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Sophie Labatut (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070411825
432 pages
Gallimard (14/03/2000)
3.61/5   66 notes
Résumé :
Toute sa vie, Segalen a douloureusement joué à s'inventer un secret. René Leys, c'est l'itinéraire de cette découverte. Dans un lieu clos, Pékin, deux êtres s'affrontent, se défient et finalement, se détruisent à coups d'images qui sont autant de mensonges. Mais la Chine qui est au bout de ce combat est plus vraie que la vraie Chine, celle faite seulement de briques, de tuiles et de poussière : elle est l'image que nous en portons et qui, passée au crible sans pitié... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
La France a une telle quantité d'écrivain qu'elle peut se permettre sans problème d'en oublier douzaine après douzaine, et il lui reste largement de quoi faire. Quand on s'attaque à ces délaissés, on a l'impression de tomber dans un puis sans fond…

Segalen est de ceux là. Dans l'orbe des « orientalisant » il fut éclipsé par Marguerite Yourcenar, dont le style simple et le côté « belle histoire de sagesse orientale » avait et a toujours beaucoup plus de succès. Segalen de son côté, est probablement mieux documenté mais ne se départit jamais de sa petite pointe d'ironie, ni de cette négligence élégante de la grande bourgeoisie française qu'on trouve d'Henri de Régnier à Chardonne, et qui consiste à ne pas accorder trop d'importance à la basse matérialité des choses. L'expérience qu'on tire d'une rencontre, le ressenti, voila ce qui compte. Quand à savoir s'il s'agit d'un rêve ou de la réalité, d'un affabulateur ou d'un génie incompris, quelle importance au fond…

C'est exactement là-dessus que repose ‘René Léys'. L'histoire se passe à Pékin au début du XXème, alors que la dynastie mandchoue des Qing agonise doucement entre ingérences européennes et nippones, révoltes en province et décomposition totale du pouvoir. le narrateur, riche européen en voyage, éprouve une fascination de plus en plus forte pour la Cité Interdite. Comme son nom l'indique, il était alors strictement interdit d'y pénétrer. Mais son professeur de chinois, le jeune René Léys, raconte y avoir des amis hauts placés…

Un jour, il déclare avoir aidé à déjoué un complot des plus graves, avec l'aide d'une courtisane indicatrices pour la police. Il emmène le narrateur pour une soirée des plus dépaysante dans la « maison des plaisirs » qui aurait été le théâtre des faits ; il y rencontre la « policière » – mais les quelques mots de chinois qu'il parle sont bien insuffisants pour communiquer avec elle.

Peu à peu, les confidences de René Léys se font plus intimes et plus secrètes. Après son intervention dans le complot, il aurait été appelé à la Citée Interdite. Il aurait rencontré une personne sur laquelle repose le destin de la Chine. Il serait devenu son conseiller. Il jouerait auprès d'elle un rôle de plus en plus intime…

Est-il un affabulateur complet, ou raconte-t-il la vérité ? Au fond, le narrateur n'essaye pas vraiment de le savoir. Il lui suffit de rêver, tout comme le lecteur pouvait rêver aux mystères de la Chine en lisant les descriptions et les anecdotes qu'il en livre. Et comme nous pouvons nous-mêmes rêver sur cette étrange cour impériale disparue à jamais, et dont la Citée Interdite n'est plus que la coquille vide…
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A Pékin en 1911, le narrateur de ce roman, nommé "Victor Segalen", note au début du Journal qui aurait dû devenir son livre sur la Cité Interdite, qu'une audience lui a été refusée et qu'il n'entrera pas. Cet échec initial annonce un autre obstacle à la fin du roman : en 1911 en effet l'Empire est aboli, la république proclamée, la dynastie manchoue (Qing) chassée du pouvoir. Le mystère de la Cité Interdite devient donc sans objet. Le temps de l'histoire comme l'espace de la ville s'opposent au désir du narrateur, évoqué en termes sexuels : pénétrer la Chine, la connaître par ce qu'elle a de plus intime, la Cité Interdite où règne l'Empereur, seul mâle d'un peuple de milliers de femmes et d'eunuques.

