Chansons pour elle et autres poèmes érotiques est un recueil de poèmes écrits par Paul Verlaine et qui traînait déjà depuis plusieurs semaines sur ma table de chevet.
Dans ces vers qui ne sont peut-être pas ses plus célèbres, le poète nous fait entendre des chemins insolites, des parfums équivoques, des voix multiples pour parler de l'amour, des choses tant du corps que de l'esprit.
Verlaine conjugue le sexe autant au féminin qu'au masculin, mais cache parfois habilement les mots, dépose sur leurs visages déliés des cache-sexes qui brouillent un peu les chemins, les contours et les courbes.
L'érotisme de Verlaine est à la fois tendre et ambigu, doux et chaotique. Sans doute le poète s'est-il perdu lui aussi dans quelque dédale lubrique où la joie brutale prenait la main peut-être encore solitaire pour l'amener presque au bord du vide, son vide.
Il y avait aussi la censure de l'époque invitant à déguiser comme je l'ai dit les mots...
Mais le vide est une invitation géniale à trouver enfin un endroit pour y déverser un cœur, rebondir, le remplir de tous les gestes qu'on n'a pas encore su inventer...
La chair convoitée, aimée peut-être, est parfois douloureuse de sanglots, le désespoir est à fleur de peau, lorsque la peau se réveille après l'ivresse des fêtes galantes et sensuelles.
Corps perdus, éperdus. Rêves éveillés au bord des chambres aux odeurs moites, encombrées de lumières pâles.
Amours lesbiennes, effleurant du bout des mots qui tremblent un peu forcément la première fois, d'autres chemins peut-être encore inconnus pour le poète.
Et puis comment se remettre de l'amour passionné pour celui qui n'était peut-être encore qu'un adolescent, étoile fugitive dans la nuit rayée du poète, deux poètes éperdus d'amour et s'affrontant dans leur souffrance, le choc de deux comètes...
L'errance lorsqu'il faut pousser la barque accrochée encore au rivage, d'un coup de pied violent dans son flanc...
Les mots hésitent, oscillent d'un bord à l'autre, d'un rivage à l'autre, nous perdent, comme des balançoires, mais au fond, n'est-ce pas finalement le même rivage ?
Qui guide alors la main, le geste, le corps dans cette nuit opaque ? Qui guide les pas du poète si ce n'est l'ombre de la lune toujours présente, le fameux astre ambigu lui aussi, morceau arraché de la Terre par le fracassement d'une météore plus grande qu'elle, la lune devenue satellite et qui orbite autour de nous, nous observe, quelque chose qui vient de nous et qui est à distance de nos rêves échevelés.
Émouvant Verlaine ici, car la chair est triste et que souvent peut-être tout ceci est demeuré dans le seul imaginaire du poète.
Les amours de Verlaine sont maladroites, violentes, elles tâtonnent et parfois s'égarent dans les méandres des lits inassouvis.
La beauté est parfois cruelle, intransigeante. Ceux qui sont laids comprennent ce désarroi, inventent et trouvent alors d'autres chemins pour venir à l'amour, bien plus beaux finalement car la beauté, la soi-disante beauté, manque souvent d'imagination.
Elles sont blondes, rousses ou brunes, des femmes « aux pieds de reine » dont la chevelure vient se poser sur le cœur du poète. Ici la chair a « le charme sombre des maturités estivales ».
Du corps en attente, l'âme éprise n'est jamais éloignée.
« Ah, ton corps, qu'il repose
Sur mon âme morose
Et l'étouffe s'il peut,
Si ton caprice veut,
Encore, encore, encore ! »
Le corps n'est jamais loin du ciel qui regarde tout cela, le coquin, le voyeur... De temps à autre, Verlaine invite le ciel dans la courbure des corps qui s'unissent. Quand vous faites l'amour, n'avez-vous jamais imaginé un seul instant que vous étiez peut-être observés par des forces mystérieuses, invisibles, ou peut-être des êtres proches désormais décédés, tiens ! vos parents par exemple ou pourquoi pas vos grands-parents... Que celles et ceux qui n'y ont jamais songé viennent ici me jeter la pierre...
C'est par le plaisir du corps qu'on atteint la transcendance de l'âme.
J'ai aimé cette écriture féminine, car l'écriture de Verlaine est féminine. C'est ainsi que je la vois. C'est une écriture que je trouve très touchante.
