En résumé : un roman assez méconnu mais typiquement vernien. Au programme : vulgarisation scientifique, aventures bien rythmées et suspens tranquille mais avec quelques préjugés qui passent un peu mal à notre époque.
Dans
le Pays des fourrures, roman assez peu connu de
Jules Verne, nous embarquons avec une petite troupe composée de soldats employés par une compagnie de pelleterie, de leurs épouses, d'une exploratrice et de sa fidèle femme de chambre ainsi que d'un astronome. Direction le nord du continent américain pour fonder un établissement au-delà du 70e parallèle, là où les martres, renards polaires, castors, ours et autres fourrures ambulantes ont fui les persécutions des chasseurs.
Ce roman qui a plus d'un siècle et demi parlait déjà du déclin de la biodiversité mais avec une approche bien différente de la nôtre : les animaux, trop chassés, tendent à disparaitre ? Allons les chasser plus loin !
Jules Verne, même s'il pointe cette problématique, était encore loin d'avoir la conscience d'un militant du WWF.
Il n'avait pas davantage celle d'un militant du MLF car, si on a la bonne surprise de rencontrer une femme exploratrice dans cet univers habituellement plutôt masculin,
Jules Verne ne peut pas empêcher ses préjugés patriarcaux de transparaître. Mrs Paulina Barnett semble avoir comme fonction principale de donner l'occasion aux hommes de l'expédition de l'informer sur les particularités du monde polaire qu'elle découvre. Elle sert ainsi de relais au lecteur (il ne faut pas oublier que le but premier de
Jules Verne était la vulgarisation à destination des enfants). J'étais contente de voir apparaître ce personnage mais j'ai été, au final, un peu déçue par son traitement.
Jules Verne la cantonne finalement dans un rôle traditionnellement féminin : rôle de mère symbolique de la communauté, d'intérêt amoureux (très léger) et même de demoiselle en détresse. le fait qu'elle soit une exploratrice est plutôt sous-exploité. Surtout, ce qui m'a bien fait rire (jaune), c'est cette remarque de l'auteur lorsque notre héroïne, face aux difficultés que rencontre la colonie, craque momentanément : "La femme venait de reparaître un instant dans cette nature virile, et qui ne comprendrait un moment de défaillance en de telles épreuves." Il faut vraiment être un homme et n'avoir connu ni les grossesses, ni les accouchements, ni même les règles, pour penser que le courage et l'endurance sont livrés avec la testostérone et qu'il faut nécessairement une "nature virile" pour les posséder.
Jules Verne, qui était si visionnaire dans le domaine technologique, n'était pas plus en avance sur les idées de son époque en ce qui concerne les "indigènes" qu'en ce qui concerne les femmes. Je l'avais déjà remarqué dans d'autres romans.
le Pays des fourrures ne fait pas exception. Si
Jules Verne est un peu moins condescendant envers les Indiens et Esquimaux d'Amérique du Nord qu'avec les Africains, il les présente quand même plutôt comme des animaux de compagnie, intelligents, affectueux et dévoués, que comme des êtres humains, aussi dignes de respect que les Occidentaux.
Tous ces défauts, récurrents chez
Jules Verne, en feraient un parfait candidat pour le tableau de chasse de la Cancel Culture mais je ne suis pas fan des autodafés. Je préfère voir ces romans comme des témoignages, des instantanés de l'état des mentalités à une époque. Ils nous rappellent d'où l'on vient, comment on a évolué mais aussi tous ces biais culturels qu'on peut avoir inconsciemment intégrés. S'ils ont été écrits à la base pour des enfants, il vaut mieux avoir un peu plus de maturité et de recul critique pour les lire aujourd'hui.
En dehors de ces tares, qui deviennent presque amusantes avec la distance critique,
le Pays des fourrures est un roman d'aventures comme
Jules Verne savait en écrire, instructif et prenant, surtout dans sa deuxième partie. Il est amusant de voir comment l'écrivain prend peu à peu le pas sur le scientifique, accumulant les péripéties rocambolesques, usant et abusant de la Providence et des pressentiments. Ses personnages sont plutôt attachants même si j'ai préféré l'équipage des Enfants du Capitaine Grant, auquel ce roman me faisait beaucoup penser.
Challenge solidaire "Des classiques contre l'illettrisme" 2021