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“Je suis celui qui vaticine comme les tours tocsinnent”. le poète est l'interprète des symboles, dans un monde ouaté, il est le prophète de la décadence du modernisme.

Conscient qu'il ne fait que moudre le vent, il espère embraser l'âtre des âmes. La modernité et ses fumées apportent irrémissiblement leur lot d'avanies. C'est la mort qui, tel “un fleuve de naphte”, passe dans les campagnes hallucinées, les absides deviennent le dernier refuge des paysans alors que la ville tentaculaire, dans un “vent moisi appose aux champs sa flétrissure” et pousse un “lamentable cri” tumultuaire.

Face à leur fatale et chaotique destinée, les veules campagnards, “de village en village”, implorent la mort de les épargner. Cette mort n'est-elle pas la ville tentaculaire dont le fanal igné et lugubre irradie les plaines environnantes ? Celle qui éloigne toujours davantage les frondaisons, les printemps, les ramilles, l'odeur humide des foins. Elle est la faucheuse qui moissonne les âmes des campagnes hallucinées.

Emile Verhaeren pour la poésie, Joris-Karl Huysmans au roman, Gustave Moreau et Fernand Knopff à la peinture, le grand orchestre symboliste est à l'oeuvre, sur une musique de Debussy, et veut étouffer, par sa symphonie mystique, pléthorique et décadente, les gloires des esthètes du parnasse et l'aube rougeoyante des naturalistes.

Ces vers libres du poète belge, aux rimes évidentes et éparses, me laissent l'esprit fuligineux, à peu près incapable de me faire une opinion.
Le symbolisme est une forme d'allégorie fantastique, notamment en peinture, si certains ont pu admirer « les âmes sauvages » consacrée au symbolisme balte au Musée d'Orsay, on est proche de ce que l'on trouve aujourd'hui dans le cinéma fantastique et le graphisme des jeux vidéo “d'heroic fantasy”, peut-être que le symbolisme pourrait renaître avec la B-D (si ce n'est pas déjà le cas ?).

Ce courant littéraire de l'extrême fin du XIXe siècle est apocalyptique. Ce n'est pas une lecture folichonne, tout n'est “que pourriture et bouffissure” mais la beauté et l'extrême raffinement de la langue rachètent ces excès de pessimisme dystopiques et cette atmosphère monochrome et pléonastique.

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Fin dix-neuvième, campagnes hallucinées, des tableaux forts de misère, mort et bestialité puis vient la ville tentaculaire, ses hauts fourneaux rugissant, et le port avec ses marins et sa luxure.

A la fois versifié et violent, c'est du rap avant l'heure, c'est géant!
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Ce recueil marche comme un diptyque à l'époque où la révolution industrielle vide les campagnes et traîne ses paysans fatigués, grisés par la promesse d'un avenir éblouissant, vers de nouvelles villes dont on ne remarque d'abord que l'ombre d'une usine dans la brume.


Les Campagnes hallucinées sont secouées de leurs derniers soubresauts. Déliquescence des générations précédentes, tout fout le camp dès lors qu'au loin, l'appel d'une ville glorieuse agite le dégoût des campagnards pour leur terre d'origine. Il ne reste plus rien des complaintes lestes et joyeuses des temps médiévaux, si ce ne sont les complaintes folles des fous, aussi nombreux que ceux qui ont gardés leur conscience pleine, mendiants, moralistes ou malades. Les dernières fêtes se transforment en manèges terrifiants, plus personne n'est capable de se réchauffer le coeur. Il est temps de partir, ou de mourir.


On arrive alors dans les Villes tentaculaires. Les fous se sont tus, on les a figés dans des statues. L'usine n'est plus un horizon lointain, elle happe les nouveaux-venus et les soumet à une valse où le métal remplace la terre, le whisky le lait, les éclairs la bougie, l'insomnie la paix. C'est l'hymne du déracinement, la complainte des nouveaux-venus qui, fuyant leurs campagnes sans avenir, contribuent désormais à un nouvel avenir qui ne les concerne en rien. Si on a ainsi l'impression qu'Emile Verhaeren écrit d'abord pour déplorer l'abandon des campagnes ancestrales et l'inhumanité des villes nouvelles, il semble que le passage de la Mort avec sa faucille l'exalte finalement à reléguer l'individu aux préoccupations d'un temps qui n'a plus lieu. Qu'il se sacrifie s'il le veut, sa courte vie et sa triste mort suffiront cependant à exalter le règne de la science et des idées. « On les rêve parmi les brumes, accoudées ; En des lointains, là-haut, près des soleils ». Les campagnes n'avaient plus rien à donner, les villes pas davantage, mais un horizon qu'on ne peut pas atteindre horizontalement, seulement verticalement, un surplus de rêve inatteignable qui apprend enfin à l'homme que sa destinée est d'une valeur dérisoire.


