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3,99

sur 1578 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Voici un roman hautement déstabilisant par son côté hypnotique et cette précision d'orfèvre dans le psyché humain.

Qu'est ce qui a poussé Martial Kermeur a balancé à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec ? Kermeur devra s'expliquer avant d'être jugé pour homicide. Il le fera en huit clos devant le juge à l'affût de chaque détail.

Une confession habile et noire où Kermeur détricotera le fil de l'histoire, l'emprise de cet agent immobilier qui promet le nouveau saint tropez du Finistère dans un complexe immobilier mais ne sera qu'une grossière arnaque dévastatrice.

Tanguy Viel passe à la loupe chaque centimètre d'un homme acculé, manipulé, jugé par son propre fils et jugé par sa propre conscience. Un homme qui suite à une mauvaise rencontre sera amené à se rencontrer lui-même dans la plus âpre et noire sincérité, dénouant le fil de ses dernières années où à force de déboires (un licenciement, un divorce), cet homme accueillera la providence sans se douter que sous ses airs affables se cache le corbeau de la nuit.

Un huit clos prenant, intelligent, ardu qui mérite une pleine concentration pour cerner l'ampleur du désastre d'un homme trompé.
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Une lecture originale, de celles que l'on qualifie quelquefois d'OVNI littéraire.
Plus une confession qu'un roman, il s'agit d'une expérience de lecture avant tout tant le parti pris narratif est quelque peu déroutant.
Nous savons dès le début que Martial Kermeur a assassiné Antoine Lazenec, aucun doute n'est permis et l'homme qui s'assoit dans le bureau du juge ne nie pas les faits, il vient d'être arrêté et doit répondre aux questions et notamment la première de toutes à savoir, pourquoi ?
Invité à s'expliquer, Martial Kermeur va entamer un long monologue, son histoire commence six ans plus tôt quand il rencontre pour la première fois Antoine Lazenec...
Six années disséquées qui vont mettre à jour un engrenage implacable, celui qui peut transformer une personne simple en meurtrier, un homme confiant, certains diront crédule, en un être aigri et poussé à bout par la dernière goutte qui fait déborder un vase qui ne demandait qu'à déborder.
Ce qui rend ce récit hypnotique c'est que Martial Kermeur n'est justement pas un être colérique assoiffé de vengeance, il est au contraire foncièrement paisible et voudra croire jusqu'au bout qu'il vit dans un mauvais rêve qui ne peut que s'arrêter à un moment ou à un autre.
Ce qui rend ce récit fascinant c'est cette effroyable logique qui peut faire basculer un destin avec une telle évidence, une histoire vécue mille fois par tant de gens avant lui.
Ce qui est amusant c'est qu'à un moment de ma lecture je me suis fait la réflexion que je lisais une variation d'une fable De La Fontaine, et en tournant la page je suis tombé précisément sur cette évocation.
Ce récit dégage une certaine force en ce sens qu'il aborde un sujet sensible, est-il légitime de se faire justice soi-même ?
Ce récit est captivant car nous nous retrouvons à notre insu dans la peau d'un juge sans que l'on sache à quel moment c'est arrivé.
Pour conclure, la fin est brillante et inattendue en même temps qu'elle nous instruit, bravo monsieur Tanguy Viel !
Je n'ai par contre pas été emballé par le style, trop dense à mon goût et surtout surchargé de métaphores.
Je pense que cette lecture est de celles qui suscitera autant de ressentis qu'il y aura de lecteurs car derrière son apparente banalité, cette histoire est de celles qui incitent à l'introspection.
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Dés qu'on évoque la Bretagne, je songe à des récits qui vous donnent le goût du large, bercés par une poésie fouettée d'air frais. le roman de Tanguy Viel n'est pas de ceux-là.
L'univers presque monochrome et la brume maussade qui recouvre les 170 pages ne laissent que très peu passer la lumière, sinon celle de l'écriture, d'une poésie à vous réconcilier avec la désolation et la lassitude.
Ainsi présenté, c'est un roman bien sombre et pesant. Mais Tanguy Viel a su me charmer en trouvant les mots pour raconter un bateau qui sombre, un pauvre gars amarré à presque rien qui a tangué au gré des défaites avant d'être heurté par la cupidité humaine.
La construction habile et les zones d'ombre pointées du doigt et laissées à plus tard participent sans conteste à la réussite du bouquin mais j'ai surtout été séduite par la voix unique de Kermeur en pleine confession dans le bureau du juge.
Durant ces heures incertaines où le destin se noue, on est face au juge, mais on est surtout face à soi-même, nu comme un ver, c'est là que tout ressort, l'authentique, les mots, ceux qu'on a gardé trop longtemps au fond de la gorge. C'est court mais c'est émouvant de lire un homme qui a toujours renoncé mettre beaucoup d'abnégation et de sincérité ingénue à se dévoiler.

