- Excusez-moi, mais je dois aller le récupérer. Il est avec Murène.
- Murène ? me demande Andréa. Késako ?
Bon, là, j'ai failli pas répondre, je déteste les gens qui disent késako. C'est comme merki et que du bonheur, je pourrais tuer à cause de ça.
Ah ! Enfin ! J'avais très envie de lire un livre de Séverine Vidal, dont on m'avait dit tant de bien. Et je me rends compte, en me plongeant davantage dans la littérature ado, que c'est une incontournable. J'ai lu "Le Plongeon", on m'a dit : hé mais c'est une BD ! Lis un de ses romans. J'ai lu "Pëppo", j'ai dit : ok mais c'est pas vraiment ce que vous m'avez décrit ? Je ne me sens pas dans le personnage, je ne SUIS pas le personnage... on m'a dit : ah non, Pëppo c'est à part, lis en un autre. J'ai lu "Sous ta peau le feu", et pas aimé du tout, et puis voilà "Soleil glacé". Aaaah...
Soleil Glacé c'est ça : un frisson et un sourire lumineux, quelques prases qui m'écorchent mais l'héroïne a 20 ans, pas 13 comme Pëppo (zut, je vérifie, il en a 17, mais bon il fait encore jeune ado débrouillard, pas étudiant). Un très bon moment. Je comprends pourquoi il est dans la sélection Farniente des 10 meilleurs livres de 2020 !
Et je l’aime d’un coup, un coup porté direct à ma poitrine, en plein coeur. Je l’accepte comme il m’accepte, et c’est une évidence
C’est étrange d’aller à l’enterrement de son père comme une invitée de plus. C’est sa sœur et son beau-frère qui ont tout géré. Je les connais très peu, ils ont toujours fait plus ou moins comme si je n’existais pas. On a reçu le faire-part, été mis au courant de l’horaire et de l’organisation, mais personne ne m’a demandé si je voulais dire quelques mots, par exemple, lors de la cérémonie. Je me sens donc, disons, « en trop ». Maman, n’en parlons pas, elle n’apparaît même pas sur le faire-part. On évoque ça alors qu’elle se gare devant le temple.
- Franchement, ça m’outre, dit-elle.
- C’est joliment dit, « samoutre », ça sonne bien. Donc « satoutre » alors ?
- Te moque pas, Luce. C’est pas le jour !
- Désolée, man’. C’est vrai, quoi, ils auraient pu mettre, euh… je sais pas, quelque chose, comme : « Son ex-compagne à qui il devait un max de blé et avec laquelle il n’avait pas échangé trois mots depuis quinze ans, Hélène Fitz, a la douleur de vous annoncer le décès brutal de celui qu’elle appelait à l’occasion, mais avec affection, ce petit enculé de Paul. » […]
Après une partie de rigolade et un début de conversation sur le système pileux d’Hélène, on arbore maintenant nos meilleures tronches d’enterrement. […] Mumu, la mère en chef, me serre fort en sanglotant :
- C’est bien que tu sois venue, Luce. Ça nous touche beaucoup. Vraiment.
Je pense : mais meuf, c’est mon père, là, dans ce machin en bois blanc verni. MON père, donc c’est logique que je sois là, je suis pas optionnelle !
Je dis pour la vexer et lui rendre sa pique (mais avec mon sourire le plus doux, je sais faire) :
- Ça me fait plaisir que vous soyez là, vous aussi. Il aurait été content. Vraiment.
Mon frère a un genre de coquille, une enveloppe pour le protéger, il en sort, il y entre, y cache sa tête, y dort. Une coquille que je dois soulever, ou casser selon les jours, sur laquelle frapper trois coups et attendre que quelqu'un (lui) vienne ouvrir...
Je suis terrassée par une émotion vive, complètement nouvelle : je me sens proche de cet inconnu qui est devant moi. Je sais qu'à partir de maintenant, dans ma vie, il y a ce grand type mal à l'aise, à l'étroit dans ses tocs et ses manies, qui se rassure en parlant beaucoup trop et en évitant le regard des autres. Et je l'aime d'un coup...
Dans la rue, je marche parce que c'est ce que les gens font. Mais je suis sonnée, pour de vrai, et ce que je voudrais plutôt, c'est tout arrêter. Peut-être pas longtemps, mais interrompre ma marche, celle du monde aussi pourquoi pas, m'asseoir, laisser couler le flot...
Tu te souviens? Tu disais ça souvent, « de bonne guerre » et puis souvent aussi « ma toute grande », «derechef», « c'est comme si que » (en t'excusant pour la faute), « merdouille », « un ptit caf en terrasse» ou « il pleuviote ».
Ta voix n' existe plus que sur ce répondeur, ton odeur est morte avec toi. Restent tes mots.
J'aime beaucoup ce garçon que j'appelle «p'tit con», que j'appelle «frère»
Il y a quelque chose dont je suis sûre, ce soir : j'ai envie de rester de ce côté là de la vie...