Alors surgit René Leys, jeune homme qui donne classiquement son titre au roman, comme Emma Bovary ou Jacques le Fataliste. René Leys, être de fiction qui prêtera son nom au lucide et bien réel sinologue Simon Leys, "pénètre" la Chine, le Palais, les théâtres et les polices secrètes, les Dames et les concubines, avec la plus grande facilité en ces derniers mois de l'Empire. "Victor Segalen" n'a accès à rien, a renoncé à écrire et n'apprend que péniblement le chinois. A cheval, il tourne en soupirant autour des murailles de la Cité Interdite, tandis que René Leys, beau et athlétique cavalier, jeune amant d'une mystérieuse Dame, brasseur d'affaires, génie des langues, se déplace souverainement dans le réel. Il se confie au narrateur, lui raconte monts et merveilles par allusions, silences et rares épanchements, et fait le roman à la place du romancier, sautant par-dessus les obstacles de la vie. Il rappelle parfois (la poésie et l'érotisme en plus) l'aventurier colonial de génie des romans naïfs du XIX°s, comme ceux de Jules Verne. On se doute qu'avec Segalen, ceci ne peut pas bien finir, et la révolution de 1911 vient déchirer ce tissu de paroles, de désirs et de rêves.

Donc, le véritable Victor Segalen nous a laissé cet étrange et déroutant roman, suite du "Fils du Ciel" consacré à Guangxu, le dernier empereur qui "aurait pu faire" quelque chose (sa mort en 1908 est souvent rappelée). "Le Fils du Ciel" développe en termes hiératiques, proches des Stèles, l'histoire indirecte d'une impuissance politique et d'une puissance poétique. "René Leys" est écrit de façon plus linéaire, sans avoir l'air d'être traduit du chinois. Ceci ne lui donne pas un aspect moins exotique ou plus prosaïque, au contraire. Ce livre est écrit comme un poème en prose baudelairien ou mallarméen. La beauté de la langue, du paragraphe, de la phrase, du mot, suspendent souvent la lecture, font presque oublier l'histoire et admirer le détail poétique de l'expression. Roman rédigé à Pékin en 1913, publié après la mort de l'auteur en 1922, "René Leys" hérite de la floraison littéraire et artistique des années 1900, et tient par toutes ses fibres au Symbolisme français de ce temps-là. Le divorce entre Poésie et Action, ou entre Beauté et Réalité, incarné par Hamlet tel que le voient Laforgue, Mallarmé et d'autres, hante l'oeuvre et la vie de Segalen, dont les voyages réels ("Au pays du Réel") et les livres tentent de combler la brèche et de réunifier la vie. René Leys est un roman profondément symboliste.

La Chine n'est-elle que le déguisement exotique de pensées et d'art français ? Sûrement pas. Ce serait ignorer la pensée précise de l'Altérité et du Divers, enracinée dans l'expérience concrète de l'auteur voyageur, archéologue et linguiste. Mais on n'a accès à l'Autre, comme il dit, que si l'on est bien soi-même. On lira pour s'en convaincre les fragments de l'essai sur l'exotisme que la mort précoce ne lui a pas permis de terminer.
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Le roman posthume de Victor Segalen intitulé René Leys, imagine une enquête quasi policière : un narrateur tient un journal, dans lequel il consigne minutieusement les moyens qu'il déploie, souvent à cheval et toujours en vain, pour pénétrer au sein de la fascinante Cité interdite. Il croit trouver un allié chez son professeur de mandchou, René Leys, d'origine belge mais très intégré, qui prétend avoir ses entrées à la Cour. le personnage est curieux, indolent, mystérieux. A-t-il, comme il le prétend, des fonctions au sein de la police secrète ? A-t-il une aventure avec une personne de la plus haute importance pour l'avenir de la dynastie ? Réussira-t-il à faire entrer le narrateur au saint des saints ? On oscille entre Série noire, roman d'espionnage et presse people ! En respect pour le genre et pour le lecteur, on ne dira mot de la fin de l'aventure.