A la croisée de l'intime et du social, ce roman dont on comprend la signification du titre dans les dernières lignes est une pépite. Tanguy Viel a travaillé son personnage comme un matériau noble, mettant l'humain en valeur, même dans ses faiblesses.
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Attendu que, lors d'une partie de pêche en mer l'accusé Martial Kermeur passa malencontreusement par-dessus bord le dénommé Antoine Lazenec, promoteur véreux de son état,
Attendu que le macchabée du susnommé Lazenec se trouva dûment restitué par l'océan quelques jours plus tard,
Attendu que l'ami lecteur est en droit de se demander ce que les individus précités pouvaient bien faire dans cette galère,
Le désigné Martial Kermeur est déféré ce jour devant le juge et sommé de revenir sur les circonstances précises des faits qui lui sont reprochés.

Ainsi donc voici le témoignage de Kermeur.
Face au magistrat tout ouïe, il conte les années poignantes qui précédèrent le drame. Les petites misères, les regrets, les espoirs, et la vie qui lentement bascule.

Son récit sincère et désespérément lucide sonne comme une confidence rédemptrice où, sous la plume dense et précise de Tanguy Viel, la parole se structure, s'émancipe, et défile sans trêve comme le ressac ininterrompu de l'océan qui forgea l'existence de cet homme meurtri.

Il faudra patienter jusqu'à l'épilogue inattendu de ce huis clos judiciaire pour en comprendre le titre insolite et si peu romanesque. « Article 353 du code pénal » est bien un roman pourtant, un roman fort, un roman social et intime sur fond de déclin économique et d'escroquerie porteuse d'espoir.

« Je me demande si mon livre n'accomplit pas un fantasme collectif ! »
Sur ce point aussi je vous donne raison Monsieur Viel, mais libre à chacun d'en juger… selon son intime conviction.
Ceux qui ont lu comprendront.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Si l'on compare ce roman à un monument littéraire, disons alors que ses vices de construction se révéleront, selon le lecteur, fatals à la lecture, ou au contraire insignifiants. Bâti sur un solide quasi-monologue, cimenté par une plume sûre, enlevée, soutenue par des phrases qui s'étalent comme des pensées trop longtemps retenues, parées de jolies images et tournures… il repose sur des fondements juridiques instables qui, avec un tel titre en couverture, menacent de faire écrouler l'ensemble. En tant que lecteur, vous serez donc seul juge : L'édifice va-t-il selon vous en pâtir et s'écrouler ou bien, parce que vous trouvez le narrateur sympa et le reste du récit bien planté, laisserez-vous l'architecte de cette histoire s'en tirer à bon compte, avec l'intime conviction d'avoir passé un bon moment de lecture et que, finalement, justice a été faite…?


Kermeur, le narrateur, est l'invité d'une partie de pêche par le riche propriétaire d'un bateau de plaisance… quand en pleine mer, il jette son hôte à l'eau, abandonnant son corps aux poissons et autres monstres marins. Aucun doute ne plane sur sa culpabilité. Mais pourquoi et comment en est-il arrivé là ? lui demande désormais le juge d'instruction devant lequel il doit expliquer son acte. Or raconter, c'est justement ce que souhaitait Kermeur après avoir retenu trop longtemps ce qui le rongeait .


C'est dans le bureau du juge que se déroule tout le dialogue. Mais le récit de Kermeur est ailleurs : sur la côte, à son ancien travail, dans sa maison, son mariage, ses espoirs et ses rêves déchus, déchirés, piétinés. Au bord de la noyade, il suffoque, il étouffe et puis se livre, nous livre et décortique, pour notre plus grand plaisir, l'enchainement de faits et sensations ayant causé son geste fatal et désespéré - que jamais il ne (re)nie. Aux rares interventions du juge succèdent des réponses fleuves de l'accusé, captivantes, qui finissent toutes par se jeter dans l'océan où a péri la victime, bien à sa place dans ce panier de crabes. Même si la note menace d'être salée.


Car n'existait-il pas d'autres solutions ? Peut-il y avoir de bonnes raisons de tuer, de se faire justice soi-même ? L'accusé lui-même n'y croit pas vraiment. le lecteur, qui peut-être s'est attaché un peu à lui, comprend pourtant ses envies de meurtre, faute de pouvoir cautionner un passage à l'acte, qui rendrait acceptable que tout le monde puisse tuer tout le monde. Mais c'est au juge, finalement, qu'il appartient de rendre une ordonnance motivée, orientant la suite de l'affaire vers un non-lieu ou un jugement. C'est alors que l'auteur part en vrille dans un scénario final juridiquement abracadabrantesque, pour un effet de style juridique et dramatique dispensable.


Si le but était d'amener le lecteur à juger Kermeur à la place du juge, en son âme et conscience, il existait certainement d'autres moyens plus vraisemblables et réels. Alors le lecteur devra s'inspirer du mal nommé article 353 du Code [de procédure] pénale, qui en appelle à l'intime conviction des jurés d'Assises (et non du Juge d'instruction…) et l'appliquer à sa lecture : Est-ce que le final d'une histoire, ancrée dans la réalité, doit être plausible pour que l'histoire ait un sens ? Ou l'auteur peut-il dénouer son histoire n'importe comment juste pour l'esbroufe ? Qu'est-ce que cela apporte à l'histoire ? Y-a-t-il une morale à en tirer ?


Au total, pas sûre que le titre qui ouvre le bouquin, et l'article de loi qui le clôture, rendent justice à ce roman qui demeure, par ailleurs, plus honorable que certains juges… Est-ce que j'ai pour autant envie de jeter ce livre à la mer ? Non, parce que j'ai pris mon pied tout le reste du récit, le style de Tanguy Viel valant le détour. Et car le lecteur, lui, peut juger un livre selon sa plus intime conviction ; Or la mienne me souffle que, si la fin m'a agacée, ce n'est pas un motif pour tuer la réputation de ce livre. Alors même s'il est coupable de ma déception, la peine devant rester proportionnée au crime, c'est sans rancune que je lui laisse 4 étoiles et sans honte que je vous invite-même à le lire pour vous forger votre opinion ! Lisez ce livre pour son récit, et ignorez tout à la foi le titre et la pirouette finale douteuse de l'architecte. Au moins en vous vendant ce livre, ses vices ne vous sont pas cachés, qu'ils soient de construction ou de procédure !


*** EDIT***
En parlant avec vous, je révise une partie de mon jugement : l'auteur a modifié le contenu réel de l'article, de manière à le plier de manière plus ou moins « cohérente » à son histoire, même si je trouve que le procédé n'est pas à la hauteur du reste.
La note ne change pas vu que je trouve toujours la fin trop facile (autant pour le romancier que pour ses personnages), dangereuse, trompeuse (pour le lecteur) et immorale.
Mais si je devais réécrire ce billet, je ne parlerais probablement plus de vice de construction.
En ce qui concerne la moralité de l'histoire de Kermeur… Ca demeure plus que jamais à chacun de s'en remettre à son intime conviction…!
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Si l'on ne connaissait pas Tanguy Viel, il n'est pas certain que le titre de ce roman, même sur une couverture de la collection blanche, déchaine l'enthousiasme des foules de lecteur. A fortiori quand on sait que ce titre a été allégé (il s'agit dans les faits de l'article 353 du code de procédure pénal).
Ne nous fions donc pas aux apparences, ce récit n'a rien de rébarbatif ni d'obscur.

