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Critique de oran



Une usurpation d'identité avec l'intention de commettre une action crapuleuse est un délit. Quand cette appropriation frauduleuse se fait au détriment d'un mort, pour sauver sa peau, est-ce effectivement un crime ? Ne serait-ce pas, tout simplement un devoir de survie ?
Ici, c'est une des substances originelles qui fécondent un roman précellent.
Peter Siderman, juif allemand, natif de la Sarre, est un tout jeune homme qui s'est engagé dans une unité ordinaire de l'armée française. Après la débâcle, pressentant qu'il allait être fait prisonnier et fusillé, sans autre forme de procès compte tenu de sa judaïcité et de son enrôlement dans les rangs ennemis, il s'approprie la plaque militaire et quelques lettres prélevées sur un soldat français, victime d'une crise cardiaque : Alexandre d'Anderlange.
Quelque temps après, il est libéré et reconduit en Lorraine, annexée, par le III e Reich, en pays de Bray, berceau natal présumé. Là, réside sa belle- mère, mourante, Madame veuve d'Anderlange née Sofia Eveseivna, venue de Russie.
Dès le premier contact, cette vieille femme aveugle qui simule sa fin prochaine, décèle la supercherie mais Peter n'est pas dénoncé et, bientôt, il fait partie de cette famille composite qui essaie de se recomposer pour affronter, ensemble, une misère noire et tenter de survivre : il y a le fidèle et dévoué majordome Emmanuel , les deux cousines Weissman , la brune Hélène, Joséphine la rousse , toutes deux, en quête d'un riche parti , il y a aussi Victor van Versterhagen le vieux commandant allemand, bancroche, à la recherche de son eldorado, une propriété viticole où il fut hébergé quand il faisait ses classes , il y a plus de cinquante ans.
La vie s'égrène, petitement, une vie de survie, de sursis, de famine, de joies anodines aussi, qu'il faut savoir capter et savourer parce qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à se mettre sous la dent.
Et puis il y a ces mystérieux courriers émanant de la cousine Blanche d'Etrigny-Weissman, qui appelle Alexandre à son secours, enfermée dans ce couvent où furent, jadis, cloitrées d'excentriques moniales qui rêvaient et racontaient à haute voix leurs songes : prophéties, inepties, affabulations, tromperies ? Légende enrôleuse, sans doute, et explication plus concrète à la page 188 concernant le titre de ce livre.
Peter-Alexandre va tenter de retrouver Blanche, et là les rebondissements se multiplient, les situations rocambolesques s'enchaînent, les déboires s'aggravent, les épreuves terribles redoublent, s'amplifient, s'accélèrent, et cela me fait penser à Cunégonde dans « Candide », qui cabossée, souillée, mutilée, étripée reste en vie malgré les terrifiantes épreuves auxquelles elle a été confrontée.



J'ai apprécié la maîtrise du style , l'écriture faconde et ondoyante de Verger, son vocabulaire généreux, ses comparaisons et métaphores foisonnantes, savoureuses, originales et , bien sûr ce récit singulier et tragique, quelque peu mystique , qui s'enrichit, au fil des pages, de multiples anecdotes, bâti avec deux matériaux : le concret : l'Histoire et ses atrocités en toile de fond et le fictif forgé par son imaginaire luxuriant : le décor omniprésent qu'il peint , celui du froid plateau mosellan , qu'on croit reconnaitre mais qui se travestit et s'estompe dans le givre hivernal au profit d'un cadre réimaginé, et ce mythe de nonnes rêveuses , qui subsiste et persiste grâce notamment à cette vaisselle « parlante »(1) en faïence rose, quelque peu ébréchée, qui raconte leur étrange histoire et ces vieux microsillons étiquetés « Les Rêveuses » - oratorio de Sémiroff,(2) (l'initiale du prénom étant quelque peu effacée, est- ce un A factice comme « Alexandre » ou un P authentique, celui de « Paul » qu'il faut tenter de déchiffrer ?) Antiquités, qu'on pourrait, qui sait, peut- être, dénicher sur l'étal de quelques brocanteurs perspicaces ou malhonnêtes, trouvailles fortuites qui accréditeraient cette histoire !
Un grand MERCI aux Editions Gallimard Blanche et à Babelio de m'avoir permis de savourer ce livre en avant- première de la Rentrée littéraire de 2017.
Après cette lecture j'ai découvert « Arden » avec le même plaisir.
1 - Assiettes parlantes : dites encore illustrés, historiées, animées…, type de vaisselle en faïence appréciées au XIXe siècle dont le bassin ou le marli est orné de motifs très variés : scènes animées avec des personnages ou des animaux, offrant des thèmes multiples : historique, militaire, politique, religieux, commémoratif, ou proposant des rébus, des devinettes, charades ...
2- Paul Semiroff : Elève de Ravel, secrétaire de Stravinski, compositeur de musique de chambre, d'une symphonie, d'un concerto pour harpe et hautbois. Mais il est surtout connu pour son oratorio Cinq rêves d'Ourthières (Soprano et choeur de femmes (d'après Villa Europa n° 7/ 2016 Frédéric Verger – Sur un plateau de Moselle)
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