Dès les premières lignes, la mélodie et la fluidité de la langue est saisissante : c'est un flux harmonieux qui nous incite à découvrir les aventures ces lycéens en pleine révolution hormonale. Jouant les rôles des adultes qu'ils ne sont pas encore, avec la désinvolture de circonstance, ils apprennent les codes d'une vie sentimentale, parfois docile, parfois subie.
Battling est au coeur de l'histoire. Battling, autrement dit Fernand Larache, élève dans un lycée de province. de jolies femmes font des apparitions remarquées dans les cercles étroits de la petite ville, où l'on vit dans le calme des ragots en se remettant des pertes de la guerre passée, sans savoir qu'une autre suivra.
Analyse fine des passions adolescentes, d'autant plus douloureuses qu'elles sont sans filtre, faisant fi de toute raison. Sans compter le désir augmenté par la concurrence des autres jeunes aspirants à l'amour;
Grand plaisir de lecture pour ce roman du début du vingtième siècle.
Le style est distingué et en même temps inventif. Ecrire de cette façon, faut l'avouer, c'est la grande classe, mais on est en 1928. Une espèce de mélancolie émane de ces longues phrases, comme les vagues lentes de la nostalgie ; C'est certainement le rythme du point-virgule. le sujet s'y prête : L'adolescence chez les petits bourgeois bien éduqués de province ; Reste l'adolescence, avec ces émois, ces amours, ces défaites, l'amitié, l'ennui et l'exaltation. de Vialatte, j'ai lu, il y a longtemps, des chroniques qui firent sa renommé (Pierre Desproges, notamment, les recommande). Ce roman est aussi bien torché que ses chroniques, la grande classe disais-je, mais moins loufoque, moins farfelu, même si l'humour n'y est pas absent. Et puis dans quel autre roman ai-je trouvé le mot : félibre ? Il faut prendre le dictionnaire de temps en temps, non ? Alors 5* forcement. Allez, salut.
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Voici un roman sur les souvenirs d'adolescence, les amitiés sincères, les premières amours et l'enfance qui s'évanouit.
Une écriture toute en finesse, avec des phrases longues et mélodieuses...
Écrit en 1928, ce roman d'Alexandre Vialatte est à découvrir pour la plume de son auteur, qui vous emporte avec lui sur le fil des souvenirs...
Merci aux 68 premières fois pour ce doux voyage...
Alexandre Vialatte a écrit ce roman en 1928. Pourtant, l'exaltation et la révolte adolescente des trois jeunes amis restent très actuelles. Ce roman ne se lit pourtant pas si facilement, le style fait de phrases complexes, le vocabulaire recherché de l'auteur, requiert toute votre attention.
L'adolescence n'est elle pas la période où l'on est en conflit avec ses émotions, où l'on se construit en révolte contre sa famille, la société ? L'auteur fait transpirer ce mal-être entre les amis de toujours. Que faire contre l'état amoureux ? Doit-on le combattre au nom de l'amitié ? Fernand Larache et Manuel Feracci ont deux caractères bien différents mais le même élan pour Erna, l'Allemande.
Quelle est cette femme, exotique, artiste qui insuffle ce sentiment à deux jeunes gens qui s'enflamme pour elle ?
Une histoire d'un autre temps, c'est certain, critique à peine voilée d'une micro-société provinciale en filigrane de la vie de quelques jeunes gens.
Classique car intemporelle, seuls les mots indiquent que l'époque est éloignée d'un peu plus de 90 ans. La vision d'Alexandre Vialatte de la jeunesse est plutôt mélancolique, triste.
Il aurait pu s'agir de trois adolescents unis par une franche camaraderie, de celle que l'on conserve avec des sourires émus toute une vie, au sortir d'une guerre moderne aujourd'hui, plutôt qu'à cet enchainement d'évènements qui conduisent à une issue tragique..
Je ne me suis pas attachée aux personnages, mais plutôt à la découverte de la vision de l'auteur de son époque.
Merci aux 68 premières fois et aux éditions L'imaginaire Gallimard de m'avoir permis de découvrir ce livre.
Écrit en 1928, ce roman nous retrace l'histoire de Fernand Larache dit Battling, lycéen dans une petite ville de province.
L'auteur nous décrit les amours, les émois, les rêves et les rivalités qui puissent exister entre amis ainsi que la jalousie aux premiers temps de l'adolescence.
Un livre où j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire mais dont le style d'écriture et la fluidité ne laissent pas indifférent grâce à des phrases longues et parfois poétiques.
- Il faut aimer la vie, mon petit, mais avec patience. Moi, j'ai voulu me rattraper trop vite. Et maintenant je suis dégoûtée de tout. S'il n'y avait pas la peinture...
- Et moi ? dit Manuel. Je ne compte pas ?
- Oh toi, mon petit, je ne me fais pas d'illusions sur ton compte. Tu seras heureux comme tu le mérites. Mais je crains que ce ne soit pas brillant. Si tu m'écoutais, tu ferais quelque chose. Mais tu es paresseux, tu aimes les femmes et tu n'auras jamais le courage de choisir. Donne-moi encore une caporal et dis-moi l'heure.
