Quant à la salonnière, il s'agit d'une dame riche dont l'intelligence et l'esprit agissent comme un aimant. Elle crée une atmosphère cultivée, dans laquelle filtre une note légèrement érotique, suscite des conversations amusantes, apaise les antagonismes et apporte le bien-être de l'âme ainsi que le mouvement de l'esprit. Son autorité incontestée, douce, vise toujours le rapprochement. Ceux qui donnent comme ceux qui acceptent se rencontrent chez elle en une communion d'intensité spirituelle. La plupart du temps "une célébrité", une vedette occupe la scène, à qui l'hôtesse rend hommage, donnant en même temps aux plus fragiles un sentiment de sécurité. Dans cette enclave réservée au commerce des esprits, elle encourage l'originalité des dons les plus divers, les entremêle et les unit en un tout spécifique qui enrichit toutes les personnes présentes.
Au XIXè siècle :
Les Républicains ne rompaient donc nullement avec la tradition des salons ; en effet, comme par le passé, celle-ci remplissait plusieurs fonctions. Le salon représentait une antichambre des carrières politiques, un espace de liberté pour l'échange d'informations ainsi que pour la discussion et, pour finir, assumait un rôle d'intermédiaire indispensable sur la voie du prestige social. Généralement, pour une carrière politique dans la France du XIXè siècle, il fallait la triple combinaison suivante : salon, journal, parti politique. Maupassant allait encore plus loin dans son jugement : pour devenir diplomate, il fallait être un beau garçon, fréquenter les salons, savoir bavarder avec les femmes et les séduire.
De Sabine LEPSIUS Femme peintre (1864-1942)
"Les femmes, dont la productivité intellectuelle s'épuisait autrefois dans la conversation, dont la sensibilité, avec le besoin de faire le bien et de rendre heureux, avait si souvent l'occasion de s'appliquer aux objets les plus précieux, auprès desquelles se réunissaient ceux qui avaient des problèmes, ceux qui se débattaient, les hommes forts, les hommes de génie, les fondatrices nées d'un salon, elles cherchent aujourd'hui à exercer un métier, parce que cela ne vaut pas toujours la peine de faire le détour par un être humain pour atteindre une idée. Elles préfèrent souvent se consacrer à l'idée sans intermédiaire." (Sur le déclin des salons, 1913)
Fin 19ème-début 20ème:
Le salon littéraire proprement dit semblait voué à l'extinction. L'aspect ludique et gratuit, caractéristique de la conversation au XVIIIème et partiellement encore au XIXè siècle, avait disparu au profit d'un engagement lié à un but.
La salonnière et ses compagnes ne menaient plus des conversations subtiles afin de soutenir ou de mettre en valeur une personnalité masculine - le plus souvent une célébrité littéraire - non, à présent, elles se tenaient elles-mêmes en tant qu'artistes, peintres ou auteurs, au centre de l'événement culturel ou politique, souvent duellistes acharnées dans une discussion qu'on pourrait presque qualifier de "professionnelle".
La réceptivité culturelle d'un salon plongeait ses racines à la fois dans l'art de la conversation et l'art de l'écoute, tout deux portés par une atmosphère d'esprit, de galanterie, de grâce. Si, au commencement de leur histoire, les salons littéraires avaient brisé l'esprit de caste de la société féodale, la variante scientifico-académique qui se développa au XIXè siècle, avec ses conférences, ses fêtes commémoratives, ses jargons de spécialistes, a ébranlé la tradition et l'a partiellement dégradée en un vestige du passé.
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