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ULTIMA NECAT
Le vieil homme contemplait le visage de l’aurore, aussi triste et interminable que les précédentes. L’automne prégnant ne lui injectait aucune force nouvelle.
Les épaules tombantes, le dos voûté, tête basse sous un glacier de rides profondes, il guettait. Au coin de sa fenêtre, toujours au même endroit, « à son poste », où il avait étouffé tant d’heures mornes et grises, il surveillait.
Tout ce temps passé à cet endroit, ici, le vieux plancher en arborait une usure prononcée, comme un scalp de bois emporté en milliers de copeaux et d’échardes – une auréole plus claire tatouée sur des lattes centenaires. Dehors, quelques poules caquetaient avec véhémence dans leur abri sécurisant de planches desquamées et de tôles rouillées.
Le vieux dévisageait un horizon dont il n’attendait plus rien. Les derniers jours écoulés l’avaient plus sûrement changé que les cinquante dernières années de sa vie.
(...)
Mais dans l’agonie de chaque jour, il craignait la confirmation de ce qu’il ressentait, la certitude que les semaines et les mois qui patientaient dans le sablier du futur n’avaient plus rien à lui offrir.
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— C’est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu’il a et tout ce qu’il n’aura jamais, lâcha-t-il songeur. (p. 107.)
Et alors, il lui fallait trouver une autre cible, une occasion pour se libérer de ce symbiote impalpable et immanent, ce fantôme très dangereux ; la face nord et noire immarcescible de son être. Parfois, dans cet instant onirique où il était libéré et pas encore reconquis, une certaine lucidité l’effleurait. Il s’entrevoyait alors comme un homme dilacéré et déliquescent. (p. 93.)
Ils entrèrent dans la chambre. L’homme dormait. Perfusé et branché à une machine qui poinçonnait le silence en bipant avec une régularité de robot. (p. 76.)
Ils regardèrent encore un peu les traces, silencieux, mesurant dans leur intimité la différence entre être en vie et ne plus l’être. Quelques centimètres, quelques secondes de décalage, une infime dissonance dans l’incroyable horlogerie de l’univers. (p. 38.)
Le problème de la brigade c'est que les personnels sont considérés comme des généralistes, ils doivent tout savoir faire : police judiciaire, police administrative, police de l'environnement, finances, fraudes diverses et variées, black et Urssaf, police de la route, intervenir sur les situations chaudes et se former pour ça, le tout sans aucun suivi réel et souvent un apprentissage sur le tas.
- Dis donc, Lino, t'as niqué la femme d'un ensorceleur ou d'un marabout ? Disparition de personne et maintenant on trouve le fourgon chez toi, t'es verni on dirait, commenta Walt, hilare.
Il faut accumuler une grande quantité d'heures et d'émotions communes pour fabriquer les conditions préalable à la confession, la vraie, celle qui ouvre le cœur et l'âme. D'une manière étonnante, ce sont les mauvaises heures et les galères qui soudent cette complicité naissante, jamais le confort et le calme. Dans une carrière, on ne croise cette possibilité de trouver un réel ami que trois ou quatre fois, quand on a de la chance. Et lorsque cela se produit, aucun des deux ne sait qu'ils sont à la fois le prêtre et le pénitent.
L'homme avait perdu le contact avec la nature au cours du vingtième siècle et depuis quelques années, il s'affairait avec une belle assiduité à perdre le contact avec lui-même.
- Tu as remarqué comme ici les cours d'eau possèdent des fonds superbes. Cette couleur ambrée est unique. C'est certainement dû au sable.
- C'est vrai, c'est assez typique. Et quand le soleil se cache, l'eau prend une teinte sombre, presque mystérieuse tout en conservant cette couleur au fond.
- Quand je pense que j'ai ce joyau à côté de chez moi et que je ne viens même pas y pêcher, soupira Lino.