Ces poèmes séduisent et dégoûtent, parce qu'on sent la chair parsemée de moisissures se faire happer par les dents métalliques de l'usine, ses mycoses se faire brûler par la flamme du chalumeau, les cendres plus propres remplaçant les vieux cadavres qu'on oubliait dans les maisons humides ; ces poèmes ne laissent pas indifférents, même s'ils portent la trace d'un idéalisme dont nous sommes revenus.
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Un mot résume ce recueil de poèmes de l'immense Emile Verhaeren : carrefour. Mot dont le poète fait d'ailleurs assez régulièrement usage.

Carrefour entre deux époques, celle de l'ère agricole – qui dura des millénaires- et celle de l'ère industrielle – qui dura deux cent ans. le poète oppose ces deux époques, en partant des campagnes hallucinées où la vie est souvent une question de survie aux intempéries, aux maladies, aux famines pour arriver aux villes tentaculaires qui envahissent peu à peu les campagnes dépeuplées. Les paysans, « les gens qui n'ont rien devant eux que l'infini de la grand-route », migrent vers les villes, vers le mirage d'une vie facile. Cette ville qui va jusqu'à attirer la mer elle-même «toute la mer va en ville ! »

Carrefour entre des sentiments contradictoires : nostalgie des temps anciens, néanmoins teintée de réalisme, et fascination pour les temps modernes, tout en restant là aussi très lucide … car toujours les hommes modestes – la plupart des hommes- restent aliénés. Les hommes ont changé de croyance, abandonnant Dieu et la superstition pour épouser le nouveau culte, celui de l'argent.

Carrefour entre deux périodes de la vie de Verhaeren : entre la période très noire du début de sa vie d'adulte et des moments plus apaisés ici. D'aucuns diront qu'entretemps le poète a rencontré l'amour et s'est marié … Mais toujours l'homme éprouve des difficultés à trouver sa place.

C'est une série de tableaux de la Belgique de la fin du XIXème siècle, entrecoupés de « chansons du fou », qui apporte un peu de légèreté et de fantaisie dans ces paysages souvent mornes. Fou de douleur à cause de la vie dure, ou fou parce que personne ne viendra les sauver de leur pauvres conditions de mortels, même pas les morts, même pas la religion. Ou fou parce que tout va trop vite. Ou réaction légitime face à un monde où la Raison est placée sur un piédestal et devient mode de pensée dominant ? En opposition ou en complétement de ces chansons, dans la partie des villes hallucinées, on lit les portraits de statues, figées dans la ville, dans la mort et dans l'histoire…

C'est une poésie très picturale. Emile Verhaeren disait lui-même en 1881 : « Il faut fonder dans la Poésie une école flamande, digne de sa soeur aînée, la fille des peintres». Et certains poèmes font penser à Monet (le port, la ville …), ou au sombre Ensor et aux tableaux fantasques de Khnopff.

J'y ai trouvé les paysages de Marcinelle, les bords de Meuse à Seraing, les usines de tissage de la vallée de la Lys, du temps où la Belgique était la deuxième puissance industrielle au monde. J'y ai aussi retrouvé les paysages de mon enfance, dans cette Flandre Occidentale, de ce Westhoek si éloignée de la région d'Anvers que Verhaeren habitait. Preuve que la Flandre n'est qu'une vaste plaine, un immense plat pays qui craque sous le vent de novembre. Mais vous savez déjà tout ça.
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Émile Verhaeren, né à Saint-Amand (Anvers, Belgique) en 1855 et mort à Rouen en 1916, est un poète belge d'expression française.


Les poèmes des Campagnes hallucinées (1893) sont noirs et sans espoir. Tout y est lugubre et misérable. Rien ne peut retenir les hommes dans ces campagnes sinistrées et dévastées par la disette, la maladie, la misère. Ils sont condamnés à l'exode. le décor est hallucinant de pauvreté, comme si une catastrophe avait anéantie les plaines alentour.

Les mères traînent à leurs jupes
Leur trousseau long d'enfants bêlants,
Trinqueballés, trinqueballants ;
Les yeux clignants des vieux s'occupent
A refixer, une dernière fois,
Leur coin de terre morne et grise,
Où mord l'averse, où mord la bise,
Où mord le froid.
Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d'orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poings contre le sort
Et la colère de la mort.

Les gens des champs, les gens d'ici
Ont du malheur à l'infini.
(Extrait du poème le départ)



C'est le temps de la révolution industrielle. C'est le temps où les hommes quittent les campagnes espérant trouver des meilleures conditions de vie dans les villes.
C'est le temps de l'urbanisation galopante, de la multiplication des cités ouvrières.



Les poèmes des Villes tentaculaires (1895) sont ceux d'un constat social, la misère est partout et les rêves des hommes, ayant tout quitté, ne sont pas à la hauteur de leur espoir.
Le réalisme de ces poèmes est époustouflant. Les descriptions des différents métiers observés sont implacables de vérité, même gestes toujours recommencés.
Les décors des usines sont étouffants, mortifères, à la limite du fantastique.
Mais ils peuvent être aussi un hymne à la modernité quand ils concernent ceux de la Bourse ou de la Recherche. Enfin, une note d'espoir émerge quand Verhaeren évoque les idées :

Sur la Ville, dont les désirs flamboient
Règnent, sans qu'on les voie,
Mais évidentes, les idées.



Même si dans l'ensemble, le ton donné aux poèmes est lugubre, on est saisi par la puissance des mots, par l'évocation des métiers et de l'effort humain, par la force des descriptions de la ville qui vampirise tous ceux qui l'approchent.
Émile Verhaeren a parfaitement su traduire ce moment charnière entre la fin de l'ère agricole et celle de la révolution industrielle.
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Incursion poétique ce mois-ci chez un poète fin de siècle, au ton résolument réaliste quant au choix d'évoquer, comme Baudelaire, ou encore Rimbaud, avant lui - pour ne citer que quelques exemples -, la ville ou la campagne dans son quotidien le plus prosaïque.

C'est là que réside, comme chez les poètes précités, à mon sens, le talent d'Emile Verhaeren : il parvient, en effet, par une grande musicalité, souvent audacieuse - les schémas strophiques, rimiques et syllabiques respectent davantage la sémantique et la syntaxe que des structures canoniques, modernité poétique oblige -, et par un grand lyrisme qui frôle parfois l'épique - que de personnifications, d'allégories ou métaphores magistrales, même si pas toujours originales - à transcender ces deux lieux emblématiques du progrès économique, technique, industriel... du XIXème siècle qui fait se vider les campagnes au profit des villes, engraissant à vue d'oeil, s'étalant sans crier gare.