Dans le recueil intitulé « Parallèlement », le titre déjà... Quoi le titre ? Eh bien, le titre invite à une géométrie de l'amour, sauf que « Parallèlement », le terme pourrait nous inciter à voir les uns et les autres chacun de leur côté. Sauf que... Sauf que Verlaine brouille ici les cartes et dans ce recueil invite peut-être celui qui a enflammé le plus son coeur et pourquoi pas son corps. Car les amours de Verlaine sont autant féminines que masculines.
Dans le poème LÆTI ET ERRABUNDI, celui que je préfère de l'ensemble des recueils, j'ai reconnu et découvert des âmes folles déjà perdues :
« Dormez, les amoureux ! Tandis qu'autour de vous
Le monde inattentif aux choses délicates,
Bruit ou gît en somnolences scélérates,
Sans même, il est si bête ! être de vous jaloux. »
C'est ici qu'il convoque Arthur Rimbaud. C'est juste une histoire d'amour. Elle est belle et tragique. Comme tant d'autres histoires d'amour, elle ouvre des gouffres béants, et parfois les contourner devient presque impossible pour franchir l'autre rive. Sauf à saisir une arme, ou se jeter dans ce vide béant... Ou bien écrire, continuer d'écrire pour jeter des ponts...
Continuer d'écrire...
Continuer d'écrire...
Et pour nous autres terriens, mais âmes éperdues d'amour, les lire,
Continuer de les lire...
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Ces poèmes polissons et policés sont d'une étonnante tendresse. On entre dans l'intimité non feinte du poète qui ne cherche pas à enjoliver sa passion et tous les tourments qu'elle lui cause. Libertin résigné à partager sa moitié, il ne reste au poète que les fauves relents des moites chairs en fusion sur les lattes délabrées d'une garçonnière, la célébration du chaos suave de la passion et un brin de douceur.
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Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :
L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits l'émotion profonde
Du soir et le bonheur triste des coeurs fidèles.
Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrames
Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
(Les amies
I - Sur le balcon)
Et qui pourrait dire ce corps
Sinon moi, son chantre et son prêtre,
Et son esclave humble et son maître
Qui s'en damnerait sans remords,
Son corps rare, harmonieux,
Suave, blanc comme une rose
Blanche, blanc de lait pur, et rose
Comme un lys sous de pourpres cieux ?
(…)
Mignonne, allons voir si ton lit
A toujours sous le rideau rouge
L'oreiller sorcier qui tant bouge
Et les draps fous. Ô vers ton lit !
("Filles" - I A la Princesse Roukhine)
Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux ?
Je n’en sais rien mais j’aime leur clarté profonde,
Mais j’adore le désordre de tes cheveux.
Es-tu douce ou dure ?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton cœur ?
Je n’en sais rien mais je rends grâce à la nature
D’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.
Fidèle. Infidèle ?
Qu’est-ce que ça fait,
Au fait
Puisque toujours dispose à couronner mon zèle
Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.
Longs baisers plus clairs que des chants,
Tout petits baisers astringents
Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,
Bons gros baisers d'enfant, légers
Baisers danseurs, telle une flamme,
Baisers mangeurs, baisers mangés,
Baisers buveurs, bus, enragés,
Baisers languides et farouches,
Ce que t'aimes bien, c'est surtout,
N'est-ce pas ? les belles boubouches.
Les corps enfin sont de ton goût,
Mieux pourtant couchés que debout,
Se mouvant sur place qu'en marche,
Mais de n'importe quel climat,
Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.
Compagne savoureuse et bonne
A qui j'ai confié le soin
Définitif de ma personne,
Toi mon dernier, mon seul témoin,
Viens ça, chère, que je te baise,
Que je t'embrasse long et fort,
Mon coeur près de ton coeur bat d'aise
Et d'amour pour jusqu'à la mort :
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Je vais gueux comme un rat d'église
Et toi tu n'as que tes dix doigts ;
La table n'est pas souvent mise
Dans nos sous-sols et sous nos toits ;
Mais jamais notre lit ne chôme,
Toujours joyeux, toujours fêté
Et j'y suis le roi du royaume
De ta gaîté, de ta santé !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
(…)
Qu'importe ton passé, ma belle,
Et qu'importe, parbleu ! le mien :
Je t'aime d'un amour fidèle
Et tu ne mas fait que du bien.
Unissons dans nos deux misères
Le pardon qu'on nous refusait
Et je t'étreins et tu me serres
Et zut au monde qui jasait !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Poésie - Marine - Paul Verlaine