Voici réunies trois oeuvres de jeunesse d'
Emile Verhaeren, qui rendent compte de l'évolution de l'écriture et des thèmes abordés par cet immense poète belge.
La première partie est constituée par la Trilogie noire. Et comme disait l'autre, noir c'est noir … Ames mélancoliques, sujettes aux cafards ou déprimées, abstenez-vous. le poète répète à l'envi son désespoir face à l'absurdité de nos vies, à la souffrance inévitable et à notre finitude, avec tout le panache et la fougue de la jeunesse.
Le tout dans l'indifférence d'un dieu à tout le moins silencieux, si pas absent (je n'imagine pas ce qu'il a fallu de culot pour écrire de telle chose dans la Flandre catholique et bourgeoise de la fin du XIXème siècle) …
Il me rappelle ici un autre poète (par ailleurs lui aussi sceptique quant à l'existence d'un au-delà) de mon pays, qui racontait que, chez nous, le ciel est si bas qu'un canal s'est pendu…
Suivent des
poèmes en prose, qui ressemblent plus à des ébauches de tableaux, des essais de rythmes sur des thèmes chers au poète comme la ville et qu'on retrouvera plus tard.
La troisième partie – de loin ma préférée – est un ensemble de tableaux qui peuvent se lire séparément les uns des autres.
A nouveau, on trouve quelques passages sur l'absurdité de nos existences. Comme le très beau « passeur » qui se démène sur sa barque comme un forcené jusqu'à en briser les rames sans avancer d'un pouce … Ou ces pêcheurs, trop occupés à la tâche pour lever les yeux au ciel et voir les étoiles briller dans la nuit noire. Parfois c'est carrément macabre, comme dans « l'aventurier », dont l'ambiance est digne de
Baudelaire ou d'
Edgar Allan Poe.
Les paysages sont détrempés de pluie et silencieux, les nuits sans fin et sans chaleur, les hivers interminables, la neige froide comme un suaire. Et de nouveau on ne peut s'empêcher de penser à Brel, avec ce décor de plat pays, ces villes industrieuses et poisseuses qui font penser à Amsterdam.
L'écriture est tantôt très visuelle : soleil rougeoyant sur la plaine froide, meules flamboyant dans les nuits de fin d'été, … autant d'images dignes des grands peintres; tantôt symbolique, lorsque Verhaeren évoque les métiers aujourd'hui disparus de cordier, sonneur, meunier, forgeron, …
Et cerise sur le gâteau, tous les textes sont faciles d'accès. Pas besoin d'être expert en poésie, pour en savourer le goût, pour en apprécier la mélodie. J'en redemande …