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Citations sur L'Individu, la mort, l'amour. Soi-même et l'autre en Gr.. (9)

Un monde divin multiple, divisé par conséquent au-dedans de lui-même par la pluralité des êtres qui le composent ; des dieux dont chacun, ayant son nom propre, son corps singulier, connaît une forme d'existence limitée et particulière : cette conception n'a pas manqué de susciter, dans certains courants religieux marginaux, dans des milieux de sectes et chez des philosophes, interrogations, réserves ou refus. Ces réticences, qui se sont exprimées de façons fort diverses, procèdent d'une même conviction : la présence du mal, du malheur, de la négativité dans le monde tient au processus d'individuation auquel il a été soumis et qui a donné naissance à des êtres séparés, isolés, singuliers. La perfection, la plénitude, l'éternité sont les attributs de l'Être totalement unifié. Toute fragmentation de l'Un, tout éparpillement de l'Être, toute distinction de parties signifient que la mort entre en scène avec l'apparition conjointe d'une multiplicité d'existences individualisées et de la finitude qui nécessairement borne chacune d'elle. Pour accéder à la non-mort, pour s'accomplir dans la permanence de leur perfection, les dieux de l'Olympe devraient donc renoncer à leur corps singulier, se fondre dans l'unité d'un grand dieu cosmique ou s'absorber dans la personne du dieu morcelé, puis réunifié par Apollon, du Dionysos orphique, garant du retour à l'indistinction primordiale, de la reconquête d'une unité divine qui doit être retrouvée, après avoir été perdue.

En rejetant catégoriquement cette perspective pour placer l'accompli, le parfait, l'immuable, non dans la confusion de l'unité originelle, dans l'obscure indistinction du chaos, mais à l'inverse, dans l'ordre différencié d'un cosmos dont les parties et éléments constitutifs se sont peu à peu égarés, délimités, mis en place et où les puissances divines, d'abord incluses dans de vagues forces cosmiques, ont pris, à la troisième génération, leur forme définie et définitive de dieux célestes, vivant dans la lumière constante de l'éther, avec leur personnalité et leur figure particulières, leurs fonctions articulées les unes aux autres, leurs pouvoirs s'équilibrant et s'ajustant sous l'autorité inébranlable de Zeus, la Théogonie orthodoxe d'Hésiode donne à la nature corporelle des dieux son fondement théologique : si les dieux possèdent plénitude, perfection, inaltérabilité, c'est qu'au terme de ce progrès qui a conduit à l'émergence d'un cosmos stable, organisé, harmonieux, chaque personne divine a désormais son individualité clairement fixée.
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La grâce, la kháris qui fait briller le corps d'un éclat joyeux et qui est comme l'émanation même de la vie, le charme qui incessamment s'en dégage – la kháris, donc, en tout premier, mais avec elle la taille, la carrure, la prestance, la vélocité des jambes, la force des bras, la fraîcheur de la carnation, la détente, la souplesse, l'agilité des membres,– et encore, non plus visibles à l'œil d'autrui mais saisis par chacun au-dedans de lui-même dans son stéthos, son thumós, ses phrénes, son nóos, la fortitude, l'ardeur au combat, la frénésie guerrière, l'élan de la colère, de la crainte, du désir, la maîtrise de soi, l'intellection avisée, l'astuce subtile – telles sont quelques-unes des "puissances" dont le corps est dépositaire, qu'on peut lire sur lui comme les marques attestant ce qu'est un homme et ce qu'il vaut.

Plutôt que comme la morphologie d'un ensemble d'organes ajustés, à la façon d'une planche anatomique, ou que la figure des particularités physiques propres à chacun, comme dans un portrait, le corps grecs, aux temps anciens, se donne à voir sur le mode d'un blason faisant apparaître, en traits emblématiques, les multiples "valeurs" – de vie, de beauté, de pouvoir – dont un individu se trouve pourvu, dont il est titulaire et qui proclame sa timé : sa dignité et son rang. Pour désigner la noblesse d'âme, la générosité de cœur des hommes les meilleurs, les áristoi, le grec dit kalòs kàgathos, soulignant que beauté physique et supériorité morale n'étant pas dissociables, la seconde se peut évaluer au seul regard de la première. Par la combinaison de ces qualités, puissances, valeurs "vitales", qui comportent toujours, par leur référence au modèle divin, une dimension sacrée et dont le dosage varie suivant les cas individuels, le corps revêt la forme d'une sorte de tableau héraldique où s'inscrit et se déchiffre le statut social et personnel de chacun : l'admiration, la crainte, l'envie, le respect qu'il inspire, l'estime où il est tenu, la part d'honneurs auxquels il a droit – pour tout dire, sa valeur, son prix, sa place dans une échelle de "perfection" qui s'élève jusque vers les dieux campés en son sommet et dont les humains se répartissent, à divers niveaux, les étages inférieurs.
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La vraie raison de l'exploit héroïque est ailleurs ; elle ne relève pas de calculs utilitaires ni du besoin de prestige social ; elle est d'ordre, pourrait-on dire, métaphysique ; elle tient à la condition humaine que les dieux n'ont pas faite seulement mortelle, mais soumise, comme toute créature ici-bas, après la floraison et l'épanouissement de la jeunesse, au déclin des forces et à la décrépitude de l'âge. L'exploit héroïque s'enracine dans la volonté d'échapper au vieillissement et à la mort, quelques "inévitables" qu'ils soient, de les dépasser tous les deux. On dépasse la mort en l'accueillant au lieu de la subir, en en faisant le constant enjeu d'une vie qui prend ainsi valeur exemplaire et que les hommes célébreront comme un modèle de "gloire impérissable". Ce que le héros perd en honneurs rendus à sa personne vivante, quand il renonce à la longue vie pour choisir la prompte mort, il le regagne au centuple dans la gloire dont est auréolé, pour tous les temps à venir, son personnage de défunt. Dans une culture comme celle de la Grèce archaïque, où chacun existe en fonction d'autrui, sous le regard et les yeux d'autrui, où les assises d'une personne sont d'autant mieux établies que s'étend plus sa réputation, la vraie mort est l'oubli, le silence, l'obscure indignité, l'absence de renom.
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Par le thème de la mutilation des corps, l'épopée souligne la place et le statut exceptionnels de l'honneur héroïque, de la belle mort, de la gloire impérissable : ils dépassent de si haut l'honneur, la mort, le renom ordinaires que, dans le cadre d'une culture agonistique où l'on ne prouve sa valeur que contre autrui, sur le dos et au détriment d'un rival, ils supposent, en contrepartie, aussi bas au-dessous de la norme qu'ils s'élèvent au-dessus, une forme radicale de déshonneur, un anéantissement totale, absolu, une infamie définitive et totale.