Les faits bruts sont établis dès les premières lignes : Kermeur a foutu Lazenec à la baille , juste après que celui-ci lui offrait le homard prisonnier du casier remonté à bord du Merry Fisher 930.

Le dénommé Kermeur dispose à partir de ce moment de 174 pages pour développer son argumentaire face au juge. Comment en est-il arrivé là? Qui est ce Lazenec généreux en homard, péché d'un bateau financé par un abus de biens publics?

On est immédiatement dans l'ambiance de ce récit du far-ouest. contrairement à d'autres auteurs, qui font semblant d'être allé à Crozon pour visiter une bibliothèque improbable*, on identifie les décors, on s'y croit, on y est. Et si par moment, Kermeur a des envolées lyriques un peu trop travaillées, sa façon de s'exprimer fleure bon le terroir, les embruns. Et c'est avec une logique implacable qu'il refait l'histoire, celle d'une arnaque immobilière, inouïe, celle de la perversité d'un personnage malfaisant et suffisamment adroit pour embobiner tout un village sans péril, celle d'un homme qui n'a plus rien à perdre et qui ne voit pas d'autre issue que de se faire justice lui-même.

Et la justice dans tout ça?

Avant que la cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
" Sous réserve de l'exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? ".

Kermeur plaide. Avec ses tripes. Et avec toute l'adresse et le savoir faire de l'auteur, il emporte sans aucun doute l'intime conviction du lecteur d'avoir affaire à un roman de grande valeur .

