Court au théâtre : Tome 3, 3 petites pièces pour enfants

Petites Colères devant la mer
[Yves Lebeau]

PERSONNAGES :
L'ENFANT
LA MER
OCÉANE

La mer fait chav’. L’enfant vient au rivage, lance un galet, il est pris par l’écume.
L’ENFANT.– … Et les bottes trempées maintenant, t’es contente? C’est parce qu’on n’est que nous deux que tu fais l’intéressante ? Tu arrêtes hein, ras-le-bol de toi ! J’ai dit couchée ! N’y a pas de milieu, ou c’est tempête algues et méduses et y a pas moyen, ou t’es plate comme un mouton et là bon, seulement ça t’arrive chaque fois qu’il te tombe une dent. Tu t’es vue toute verte, l’écume aux lèvres? Au large ça décore OK, mais arrivée à la plage tu t’es regardée, jaunasse, pisseuse, pas ragoûtante – même pas été fichue de digérer ta dernière marée noire!
Chav’, la vague déferle en mineur.
Parce que des mers j’en ai vu, des bleues presque roses et transparentes comme l’air, avec des coquillages plus gros que des chiens, des coraux indigo et pas un mot plus haut que l’autre, doux le sable, chaudes les eaux, on y plonge sans penser, même pas besoin de nager, personne résiste. Si tu te figures que tu donnes envie, là! En venant, j’avais un peu l’idée…
Chav’, déferlement interrogatif.
Mais non, y a trop eu de coups tordus entre nous… La fois, à la pêche à la crevette à pied au large où le brouillard s’est levé sans prévenir, que tu t’es mise à monter et je ne savais plus à quel courant me vouer, où la plage? où le large? J’ai fait dériver ma casquette, un truc de marin, elle qui m’a ramené au bord… C’était moins cinq.
Chav’, déferlement amusé.
Et la fois où je dormais en ours sur ma serviette, que t’es venue à mes bouts de pieds, tiède et d’huile, sympa pour ça! mais t’as pas pu te retenir, il a fallu que tu montes encore, et j’en ai eu au ventre, aux épaules, tu t’es faufilée dans mon rêve, un moment j’ai flotté, mais au réveil plouf et glou ! l’horreur : le sel dans les yeux, les crabes dans le cou, plein d’eau partout, avec pas pied, et toi à faire rire la plage dans mon dos… Grave ça, trop grave!
La Mer.– (Parle.) Chav’!
L’Enfant.– Tu dis?

Timide
[Catherine Verlaguet]

PERSONNAGES :
LUCAS
LA MÈRE
LE PÈRE
LA PEUR
CANDICE
LE DOCTEUR
LE VIEUX MONSIEUR
L'ACCROCHEUR D’ÉTOILES
LE NARRATEUR

LE NARRATEUR.– Voici Lucas!
Quand on le voit comme ça, on ne se rend pas compte. Mais au milieu des autres enfants, on voit bien qu’il est tout petit, Lucas. Il n’a pas grandi depuis qu’il est entré à l’école. Parce qu’il a tout le temps peur, Lucas. Peur qu’on lui pose des questions, de répondre aux questions ; peur qu’on le regarde, de mal faire, de trop bien faire, de se faire remarquer…
Il est timide, comme on dit.
Par-dessus son épaule, il entend toujours une petite voix que les autres n’entendent pas : c’est sa peur qui se moque de lui. Du coup, Lucas a même peur – par exemple – de souffler les bougies de son anniversaire!
LA PEUR.– Ha, ha, ha ! Petit Lucas ! Tu ne vas jamais réussir à les souffler du premier coup ! Tu es vraiment trop nul, toi ! Les autres vont se moquer
de toi !!!
LE NARRATEUR.– Alors, Lucas demande à sa maman de mettre un mot dans son cahier :
LA MÈRE.– Madame la maîtresse, veuillez s’il vous plaît ne pas fêter l’anniversaire de Lucas à l’école, il n’aime pas ça. Merci.
LE NARRATEUR.– C’est la récréation.
Lucas aimerait bien jouer au foot avec les autres, mais… il a peur de lancer le ballon au mauvais endroit. Alors il reste assis sur son banc à regarder les autres jouer, et il a froid.
À côté de lui, c’est Candice. Elle n’est pas petite, elle. Au contraire : elle est plutôt très, très, trop grande. Tellement grande que Lucas ne voit pas son visage, là-haut.
Comme Lucas ne grandit pas, ses parents décident un jour de l’emmener voir un docteur spécialisé.
LE DOCTEUR.– Est-ce qu’il mange, ce petit ?
LA MÈRE.– Mais oui!
LE DOCTEUR.– Est-ce que vous avez des gens petits dans la famille ?
LA MÈRE.– Mais non !
LE DOCTEUR.– Est-ce que vous l’arrosez régulièrement ?

Libellules
[Marie Bernanoce]

PERSONNAGES :
PERSONNAGES EN PLEINE LUMIERE :
LUCILE, l’enfant du regard
SACHA, son père
LISIA, l’amie des lisières
LOUSTIC, le chat angora

ET LES AUTRES, DANS L'OMBRE :
LÉONARD, l’ami des histoires
SONIA, la mère de Lucile
LE CHŒUR DES ARAIGNÉES
LE TRIBUNAL DES SAGES ARACHNÉENS

La mise en scène veillera à faire voir ou entendre le découpage. La scénographie reposera sur la partition entre le monde du jardin et celui de la chambre par le biais de la fenêtre, quel que soit le sens du regard. Le ciel y tiendra un rôle important.
Chacune des séquences correspond à une ambiance lumière précise.

1.

De la fenêtre, ciel envahi de coulées grises opiniâtres, on distingue une toute jeune fille, assise sur son lit.

LUCILE.– 22 23 24 25 libellules.
Léger silence.
20 21 22 23 24 25 libellules.
Silence.
17 18 19 20 21 22 23 24 25 libellules.
J’ai dit libellules.
L’enfant tourne la tête vers la porte, écoute avec attention.
J’ai dit libellules
libellules libellules.
On entend à peine ses mots. Le ciel s’est encore assombri. Son visage quitte la porte.
Libellules.
Soudain, elle apparaît à la fenêtre et se met à chanter, d’abord doucement, puis à tue-tête.

L’araignée Picsy
Monte à la gouttière
Tiens voilà la pluie
Qui qui tombe par terre
Mais le soleil
A chassé la pluie
L’araignée Picsy
Monte à la gouttière
Tiens voilà la pluie
…

Elle retourne sur son lit et regarde la porte. Noir
de cendres.

Libellules
[Marie Bernanoce]

2.

Assise sur le rebord de sa fenêtre avec son amie, Lucile caresse son chat, le regard rempli de lumière.
LUCILE.– Quand je m’ennuie, je joue à me taire et je m’invente des histoires.
LISIA.– Des histoires ? Des histoires de garçons !
LUCILE.– Mais non, t’es trop bête. Pourquoi veux-tu que je m’invente des histoires de garçons ? Pas besoin d’eux, moi.
LISIA.– Des histoires avec des Martiens qui descendent de leurs soucoupes et puis qui.
LUCILE.– Je m’invente des histoires.