Cependant si, à travers ses allusions constantes aux corps dévorés par les chiens ou pourrissant au soleil, le récit dessine, par le thème du cadavre outragé, le lieu où vient s'inscrire le double inversé de la belle mort, cette perspective d'une personne réduite à rien, abîmée dans l'horreur, est, dans le cas du héros, repoussée au moment même où elle est évoquée. La guerre, la haine, la violence destructrice, ne peuvent rien contre ceux qui, animés par le sens héroïque de l'honneur, se sont voués à la vie brève. La vérité de l'exploit, dès lors qu'il a été accompli, me saurait plus être ternie ; c'est elle qui fait la matière de l'épos. Comment le corps du héros pourrait-il avoir été outragé, son souvenir extirpé ? Sa mémoire est toujours vivante : elle inspire cette vision directe du passé qui est le privilège de l'aède. Rien ne peut atteindre la belle mort : son éclat se prolonge et se fond dans le rayonnement de la parole poétique qui, en disant la gloire, la rend tout à fait réelle. La beauté du kalòs thánatos n'est pas différente de celle du chant, un chant qui, lorsqu'il la célèbre, se fait lui-même, dans la chaîne continue des générations, mémoire immortelle.
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Le sur-corps divin, par bien des aspects, évoque et frôle le non-corps. Il pointe vers lui ; il ne le rejoint jamais. S'il basculait de ce côté, s'il se faisait absence de corps, rejet du corps, c'est l'équilibre même du polythéisme grec qui serait rompu, dans sa constante, sa nécessaire tension entre l'obscurité dont est pétri le corps apparent des humains et l'éclatante lumière dont resplendit, invisible, le corps des dieux.
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Dans la vie quotidienne des Anciens le miroir est par excellence chose de femmes. Il évoque le rayonnement de leur beauté, l'éclat de leur séduction, le charme de leur regard, de leurs cheveux bouclés, de leur teint délicat. Les femmes l'utilisent pour se voir, se connaître en se dévisageant. Se mirer c'est projeter sa propre face devant soi, en vis-à-vis, se dédoubler en une figure qu'on observe comme on le ferait d'un autre, en sachant qu'il s'agit de soi.
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Si la vision de ces monstres est insoutenable c'est que mêlant, dans leur faciès, l'humain, le bestial, le minéral, elles sont la figure du chaos, du retour à l'informe, à l'indistinct, à la confusion de la Nuit primordiale : le visage même de la mort, de cette mort qui n'a pas de visage.
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Pourtant, sur le miroir du temple, la face des vivants s'enténèbre ou s'efface. Le fidèle qui, sur le départ, s'y regarde, se voit, non tel qu'il est, mais tel qu'il sera quand il aura quitté la lumière du soleil pour gagner le pays des morts : ombre obscure, brouillée, indistincte, tête encapuchonnée de nuit, spectre désormais sans visage, sans regard.
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Pour les Grecs archaïques, le malheur des hommes ne vient donc pas de ce que l'âme, divine et immortelle, se trouve chez eux emprisonnée dans l'enveloppe d'un corps, matériel et périssable, mais de ce que leur corps n'en est pas pleinement un, qu'il ne possède pas, de façon entière et définitive, cet ensemble de pouvoirs, de qualités, de vertus actives qui confèrent à l'existence d'un être singulier la consistance, le rayonnement, la pérennité d'une vie à l'état pur, totalement vivante, parce que exempte de tout germe de corruption, isolée de tout ce qui pourrait, du dedans ou du dehors, l'obscurcir, la flétrir, l'anéantir.
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