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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L'endroit me paraît si familier que j'arrive à le situer avec précision. La mer, cette couleur de l'océan qui ressemble à une nulle autre pareil. Le temps gris et brumeux du matin et qui brusquement s'inverse avec la marée du soir. Quelques bateaux de pêche qui regagnent un port. Ce fond d'estuaire où sont venues mourir les épaves de quelques barques de bois, figées dans la vase, rongées par les algues et les plantes invasives, ainsi que quelques âmes en perdition qui ont sombré depuis longtemps au fond d'elles -mêmes, mais qui continuent de s'accrocher cependant, contre vents et marées, au zinc d'un estaminet. Et puis il y a les noms des protagonistes de cette histoire. Cette ville sur une presqu'île en rade de Brest, je la reconnais pour y habiter depuis plusieurs années.
Tanguy Viel connaît bien également cette région pour être né à Brest et y avoir séjourné durant son enfance.
Article 353 du code pénal n'est pas forcément un titre accrocheur. Ça, on ne pourra pas le reprocher à son auteur et je plaide coupable d'avoir tardé à le lire, d'avoir pris mille prétexte pour le mettre de côté en attendant de terminer la lecture d'un autre livre que je jugeais à chaque fois plus prioritaire et ça, je les fait pendant plus d'un an, je n'ai cessé de le faire jusqu'à ce qu'une petite voix au fond de moi, ou bien peut-être venue du fond de cette rade qu'il m'arrive de contempler le week-end, oui une voix est venue, ou bien peut-être celle d'un lecteur ou d'une lectrice, pour me dire : « Maintenant tu n'y échapperas pas »...
L'histoire se déroule donc ici dans les années 90. C'est à peu près à cette époque que je suis venu habiter ici. J'aurais donc pu croiser dans les rues ou sur le quai d'un des quelques ports que compte la presqu'île, le narrateur, Martial Kermeur.
Celui-ci est divorcé depuis peu. Il vit avec son fils Erwan. C'est un ancien ouvrier de l'arsenal de Brest, mu par un idéal socialiste encore intact, même si la classe ouvrière à laquelle il appartient à de quoi douter, frappée par des vagues de licenciements et de préretraites. Durant longtemps, l'arsenal fut le premier employeur de Brest.
Nous entendons la voix de Martial Kermeur raconter son récit au juge qui instruit l'enquête après son arrestation. Il vient d'avouer qu'il a poussé dans la mer Antoine Lazenec, un promoteur immobilier sans scrupules, alors qu'ils étaient tous deux au large, à bord du voilier de l'homme d'affaires. Et pour ce geste Martial Kermeur risque d'être inculpé d'homicide volontaire.
Ce sont ainsi que commencent les premières pages du récit et durant tout le reste du livre, nous voyons se dérouler l'aveu d'un homme, une forme de longue confidence au juge qui l'écoute, pose de temps en temps quelques questions, ponctue parfois son entretien de quelques étonnements, puis laisse le narrateur poursuivre son récit jusqu'au bout...
Nous découvrons ainsi les fondements de cette histoire presque ordinaire, avec des gens ordinaires, sans doute un peu naïfs, sans doute un peu désœuvrés, mais ici pas plus qu'ailleurs, fragiles certainement, à cause des aléas de l'existence. L'histoire pourrait appartenir à une chronique de faits divers, un promoteur immobilier peu scrupuleux embarque tout un monde dans son projet mirobolant et pharaonique, le maire et ses concitoyens, dont fait partie Martial Kermeur et qui vont s'accrocher à ce rêve improbable, cette chimère tombée du ciel comme des hameçons scintillants.
Article 353 du code pénal est l'histoire de Martial Kermeur, cet homme qui a tout perdu et qui nous fait désormais entendre sa voix, sans concession sur son histoire, l'histoire de cette chronique sociale et intime.
J'ai été emporté par la forme de la narration. Le récit est lent, avance pas à pas, décortique chaque scène importante de l'histoire comme une séquence scrutée au scalpel qui s'enchaîne aux autres dans un puzzle implacable Et la présence d'un juge qui écoute, ses questions qui viennent peu à peu poser de l'empathie dans l'instruction, transforment alors le fil de cette audition en une longue confession douloureuse et bouleversante.
C'est le récit intime d'un homme qui a tout perdu au-delà de l'argent. Mais j'y ai vu aussi comme une fable qui oppose de manière presque irréconciliable ceux qui sont exclus dans une société de plus en plus violente et l'arrogance de ceux qui en veulent toujours plus dans un cynisme totalement débridé.
Je plaide coupable d'avoir souri aux premiers instants où ce qui ressemblait à une tragi-comédie aux accents de farce burlesque prenait forme avec ce promoteur véreux qui allait enfariner les citoyens de cette presqu'île. Je plaide coupable de mettre presque moqué d'eux en me disant : « mais comment ont-ils pu se faire manipuler à ce point ? » Mais au fond, aurais-je été plus malin à leur place ? Ou plus lucide dans une situation sociale sans lendemain qui chante, acculé à croire au moindre miroir aux alouettes qui s'agite dans le vent du large ?
C'est en effet le récit d'une magnifique manipulation mais surtout c'est la confession et le rythme de sa narration qui font la force de ce roman. C'est remarquablement bien fait.
Il y a une lucidité désespérante dans ce regard posé sur la société et les tréfonds de nos âmes.
Dans ce long huis clos où les phrases se déplient comme du verre brisé, on sent une tension qui se libère peu à peu, et cela nous soulage presque au moment où on sent le juge peut-être poser un regard humain et compréhensible sur un homme abattu, marionnette ballotée dans un théâtre de fous.
Mon intime conviction est que vous aimerez ce livre.
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Ami lecteur, il t'est demandé de prendre la place d'un juge d'instruction le temps d'une lecture. Installe toi dans ce siège au cuir usé (le budget de la Justice, tu sais...). Tes bibliothèques débordent de codes aux couvertures rouges, ton bureau est couvert de dossiers qui dégueulent de pièces, rapports, interrogatoires et enquêtes… Un homme se tient face à toi, prostré. Il se nomme Martial Kermeur. Les faits sont simples, le suspect a tout avoué : au cours d'une sortie en mer sur un bateau de pêche, il attrapé Antoine Lazenec - le propriétaire du bateau - et l'a jeté à la mer, avant de prendre le large. Il a tranquillement regagné le port et est rentré chez lui. le cadavre de Lazenec a mis un peu plus de temps à revenir, mais les courants l'ont aidé à regagner la côte. Et ça, ça interpelle la justice française que tu incarnes et du coup, un nouveau dossier intitulé « Kermeur » (c'est écrit en gros au marqueur noir) s'est ajouté aux autres sur ton bureau.

