Les sentiments noirs

Le téléphone sonna dans son bureau. Il posa sa tasse et fila pour décrocher. C’était encore le numéro du capitaine Leroi. Comme la veille, il hésita puis décrocha en soupirant.

— Mon capitaine…

— Bonjour, mon adjudant. Vous avez du monde sous la main ?

— Comme hier, mon capitaine, mais j’ai un gars en récupération de nuit jusqu’à dix heures.

— Oh, il est presque neuf heures et quart, il doit déjà être réveillé, ça ne fait pas une grande différence.

— Quand c’est la troisième patrouille nocturne en six jours peut-être que ça en fait une, mon capitaine.

— De toute façon, je n’ai pas le choix. Des randonneurs ont trouvé un véhicule calciné dans le tunnel d’accès au viaduc des Rochers Noirs.

Walter Brewski venait de se servir un café. Il s’était couché à deux heures du matin à cause de sa patrouille de nuit. Ils n’avaient pas trouvé la voiture de M. Farges. Comme le travail administratif s’accumulait, il avait repris plus tôt que prévu. Par la vitre de la salle dédiée à cette activité, il observait la cour de la caserne. Les joints qui ceignaient les pierres du mur d’en face donnaient l’impression de se dilater sous la lumière franche.

Elle émit un crissement semblable à celui des pas sur la neige fraîche. Une pluie de miettes tomba sur le parquet exsangue aux interstices calfatés par de la crasse inexpugnable et malgré tout éclairci par des heures passées à cet endroit.

(...) Et encore je ne me plains pas trop, les mecs en brigade, eux, ils en bavent. Si tu veux un conseil, le seul de la soirée, c'est d'éviter la brigade dans ta carrière. La brigade c'est le point d'intersection de toutes les emmerdes de la terre. L'endroit où convergent tous les problèmes et aucune solution.

(...) et bien sûr envoyer les sacro-saintes statistiques qu'on bidouille tous pour rester dans les clous. Les plus grands faussaires se cachent chez nous, Dimitri, sois-en certain.
- Ouais, quand j'entends le préfet ou le ministre se féliciter des chiffres de la délinquance, je suis mort de rire.