Ici trône Melancholia (quelle belle folie !) , fille du ciel ou fille de joie, bile et fiel. Depuis
Charles Baudelaire, le Spleen devient l'Idéal du Poète.
Paul Verlaine invoque l'astre du désastre afin qu'il préside au "divorce de l'Harmonie immense et bleue de la Force" car "la Force maintenant, la Force, c'est la Bête". L'astrologie (ou le discours de l'astre parce que les poèmes sont saturniens) nous amène à lire le ciel comme on lit les lignes de la main,afin de servir les vues du nécromancien qui ramène à la vie les feuilles mortes de l'automne.
Des paysages s'esquissent, sitôt effacés par l'oubli ou par la pluie : des Eaux-fortes, des Paysages tristes, visions venues d'Orient ou d'ailleurs, des ballades allemandes, inquiétantes, comme dans "Cauchemar". le fantastique s'invite comme dans "Mon rêve familier", "étrange et pénétrant" où reviennent les "aimés que la Vie exila" ; l'atmosphère est parfois gothique, parfois grotesque.
Dans la "Nuit du Walpurgis classique",
Verlaine réécrit le
Faust de
Goethe mais il fait en sorte que le rituel prenne place dans un jardin à la Française "correct, ridicule et charmant". Ainsi s'attache-t-il au romantisme allemand pour mieux s'en détourner, de manière sarcastique.
Là où il fait plus encore preuve d'humour, c'est lorsqu'il se fait capricieux ( "Caprices"). "Femme et chatte" fait de la femme une baudelairienne dans son boudoir, boudeuse, l'
amour se fait plus loin candide pour ressortir libertin, et la "grande dame" (on soulignera l'adjectif respectueux), "reine ou courtisane", belle "à damner les saints", se fait cravacher la face à la fin de son poème. L'Idéal se heurte à la désillusion qui engendre le Spleen, là est
Verlaine et le cynisme de son siècle.
Mais le poète bien que suranné parce que n'écrivant que sur les feuilles mortes de l'automne crée un rythme lancinant, "indolent comme un vers". La postérité retiendra avec raison les poèmes populaires de
Verlaine qui laissent songeurs : "Mon rêve familier" et "Chanson d'automne" : des poèmes sentimentaux, musicaux, simples et complexes à la fois où la mélodie s'envole nostalgique, prenante, envoûtante (que c'est beau les sanglots longs des violons de l'automne) mais j'aime beaucoup aussi, ce "Nocturne parisien" pour ce cri du coeur de l'orgue de barbarie qui me rappelle certaines chansons d'
Edith Piaf.
Verlaine donne le la, comme l'orgue de barbarie :
"— Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré
Lançant dans l'air bruni son cri désespéré,
Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,
Éclate en quelque coin l'orgue de Barbarie :
Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,
Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur,
Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;
Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;
Sur une clef de sol impossible juchées,
Les notes ont un rhume et les do sont des la,
Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela !
Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves,
Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;
La pitié monte au coeur et les larmes aux yeux,
Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,
Et dans une harmonie étrange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique
L'âme, les inondant de lumière et de chant,
Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant !"