Bon conseil aux amants
L'amour fut de tout temps un bien rude Ananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute ;
On met le naturel de côté ; bête brute,
On se fait ange ; on est le nain Micromégas ;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ;
On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie,
On trouve bon le givre et la bise et la pluie,
On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi ;
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci :
Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut :
L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.
C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite,
Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d'un ogre est frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe.
La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme.
As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.
Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
Printemps
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l’ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.
Air de la princesse d'Orange
Viens, ô toi que j'adore,
Ton pas est plus joyeux
Que le vent des cieux ;
Viens, les yeux de l'aurore
Sont divins, mais tes yeux
Me regardent mieux.
Avril, c'est la jeunesse ;
Viens, sortons, la maison,
L'enclos, la prison,
Le foyer, la sagesse,
N'ont jamais eu raison
Contre la saison.
Pour peu que tu le veuilles,
Nous serons heureux ; vois,
L'aube est sur les toits,
Et l'eau court sous les feuilles,
Et l'on entend des voix
Du ciel dans les bois.
Toutes les douces choses,
L'hirondelle au retour
Dans la vieille tour,
Les chansons et les roses
Et la clarté du jour,
Sont faites d'amour.
Aimer, c'est la première
Des lois du Dieu clément.
Le bois est charmant ;
Et c'est de la lumière,
Et c'est du firmament
Qu'on fait en aimant.
Belle, à la mort tout change ;
Le ciel s'ouvre, embaumé,
Superbe, enflammé,
Et nous dit : viens ! sois ange !
Mais qui n'a pas aimé
Le trouve fermé.
Mai dans les bois recèle
Les amours innocents,
Les amours innocents,
L'homme en est l'étincelle,
Les amours innocents,
La femme en est l'encens.
Couchez-vous sur la mousse
Dans le beau mois de mai ;
Dans le beau mois de mai,
La chose la plus douce
Dans le beau mois de mai
C'est quand on est aimé.
Parcourez les charmilles,
Les sources, les buissons,
Les sources, les buissons ;
Autour des jeunes filles,
Les sources, les buissons
Chanteront des chansons.
Sitôt qu'une femme aime,
Au fond de son esprit,
Au fond de son esprit
Brille l'aube elle-même ;
Au fond de son esprit
Une rose fleurit.
Vous qui voulez des flammes,
Vous qui voulez des fleurs,
Vous qui voulez des fleurs,
Cherchez-en dans les âmes ;
Vous qui voulez des fleurs,
Cherchez-en dans les coeurs.
TOUTE LA VUE D'UN CŒUR
Un coup de vent passa, souffle leste et charmant
Qui fit tourbillonner les jupes follement.
Je la savais ailée, étoilée, azurée,
Je l'adorais ; mon âme allait dans l'empyrée
A sa suite. Oh ! l'amour, c'est tout ; le reste est vain.
Je ne supposais pas que cet être divin
Qui m'emportait rêveur si loin de la matière,
Eût des jambes ; soudain je vis sa jarretière,
Et cela me choqua. - Quoi ! me dis-je, elle aussi !
Je la contemple, ému, tremblant, brûlant, transi,
Et je vois de la chair où j'adorais une âme !
Soit. Le songe est fini. Ce n'est donc qu'une femme
Qui marche sur la terre, et se retrousse au vent !
Et je fus amoureux bien plus qu'auparavant.
ME VOICI ! C'EST MOI ! ROCHERS, PLAGES
Me voici ! c'est moi ! Rochers, plages,
Frais ruisseaux sous l'herbe échappés,
Brises qui tout bas aux feuillages
Dites des mots entrecoupés ;
Nids qu'emplit un tendre murmure,
Branche où l'oiseau vient se poser ;
Gouttes d'eau de la grotte obscure
Qui faites le bruit d'un baiser ;
Champ où l'on entend la romance
Du rossignol sombre et secret ;
Monts où le lac profond commence
L'hymne qu'achève la forêt !
Ouvrez-vous, prés où tout soupire ;
Ouvre-toi, bois sonore et doux ;
Celui dont l'âme est une lyre
Vient chanter dans l'ombre avec vous.
Poésie - Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées - Victor HUGO