Ce roman est une longue confession. Kermeur rend compte de ses dépositions au juge. On suit les méandres de sa pensée intérieure qui lui ont permis de se comprendre et qui nous permettront de le « juger ». Son récit fait part de ses projets brisés, de ses convictions perdues, d'une dignité enfouie sous une somme de démissions et d'abandons. Il décrit la figure de Lazenec, un escroc qui grâce à son aplomb et son obstination va détruire les vies de plusieurs hommes et d'un village du Finistère. Parfois, la victime est un salaud...

Le texte est « mauvigniesque ». le personnage qui se confesse se construit dans son récit. Il hésite, précise, répète. C'est une pensée qui se verbalise, raconter lui permet de comprendre, de fixer ses idées et de reprendre le contrôle de sa vie. Tanguy Viel parvient à retranscrire en quelques phrases la lente déchéance d'un homme simple qui va perdre sa dignité, l'emprise qu'un homme va patiemment prendre sur un autre, la communication devenue impossible entre un père et son fils, le flou qui endort un esprit, l'échec qui plombe une vie, l'alcool qui noie l'esprit dans l'inertie. Mais aussi une tension qui se fait chaque jour plus forte et qui n'aura d'autre issue que l'irréparable.

J'ai aimé que le roman ait pour cadre la ville de Brest. Le décor se compose de la rade, d'une presqu'île, du «Stade», de l'Arsenal, des lieux qui parleront aux gens du cru.

S'il appartiendra finalement au juge du roman de décider du sort de Kermeur, toi, lecteur, tu pourras méditer sur la justice des hommes et apprécier la lourde tâche des magistrats ou des jurés qui doivent juger un des leurs, un des nôtres, en fonction de leur "intime conviction".
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Ce petit livre a reçu un prix littéraire et rencontré le succès en librairie. J'ai tardé à le lire, son titre, Article 353 du code pénal, m'en ayant longtemps dissuadé. Je reconnais finalement que c'est une oeuvre brillante, dont l'intrigue est subtilement conçue et l'écriture finement ciselée.

Au large de Brest, le narrateur et personnage principal, Martial Kermeur, vient de balancer un type à la mer, volontairement et sans se cacher. Il se retrouve dans le cabinet d'un juge d'instruction, sommé de s'expliquer, ce qu'il fait dans un long monologue, à huis-clos. le juge l'écoute. Nous, lectrices et lecteurs, le lisons.

Cela faisait des années que la malchance avait ébranlé le bon sens de cet homme modeste, infortuné au point de voir le numéro qu'il jouait toutes les semaines au Loto sortir la seule fois où il n'avait pas validé son billet. Son emploi d'ouvrier à l'Arsenal avait été supprimé. Sa femme avait fini par le quitter. Il ne lui restait comme actif, qu'un fils à finir d'élever, et un pécule rondelet à la banque. La somme, correspondant à l'indemnité versée par l'Arsenal, aurait dû lui permettre d'acheter un petit pavillon dans la région, ou un beau bateau à moteur, rêve de tout retraité breton.

Mais à la malchance s'ajoutera une décision hasardeuse, lorsqu'il aura croisé la route d'un homme flamboyant et inspirant, un promoteur immobilier aux manettes d'un projet résidentiel de grande ampleur sur la presqu'île. Un projet qui avortera et ruinera les quelques investisseurs locaux imprudents qui auront cru en lui.