- Cinq heures et quart.
- Déjà ? On n'a pourtant pas entendu le clairon de ton camarade ?
Un coup de fusil claqua dans l'air sec des jardins.
- Il s'exerce au tir, dit Manuel. Tu entends ? ... Il veut absolument s'engager l'année prochaine.
- C'est un sentimental, dit Erna. Comme toi, n'est-ce pas ? Viens m'embrasser, mon petit ; mens-moi bien. Dis-moi que tu m'aimes. (...)
Il est mort : Voici la chambre qui sent les pommes parce qu'elle servit autrefois de resserre pour les fruits ; voici le "calendrier du facteur" où les spahis passent l'oued sur un couchant rouge, et une femme porte une amphore, tournée vers eux ; voici les objets qui t'appartinrent, plus émouvants, plus accusateurs, plus grands déjà, plus symboliques : la montre d'or de ta première communion, le paroissien vert, le stylographe où tant de fois s'imprima la trame merveilleuse de tes doigts moites, délicate, mystérieuse et compliquée comme une empreinte de fougère dans la houille ; voici tes yeux fermés, tes mains vides et cette pauvreté parfaite... Et cette vieille femme accrochée à tes draps, tordue comme le bois de la vigne, ces remous qui font houler ses épaules comme si quelque bête était entrée en elle qu'il lui fallût chasser avec de grands efforts. La flamme des cierges toute pâle dans la lumière de la fenêtre sans volets. Sous la chaleur, exaspérée, la terre craque et se dessèche, les vignes écartelées sur les treilles se rôtissent contre la chaux. Mais quel été réchauffera jamais ta tête vide, tes jambes mortes, tes mains transparentes, que toutes les eaux de l'argile vont laver ?
Il est mort : par les convois éternels, ce soir, il débarque aux stations surnaturelles pareilles à quelque halte nostalgique dans les champs, mais sans timbre, sans cailles, sans roses, sans tilleuls, sans étoiles ; il débarque d'un train sans bagages, avec sa poitrine trouée, ses jambes encore inhabiles, son âme excessive et si lourde dans ce corps qui voulait tant vivre comme ces chevaux qui chargent encore dans la bataille, emportant leur cavalier mort.
Il me suffit de fermer les yeux pour entendre encore ronronner les becs de gaz de la petite étude, voir les murs verts et les grandes cartes géographiques, le Bassin parisien avec ses auréoles, le Tonkin violet, l'Annam rose, et trente têtes penchées patiemment sur des cahiers. C'est là que nous vivions nos seize ans. Nos yeux graves démentaient notre mauvais sourire ; nous avions des tabliers noirs, des doigts tachés d'encre et des signatures indécises ornées de paraphes copiés. Les vieux pupitres, invraisemblablement ravinés de formules, de dates et de devises, proposaient à la mémoire des patronymes fameux. C'est là que la génération précédente avait sculpté ses noms au couteau avant d'aller mourir à la guerre. Maintenant les pupitres avilis cachaient des photographies de femmes, découpées dans des magazines, des collections de timbres et des croûtons de pain, les déchets d'un âge inutile. Une République au profil grec regardait dans le vide avec des yeux de plâtre, horizontalement, plus loin que nous.
Le docteur Meyer-Fehr était un homme méticuleux, joyeux et doux, dont le crâne rond, passé au papier de verre, reflétait indifféremment les roses grimpantes, les arbres, les toits, les oeufs posés sur les jets d'eaux, et plus généralement tous les objets de la nature qui s'élevaient à plus d'un mètre soixante au-dessus du sol. Il avait une petite barbe poivre et sel, un sourire gai et des yeux tristes, une femme insignifiante et féconde, des enfants qui foisonnaient dans son jardin, une griffe de panthère du Kâfiristan à sa chaîne de montre, et une connaissance des hommes si parfaite qu'il en était au désespoir.
Le temps a passé depuis lors, les mois, les années. Les petits trains qui nous attendaient à la gare ont sifflé sur les petits viaducs pour nous emporter vers nos petits destins. Nous avons appris que les routes terrestres tournent en rond autour de la terre, terrestrement (Gallimard 1982 : p. 166).
Il s'assit sous la tonnelle ; il alluma une cigarette, il prit son front dans sa main gauche et découvrit sur ses souliers blancs, qu'il avait nettoyés le matin, une grosse tache rose qu'avait dû y faire une fraise écrasée ; alors il songea au soin inutile qu'il avait pris inconsciemment de se faire beau pour l'étrangère, - maintenant il en comprenait la raison - ; cette tache de fraise gâchait sa chance, il lui sembla qu'elle gâtait toute sa vie ; il se sentit pris presque sans raison d'une grande pitié pour lui-même qui lui fit monter les larmes aux yeux.
Françoise Sagan : "Le miroir ***"