La Cité interdite est minutieusement décrite, dans son architecture comme dans son fonctionnement. L'action se passe en 1911, mais aussi hors du temps, dans la Chine impériale, éternelle et moribonde. Dans l'excellente édition de poche, chez Folio (n°3319), un appareil savant de notes, chronologie, plans, esquisses, bibliographie, filmographie, enrichit la lecture, qui peut être savante. Mais le décor est à la fois celui d'un manuel d'histoire de l'art et d'un film d'aventure. Et le propos oscille entre un journal intime à bâtons rompus et un récit à surprises, entre l'imaginaire et le réel, la vérité et le mensonge, l'érudition et la mystification, dans un jeu de dupes soigneusement réglé.
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Comme beaucoup d'Européens de son temps, Segalen (1878-1919) se passionne pour l'orientalisme. Médecin débutant, il visite les îles des mers du Sud dans le sillage de Gauguin, puis se rend en Chine comme interprète. Segalen a admis que la Chine lui fournissait l'écran sur lequel projeter ses fantasmes les plus exotiques. Le protagoniste du roman est une représentation à peine déguisée de Maurice Roy, un jeune Français de dix-neuf ans aussi à l'aise dans la langue que la culture chinoises et que Segalen a embauché comme professeur alors qu'ils étaient tous deux à Pékin. Ce récit fictif de leur amitié est marqué par les attitudes désuètes et lubriques que les Européens fantasmaient sur l'Orient impénétrable. Le narrateur reformule souvent la question : « Un européen nubile normal peut-il aimer une femme chinoise ? . . par-dessus tout, peut-il être aimé d'elle ?'' Mais Leys est déjà l'amant de l'Impératrice, et est condamné. 

À propos de René Leys,peut-être vous souvenez-vous d'un numéro d'apostrophes pour lequel Bernard Pivot avait invité Simon Leys (pseudo de Pierre Ryckmans, très grand sinologue) ainsi que Philippe Sollers et d'autres maoistes – il y en avait encore...Au cours de cette émission Simon Leys avait vertement repris les participants sur leur adoration pour Monsieur Mao tse toung, et leur totale méconnaissance de la langue et de la culture chinoise ne les empêchant pas de dire et écrire n'importe quoi.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Pei-king, 28 février 1911, entame le roman sous forme de journal de Victor Segalen (1878-1919), René Leys, publié à titre posthume en 1921. Une fois n'est pas coutume, l'excellente collection L'Imaginaire, chez Gallimard, accueille une oeuvre inclassable et remarquable. Parcours géographique et itinéraire intérieur s'entrelacent et se confondent chez Segalen. Comment le lecteur peut-il faire la part des choses entre le roman journal et l'autobiographie romancée ? Tout prête à confusion et cela amène à perdre pied, agréablement. L'écriture claire et vive de Segalen, nourrie de dialogues enlevés, l'humour, la quête du narrateur, rendent la lecture vivante et tonique. Est-on dans un pays imaginaire, une réalité idéalisée ou dans un rêve en marche ? le narrateur se définit comme étant Victor Segalen. Son professeur de chinois se nomme René Leys, Belge, [pseudonyme non précisé de Maurice Roy, personnage ayant réellement existé]. Segalen est fasciné par la Cité interdite. Leys y a ses entrées. Où se situe la vérité dans les racontars du jeune Belge ? Est-il chef de la police secrète et amant de la Reine Impératrice ? Quelle est la part liée au mensonge et au fantasme ? Jusqu'où Segalen veut-il croire ? « Ce garçon m'a raconté des histoires mystérieuses et merveilleuses. Il m'a laissé voir, il m'a conduit, il m'a ouvert… il m'a véritablement ouvert… le loquet de jade du « Jardin mystérieux » dont il semblait le maître… Il conte si bien ! » On ne peut épuiser en une lecture la richesse du livre qui énonce de façon subtile des variations autour du désir, du plaisir et de la création. Il s'agit aussi d'une histoire d'amour puisque la vie de l'un est portée par les rêves de l'autre. René Leys se lit avec délectation d'une seule traite ou bien se déguste par courts chapitres jusqu'au 22 novembre 1911, date ultime du journal tenu par Victor Segalen.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
A bien réfléchir, sa part est donc beaucoup plus riche que la mienne ... la jeunesse d'avoir osé cela ! la foi peut-être de l'avoir accompli ! Et je suis là vivant, promenant autour de sa mort mon doute comme une lanterne fumeuse ... Alors que, fidèle à lui-même,- et je m'en aperçois tout d'un coup --, je devrais d'abord me souvenir de sa parole : l'autre, L"Empereur, est mort sans un ami auprès de lui ... -- "J'étais son ami" -- m'a dit avec un profond accent René Leys...
-- J'étais son ami -- devrais-je dire avec le même accent, le même regret fidèle, -- sans plus chercher de quoi se composait exactement notre amitié... dans la crainte de le tuer, ou de la tuer une seconde fois ... ou -- ce serait plus coupable encore, -- d'être mis brusquement en demeure d'avoir à répondre moi-même à mon doute, et de prononcer enfin : oui ou non ?

