Ô la splendeur de notre joie,
Tissée en or dans l’air de soie !
Voici la maison douce et son pignon léger,
Et le jardin et le verger.
Voici le banc, sous les pommiers
D’où s’effeuille le printemps blanc,
À pétales frôlants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Plânant, ainsi que des présages,
Dans le ciel clair du paysage.
Voici — pareils à des baisers tombés sur terre
De la bouche du frêle azur —
Deux bleus étangs simples et purs,
Bordés naïvement de fleurs involontaires.
Ô la splendeur de notre joie et de nous-mêmes,
En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes !
Là-bas, de lentes formes passent,
Sont-ce nos deux âmes qui se délassent,
Au long des bois et des terrasses ?
Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux
Ces deux fleurs d’or harmonieux ?
Et ces herbes — on dirait des plumages
Mouillés dans la source qu’ils plissent —
Sont-ce tes cheveux frais et lisses ?
LES HEURES CLAIRES – XXV
Pour que rien de nous deux n’échappe à notre étreinte,
Si profonde qu’elle en est sainte
Et qu’à travers le corps même, l’amour soit clair,
Nous descendons ensemble au jardin de la chair.
Tes seins sont là ainsi que des offrandes,
Et tes deux mains me sont tendues ;
Et rien ne vaut la naïve provende
Des paroles dites et entendues.
L’ombre des rameaux blancs voyage
Parmi ta gorge et ton visage
Et tes cheveux répandent leur toison
Merveilleuse, sur les gazons.
La nuit est toute d’argent bleu,
La nuit est un beau lit silencieux,
La nuit douce, dont les brises vont, une à une,
Effeuiller les grands lys dardés au clair de lune.
Les Heures claires – II
Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux
Ce jardin clair où nous passons silencieux,
C’est plus encor en nous que se féconde
Le plus candide et doux jardin du monde.
Car nous vivons toutes les fleurs,
Toutes les herbes, toutes les palmes
En nos rires et en nos pleurs
De bonheur pur et calme.
Car nous vivons toute la joie
Dardée en cris de fête et de printemps,
En nos aveux, où se côtoient
Les mots fervents et exaltants.
Oh ! dis, c’est bien en nous que se féconde
Le plus joyeux et doux jardin du monde.
Les Heures du soir- XXVII
Ardeur des sens, ardeur des cœurs, ardeur des âmes,
Vains mots créés par ceux qui diminuent l’amour ;
Soleil, tu ne distingues pas d’entre tes flammes
Celles du soir, de l’aube ou du midi des jours.
Tu marches aveuglé par ta propre lumière,
Dans le torride azur, sous les grands cieux moirés,
Ne sachant rien, sinon que ta force est plénière
Et que ton feu travaille aux mystères sacrés.
Car aimer, c’est agir et s’exalter sans trêve ;
Ô toi, dont la douceur baigne mon cœur altier,
À quoi bon soupeser l’or pur de notre rêve ?
Je t’aime tout entière, avec mon être entier.
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN