La ménagerie des hommes illustres

"Gore Vidal" : "La ménagerie des hommes illustres". 1998.
Coup de coeur.

Vendredi saint du printemps 1939. T, jeune prodige des mathématiques est mystérieusement convoqué à la "Smithsonian Institution" de Washington, à la fois centre de recherches et musée, où est en cours d'élaboration un programme visant à construire la bombe atomique.
La Smithsonian Institution est ce que Gore Vidal lui-même appelle l'une de ses « inventions » – comme ses romans "Myra Breckinridge" et "Duluth" –, bien qu'elle incorpore également des thèmes historiques, comme dans ses livres "Burr", "1876" et "Lincoln".
En fait, Abraham Lincoln, Charles Lindbergh, Eleanor Roosevelt, Albert Einstein, Grover Cleveland et Adolf Hitler reprennent vie dans ce roman où les questions de responsabilité politique et de sacrifice personnel s'entremêlent avec la physique quantique avec humour, mordant et ironie. Tout les présidents des États-Unis et leurs épouses en effigie de cire reprennent vie également aux heures de fermeture de ce gigantesque complexe de musées (idée reprise avec beaucoup moins de bonheur dans le film "la nuit au musée II" dont le titre original est d'ailleurs "Night at the Museum: Battle of the Smithsonian".
Ses personnages réanimés initient T. aux mystères du sexe et du temps et aux arcanes de la géopolitique, de la science et de la guerre.
En rencontrant ses hommes illustres et en visitant d'anciennes époques et des lieux éloignées (sans sortir du musée qui condense à lui seul l'espace temps) T. se découvre une mission : il faut empêcher la Seconde Guerre mondiale qui peut éclater d'un jour à l'autre ... Et pour cela aider Openheimer qui est beaucoup trop lent à fabriquer la bombe atomique avant les allemands. Mais peutêtre il y a-t-il une autre solution...

Il s'agit en quelque sorte d'un roman de science-fiction mâtinée de farce et d'histoire alternative des U.S.A. (sans aucun doute, le public américain trouvera cela très facile à comprendre car ce sont des éléments facilement reconnaissables de son histoire) et de ce fait on apprécie mieux le roman si on s'y connait un peu ou qu'on prends le temps de faire quelque recherches pendant la lecture, ce que j'ai fais. Merci Google.
"Gore Vidal" crée une histoire de prospection technologique, de voyage dans le temps et d'uchronies qui se développent grâce aux théories physiques révolutionnaires du jeune protagoniste. Malgré ce substrat incontestablement fantastique, il y a une grande part de roman historique dans le récit.
Le livre est divertissant et très drôle (il y a une intrigue secondaire d'initiation sentimentale et sexuelle de T. super drôle grâce à son approche libérale)

Le roman se distingue par ses aspects métafictionnels aussi étonnants qu'efficaces.
La menace d'une nouvelle guerre mondiale planant au moment ou se situe l'histoire nous assisterons grâce au célèbre institut à un spectacle colossal dans lequel des héros de la science ( Einstein , Oppenheimer , Fermi, etc.), décideront de la direction que prendra le conflit en articulant de nouvelles armes atomiques dévastatrices mais seront guider pour y arriver par l'incroyable intelligence du gamin.
S'y mêlent également des aspects biographiques mineurs de l'auteur. Sans parler des critiques faites aux pires caractéristiques identitaires des États-Unis : des passages bien sentis sur l'esclavage et l'extermination des peuples autochtones aux attaques frontales contre l'impérialisme et aux guerres économiques déguisées en guerres au nom de la démocratie et de la liberté. le pouls de Vidal ne tremble pas et il n'y va pas avec le dos de la cuillère (pour rappel il était le demi frère par alliance de Jacqueline kennedy, petit fils de sénateur et ensuite grands figure de la gauche américaine).


Grâce à sa grande connaissance de la géopolitique et de l'humanité, Vidal nous livre un formidable récit sur les dilemmes éthiques de la science et la complexité des guerres impériales, le tout enrobé de péripéties incroyablement loufoques : Lors de sa première "sortie" extra temporelle il est déclaré "premier veau" par une tribu des premiers indiens d'Amérique et presque bouilli pour dégustation du chef de cette dernière (mais sauvé par par une « Squaw » non amérindienne en échange de son pucelage; il découvre que Lincoln n'a pas été assassiné mais qu'il dirige le musée à moins qu'il ne s'agisse d'un sosie, rencontre un Charles Lindbergh au pacifisme truculent expliquant à Robert Oppenheimer où Einstein s'est trompé et, grâce à un thermostat défectueux voyage dans « d'innombrables parallèles » passés. A moins que ce ne soit pas lui mais un double ou un de ces doubles...
Bref on va d'aventures en découvertes rafraîchissantes et ingénues sans parler des dizaines de gags aussi anachroniques qu'ingénieux dont le récit est parsemé. C'est peut-être le livre le plus étonnant que Vidal ait jamais écrit ou il se fait un observateur urbain incomparable du passé vénéré, du présent dévalorisé et de l' avenir peu prometteur de son pays. Et c'est du divertissement dans sa forme la plus pure.