Et ces deux lieux emblématiques, tout autant fascinants qu'inquiétants, quant à ce qu'ils racontent, justement, de ce progrès en marche forcée depuis les années 1850, sont perçus avec acuité par un regard poétique, lui aussi fascinant et inquiétant, que j'ai plus qu'apprécié.
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"Les Campagnes hallucinées" et "Les Villes tentaculaires" d'Emile Verhaeren
Verhaeren est un poète flamand qui, comme son ami Georges Rodenbach, écrivait en français. Publiés respectivement en 1893 et 1895, ces deux recueils de poèmes évoquent les terribles bouleversements de la fin de siècle. Dans "les Campagnes hallucinée", Verhaeren s'inspire des paysages mornes de sa Flandre natale, observe les miséreux qui travaillent la terre et peu à peu l'abandonnent pour les villes. Parfois, il parvient à évoquer leur funeste destin à partir d'un simple outil "la bêche". le recueil est ponctué de sept "chansons des fous", des intermèdes macabres et grotesques. Quant aux vers des "Villes tentaculaires", dans un même mouvement, ils brossent les atmosphères nocturnes et inquiétantes des ports, des étals, des usines et des quartiers ouvriers. Il s'agit peut-être du témoignage à la fois le plus effroyable et le plus beau sur la révolution industrielle. La poésie de Verhaeren accessible, frissonnante et si riche, si musicale, aux images saisissantes.
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Quel souffle ! Quelle fraîcheur. de la poésie au service du réel, comme c'est agréable. Émile Verhaeren est un virtuose de la langue. Ses poèmes sont des sonates qui sifflent à nos esgourdes comme autant de vers et d'images que de bois et de vents. Rappelons que les recueils dont il est question furent publiés à la toute fin du XIXème siècle. Aussi, les campagnes dont nous parlons sont d'ores et déjà éventées par l'exode rural et les villes, quant à elles, sont devenues industrielles. le livre porte donc un propos politique maquillé sous une esthétique singulière et envoûtante. Amis gourmands de poésie, n'hésitez pas à lire ce poète et à le faire connaître.
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J'avais lu le nom d'Emile Verhaeren dans la biographie de Verlaine par S. Zweig, et je l'ai retrouvé dans l'ouvrage la Commune des écrivains. J'ai donc décidé d'en savoir plus sur l'oeuvre de ce poète.
Et j'ai compris assez vite l'admiration que Zweig lui porte, et surtout pourquoi il le rapproche de Verlaine. Il y a en effet une musicalité dans ce recueil, avec les "chansons d'un fou" dans les Campagnes hallucinées, avec les poèmes "Statue" dans les Villes tentaculaires qui reviennent comme des intermèdes entre deux autres poèmes. Les poèmes contiennent aussi un rythme musical interne, avec de nombreux vers qui reviennent de façon lancinantes comme des refrains : " c'est l'étal flasque et monstrueux de la luxure", "toute la mer va vers la ville"...
Verhaeren se rapproche aussi du Verlaine moderne, celui qui fait entrer en poésie les trains à vapeur, les cheminées d'usine. J'ai d'ailleurs pensé à Joseph Pontus et à ses Feuillets d'usine dans la description de l'ouvrier déshumanisé devenu un simple rouage de la machine : "la parole humaine abolie".
C'est aussi une proximité avec le Verlaine sensuel, voire érotique. Seulement, dans ce double recueil, la chair est triste, flasque, morne. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, sur le port ou dans les champs, tout le monde n'est animé que par le désir, ou plutôt par le "rut", un terme qui revient à de très nombreuses reprises. On est donc loin des Fêtes galantes ou des Romances sans parole, les prostituées sont trop fardées, les femmes grasses, les marins brutaux... Dans les Campagnes hallucinées, il y aurait peut-être des allusions à Baudelaire et à sa charogne, car même les mortes peuvent être saillies...
Et, pour sortir de la comparaison avec Verlaine, j'ai été frappée par une vision géographique très moderne : la ville s'étend sur la campagne avec ses pollutions, ses miasmes, ses fumées, mais aussi ses idées. J'ai particulièrement apprécié l'omniprésence du rouge et du noir dans ce double recueil, le rouge des fumées, des incendies, de la révolution aussi - dans ce qui est sans doute une allusion à la Commune et à la Semaine sanglante, et le noir de la mort, des cendres, des cadavres et du pourrissement. On sent un anticléricalisme, un esprit révolutionnaire dans les poèmes. Et ce sont ces idées qui contaminent aussi les campagnes ; sauf que la ville elle-même est contaminée par ce que l'auteur ne nomme pas encore la mondialisation - et on retrouve une perspective géographique : les marchandises, les hommes et les idées circulent : la mer - et donc le monde - pénètre la ville.
Un double recueil très riche, qui permet de multitudes interprétations et niveaux de lecture, qui me donne envie d'approfondir l'oeuvre de ce poète.


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"Les Campagnes hallucinées" et "Les Villes tentaculaires" sont deux oeuvres épiques versifiées. Emilie Verhaeren fait le récit de deux mondes complémentaires mais aussi étrangères l'une à l'autre. La campagne est idéalisée mais c'est aussi un monde qui disparaît.
La fin du XIXème siècle est dominé par la seconde révolution industrielle (chimie, mécanisation, électricité).
L'auteur confronte l'existence exigeante, rude, solidaire des hommes et des femmes vivant de la terre. Les superstitions, la foi habitent la campagne. La tâche est âpre, les silences profonds. le temps s'étire ; le cycle de la nature suit son cours.
Les villes tentaculaires ressemblent à Ostende.
La ville absorbe peu à peu la campagne et ses habitants qui s'enferment dans des usines. le ciel disparaît dans les fumées asphyxiantes. La croissance économique permet à une nouvelle classe sociale d'émerger. La vie est-elle meilleure ? Quelle modernité pour une société en mutation ?
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