustes
que la fonte, la pierre et bien sûr que nous-mêmes.
Arrête-toi, plisse les yeux. Tes pas s’enfoncent dans le sable
des ruelles. La vue brusquement s’enfièvre.
Nous n’allons pas nous croiser. Mais qu’importe –
la baie est étouffante et une ère s’achève.
Blé de vache, chardon, linnée boréale.
Un humide reflet sur le métal troué.
Nous nous apercevons, tels que nous voit le Tout-puissant :
séparés par un abîme mais presque rapprochés
au seuil de cette mer où les bas-fonds s’érodent,
où comme un ruban funèbre s’estompe le chenal,
mais sous nos paumes tremblotent encore
novembre miséreux, la grammaire, une flamme.
Ghetto
Nous reviendrons ici. La paix y règne.
Tant de maisons. Tout y a été
compté, pesé et divisé
par la simplicité du charbon.
La forfaiture
s’est imprimée sur la vitre des journaux,
infiltrée sous la fente jaune des portes,
elle a blanchi les brassards, aboli l’espace
et l’encre, alourdi les nasses.
Ah, les pensées de l’enfant, la frêle maison,
les fleuves ensablés, les montagnes de carton !
La mort n’existe pas, ni le Jugement.
Flammes et sable lèchent les fenêtres.
Selon le droit non pas juif ou romain,
mais le dernier qui nous fut donné,
nous ne sommes que des lettres, fable et légende.
Un lambeau de papier. Un peu de cendre.
1965