(Dernière page)
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16 juin 1911. Est-ce les leçons magistrales du vieux Wang, l'influence de Dame Wang, la précision des conseils du jeune Belge, ou la loquacité fureteuse de "ses" amis, -- ou l'air pénétrant, les effluves lettrés de Pei-king... -- le fait est que je progresse en cette langue pratique puisqu'elle annule la syntaxe en réduisant toutes les règles à trois, -- et que je m'éprends tout d'un coup du Style écrit, ayant découvert une architecture et toute une philosophie dans la série ordonnée des "Caractères" ... Enfin, j'en arrive à traiter mes Professeurs comme il convient : de simples lexiques, des outils bons ou mauvais, des machines parlantes et récitantes ...

p. 83
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Le dessin de son corps m’a surpris : tant de force en tant de souplesse ! une parfaite élégance symétrique… à suivre le contour de ses reins et de ses cuisses, j’ai compris comment il se liait à son cheval fou, et le geste même détendu de ses bras m’a fait voir comment il aurait dompté les femmes s’il avait vécu ! Juste assez brun pour n’être pas traité de « blanc » par les Jaunes… Et un dépoli de la peau déjà froide très semblable au toucher délicat de l’épiderme chinois…
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La jeune vierge de Ts’ien-men-waï, persistant à se refuser toujours, par ordre, au deuxième fils du prince Ts’i, cet amant en expectative d’emploi multipliait les promesses : lingots d’argent fin, perles mortes, corail faux, nécessaire à toilette Européen en métal Anglo-exportation, enfin voiture Franco-Pékinoise à 4 roues et à ressorts, toute attelée, signée du carrossier-maquignon bien connu (p 121)
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Mon Professeur attend un peu plus loin ; immobile, poli, - il ne sent rien de l’éternelle beauté de l’heure. Il ne sent pas que ces reflets dans l’eau visqueuse, ces affleurements de choses sourdies du profond inconnu de la vase, se manifestent là tout exprès, par justice du Ciel, pour figurer à la fois la beauté secrète du Dedans, et sa contemplation impossible. Ces passions murées, ces vies dynastiques… j’en saurai sans doute moins que du bourbier de cet étang révélant ses fleurs… et quelques bulles fétides…
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Saviez qu'en chinois il n'existe pas d'équivalent au mot français « impossible » ? Et savez-vous quel grand roman raconte qu'impossible n'est pas chinois ?
« René Leys », de Victor Segalen, c'est à lire en poche chez Folio.
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