Les événements qui secouaient la surface n'avaient aucune incidence: Jésus-Christ, l'ère glaciaire, la bombe atomique, les Beatles, la découverte de l'Amérique, El Niño, le naufrage du Titanic, la Révolution française ou celle d'Internet, rien de rien de tout ce qui pouvait me passer par la tête n'avait d'incidence. Je n'aurais jamais été capable de plonger mes jambes dans ce décor horrifiant, d'être soutenue par cette sale masse d'eau dont la lie se refusait au savoir de l'homme.
Qu'ils réussissent à me convaincre qu'on gagne du temps à acheter des endives déjà découpées, qu'on risque la calvitie à ne pas mettre d'après-shampoing et sa vie à ne pas boire d'eau minérale, que le blanc m'est une couleur inconnue tant que j'achète une lessive anonyme, qu'on se sent une autre femme quand nos semelles sont signées, que le temps ne passe pas de la même façon quand on a une crème de jour et une crème de nuit.
Les publicités, les magazines me bombardaient d'impératifs par lesquels je ne me sentais hélas pas concernée. Vivez orange pressée ! Disciplinez vos sourcils! Revivez le temps d'un câlin ! Démarquez-vous ! Pariez pour le renouveau ! Lifting : allez-y ! Polémique : exprimez-vous ! Reconnaissez la vérité ! Avancez, le temps recule ! Luttez contre le vieillissement ! Jetez votre vieux canapé! Remettez-vous au vélo! Customisez vos fringues ! Proscrivez le sucre ! Habillez-vous malin!
Une seule zone de lumière suffisait, dans une obscurité où l'on reléguait le reste de l'appartement et du monde. De la connivence, il en fallait justement, pour que puissent éclore de telles bulles, aussi fragiles à trancher que la pénombre, mais nul ne songeait à manier l'interrupteur quand l'autre avait revêtu sa moustiquaire de lumière. Nous nous prenions ainsi assez souvent pour des vers luisants, chacun dans son auréole à un bout de l'appart, parfois rassemblés sous la même étoile.
Accepter la solitude de l'autre avait été une vraie étape dans notre relation.
Jamais ne m'était venue l'idée de le séduire. Jamais ou bien à chaque instant. Mais non, je ne crois pas. Pour la rigueur de mon observation, je ne voulais aucunement interférer avec mon sujet. Lui me nourrissait, le contraire l'aurait souillé. Je ne voulais surtout pas déteindre, l'atteindre, l'étreindre: il devait rester lui, loin, libre – c'était à cette seule condition qu'il pouvait me nourrir. Même les anthropophages ne se dévorent pas eux-mêmes. J'avais faim, je cherchais des indices à me mettre sous la dent, même si chaque découverte était dure à avaler.
Les mots sont devenus fluorescents. Je ne voyais plus qu'eux. Impossible de lire le reste. C'était un roman de cent vingt pages en trente-quatre mots. Un roman plein de trous.
ruche, visage creusé, miroitement, éboulis, voilier, chaloupe, enjambaient, tressaillir, entrain, déceler, se frôlait, flatter, faisceau, chalumeau, goudron, détresse, regard traqué, cœur chaviré, rapetisse, beurre d'arachide, blotti, embaumait, loucha, embrouillé, dépité, harceler, envoûté, flâner, fourbu, brosser, écorchais, s'épancher, cassonade
Raphaële Vidaling : L'histoire des plus grands
Succès littéraires du XXème siècle
Depuis le
café le Rostang, place
Edmond Rostand à Paris,
Olivier BARROT présente le livre dirigé par Rahaële VIDALING "L'histoire des plus grands
Succès littéraires du XXème siècle", publié par les éditions Tana.