L'auteur, Tanguy Viel, analyse avec pertinence l'humiliation d'un homme mené à la ruine du fait de ses propres erreurs, sa honte d'avoir péché par naïveté, et aussi par cupidité, à l'encontre de ses idéaux de vieux militant socialiste. Sa honte de montrer une piètre image à son fils et d'avoir gardé espoir pendant six ans en dépit des évidences. Un espoir partagé avec d'autres naïfs cupides, croyant être en sécurité en s'agrippant les uns aux autres, alors qu'en l'absence d'arrimage solide, ils allaient tous tomber ensemble en prenant conscience de l'irréversibilité des choses. Sa honte, enfin, de n'avoir pas osé répondre la vérité lorsque le promoteur véreux, toujours flamboyant après six années d'espérances en trompe-l'oeil, lui aura lâché : « rassurez-moi, Kermeur, vous n'êtes pas sur la paille ? »

Car les escrocs ne disparaissent pas toujours après leur forfait. Certains restent sur place, forts de leur charisme, pour continuer à épater et à impressionner leurs victimes, afin que l'on continue à espérer en eux, avec eux.

Difficile de déceler dans les propos de Kermeur, le moment où il a décidé de tuer le responsable de sa déchéance. La veille, lors de l'invitation à la pêche ? Sur l'instant même, sous le coup d'une impulsion ? Toujours est-il que le meurtre, plutôt qu'une vengeance, sera pour lui le point de départ d'un parcours de rédemption en quête d'un honneur perdu, consacré par le long monologue empreint de lucidité, d'humilité et de sincérité, qui constitue l'intégralité du livre, et qui amènera le juge à chercher l'inspiration dans l'article 353 du code de procédure pénale.

L'ouvrage se lit aussi en chronique d'un territoire. Les événements prennent place dans les dernières années du vingtième siècle dans la rade de Brest, où comme dans de nombreuses villes de province, les activités industrielles traditionnelles ferment les unes après les autres, laissant des hommes sans qualification se résigner à ne plus travailler, à rester oisifs.

Le travail d'écriture du monologue est remarquable de justesse, de sensibilité, de minutie. Il m'a fait penser, en moins halluciné, à certains textes de Thomas Bernhard. Il n'en affiche pas moins les inconvénients du genre : l'homme qui s'exprime est fruste ; il traîne sur des détails, cherche les mots justes, et lorsqu'il ne les trouve pas, use de métaphores qui ralentissent la lecture, tandis que le développement de l'intrigue, intéressante, nous inciterait plutôt à la survoler.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Ça démarre comme un épisode de l'inspecteur Colombo. Un Colombo en Finistère. On assiste à un meurtre sans en connaître le mobile. Pour que nous le découvrions, l'auteur n'utilise pas les services d'un inspecteur mais le témoignage du meurtrier devant le juge. Ce livre est le récit brut et sincère (y compris dans la langue qu'il emploie) de ses aveux. le meurtrier, Kermeneur, ne cache rien au juge. Kermeneur est un gars « ordinaire », honnête, crédule, qui sera floué par un escroc sans scrupule, un promoteur véreux. le mobile est dans l'immobilier et, quelque part, le geste de Kermeneur, c'était de la légitime défense du littoral. L'admirable roman de Tanguy Viel est l'histoire d'une chute vertigineuse mais surtout, d'une terrible injustice. On est pendu aux lèvres de ce coupable qui, au fil des pages, change de visage pour se muer en victime. Il n'est plus l'auteur d'un crime commis de sang-froid, il est la victime d'une odieuse manipulation. Ses circonstances sont non seulement atténuantes, elles deviennent justifiées. Pour ménager le suspense et le plaisir de la lecture, je ne vous parlerai pas de la fin en apothéose, si belle et si bien amenée : fait rare dans notre littérature contemporaine où les fins de roman sont souvent bâclées. Tanguy Viel a écrit un roman juste et social, un cri d'amour à l'adresse de ceux qui sont démunis et que la justice absout si rarement parce que la justice est trop souvent tributaire de l'argent.
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