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"L'Amérique, l'Amérique, je veux l'avoir et je l'aurai..." En adaptant en 1970 le tube de Christie "Yellow River", Joe Dassin a recouru pratiquement au même stratagème que Tanguy Viel avec "La disparition de Jim Sullivan". Tous les deux ont pris un thème très américain, pour le traiter d'une façon très française. Et tout comme pour Joe Dassin l'Amérique est la terre de toutes les promesses, pour Tanguy Viel c'est un pays d'où sort la plupart des romans lus dans le monde entier, ce qui est, convenez-en, le rêve de tout écrivain. Le but de Tanguy Viel est donc écrire un roman "typiquement américain" avec tous ses ingrédients, clichés et poncifs, mais son livre n'est pas juste une parodie. Il y a aussi de ça, car on le lit en souriant, mais c'est surtout une étude de ce qui est nécessaire pour fabriquer un "bon" roman américain susceptible de plaire. Ce qui nous met à mi-chemin entre une parodie et un hommage. Mais c'est avant tout un chouette exercice de style : quelque chose qu'on ne trouve que rarement dans un "vrai" roman américain. Peut-être que les auteurs américains se prennent trop au sérieux pour cela, qui sait...? Quel est donc le brûlant secret du roman américain et de son succès international ? de ses traductions en toutes les langues imaginables, et de ces quatrièmes de couverture alléchants qui nous avertissent qu'on tient entre nos mains "une oeuvre dont la portée universelle dépasse les frontières", ce qui est, malheureusement, rarement le cas avec la production française ? Ha ! Dans le style : "cela devrait se passer quelque part aux alentours de Detroit", et "un nom comme Dwayne Koster pourrait convenir à mon personnage", Viel construit peu à peu son récit en recourant au conditionnel et au futur. C'est donc davantage une genèse de roman, mais l'histoire de Dwayne en ressort comme sur un palimpseste, et elle a bien un début et une fin. Et même quelques prémices, car dans un bon roman américain, un petit saut dans l'histoire familiale est de mise, comme vous l'aviez certainement remarqué pendant vos lectures américaines... Alors, jouons le jeu : on va d'abord deviner l'âge et le métier de Dwayne, puis sa situation familiale, et vous aurez un bonbon pour chaque bonne réponse ! Je vois déjà les mains se lever... Oui, ceux qui ont opté pour un quinqua divorcé qui enseigne la littérature à la fac ont trois bonbons d'un coup ! Ceux qui osent timidement avancer que sa spécialité pourrait être Herman Melville vont probablement garder le paquet, mais ce n'est pas fini... Bien sûr que Dwayne aura une maîtresse (un bonbon pour avoir deviné où ils se sont rencontrés), et sa femme aura un amant. Elémentaire, mon cher Tanguy ! Cet amant, qui ça pourrait bien être ? Si, à tout hasard, l'idée d'un collègue prétentieux de la fac vous effleure l'esprit, il va doucement falloir dégrafer votre pantalon, car tous ces bonbons ne peuvent pas rester sans séquelle. Comment régler la situation et donner une petite leçon à son rival, sans s'empêtrer dans une histoire politico-mafieuse qui ne présage rien de bon ? La question reste rhétorique, car j'ai pitié de votre ligne et de votre dentition. Mais si vous êtes amateurs du roman américain, une chose basique de ce genre ne devrait pas... bref ! Mais que Jim Sullivan vient-il faire dans tout ça ? C'est le chanteur préféré de Dwayne, voilà ! Il est de bon ton de rajouter un personnage "réel" dans la fiction américaine, et Jim, qui a mystérieusement disparu en 1975 dans le désert du Nouveau-Mexique, au bord l'autoroute de Santa Rosa, est tout simplement idéal pour que Viel puisse finir son histoire de la façon dont il la finit. "There is a highway telling me to go where I can Such a long way I don't even know where I'm..." ... chantait (vraiment) Jim, avant d'être probablement enlevé par les extraterrestres, et c'est aussi le sentiment global que me laisse le livre. C'est amusant et Tanguy Viel réussit son exercice avec brio, mais quelque part on se demande à quoi tout cela a servi. Je ne saurais dire... mais une chose est certaine ! Si les extraterrestres ont enlevé Jim afin de posséder un spécimen pour étudier tous les clichés et poncifs de la country music, ils n'ont pas raté leur coup ! 3/5. C'est drôlement bien écrit, ça vaut quand-même une lecture, mais ce n'est pas "une oeuvre dont la portée internationale dépasse les frontières". + Lire la suite |