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sur 413 notes
Voici les confessions d'un agent communiste infiltré qui retrace sa vie à partir de la chute de Saigon en 1975 et de sa fuite du pays vers les Etats-Unis dans les bagages du général de l'armée sud-vietnamienne dont il était le conseiller.

Non, ce n'est pas un énième livre sur la guerre du Vietnam, mais tellement plus que cela, complètement affranchi des genres habituels, ni roman d'espionnage, ni roman de guerre. Avant tout, une réflexion puissante sur l'ambiguité de l'histoire, tour à tour tragédie et farce ; une méditation quasi existentialiste sur la solitude de l'existence humaine, l'engagement idéologique, la légitimité de la violence et la place de l'immigré. Très dense, forcément..

L'auteur, lui-même Américain d'origine vietnamienne ( famille de boat-people ), évite tout manichéisme grâce à un personnage profondément ambiguë, né sous le signe de l'ambivalence, fils illégitime d'un prêtre et d'une très jeune Vietnamienne, brillant étudiant aux Etats-Unis après une vie de misère.

Ce qui m'a le plus étonné dans ce roman, c'est son mélange percutant de farce et de tragédie, qu'il s'agisse de décrire le sort des exilés vietnamiens aux Etats-Unis, déclassés et mal considérés ou les camps de rééducation communistes. de nombreux passages sont magistraux comme l'épisode du tournage en Philippines d'un film type Apocalypse Now sur lequel le Sympathisant est «  conseiller en authenticité », dénonçant au karcher mais avec subtilité l'emprise d'Hollywood sur L Histoire ou comment les Etats-Unis qui ont perdu la guerre du Vietnam ont remporté la guerre culturelle en imposant leur vision. Ces passages m'ont presque fait pensé au M.A.S.H d'Altman ( sur la guerre de Corée lui ), réjouissants donc mais terrible dans ce qu'ils disent.
En fait, ce qui est très impressionnant, c'est qu'on sent à quel point ce roman n'est pas écrit pour plaire, ni aux Américains, ni aux immigrés vietnamiens ( souvent tendrement ridicules ), ni même aux lecteurs dilettantes ou distraits tant ce premier roman est exigeant et demande une lecture attentive.

«  La plupart des Américains nous regardaient avec ambivalence, sinon avec dégoût, car nous étions le rappel vivant de leur défaite cuisante. Nous menacions la sacro-sainte symétrie d'une Amérique noir et blanc, dont la politique raciale du yin et du yang ,e laissait place à aucune autre couleur, notamment ces petits jaunes pathétiques qui venaient piquer dans la caisse. Nous étions d'étranges étrangers, réputés avoir un petit faible pour le fido americanus, le chien domestique qui coûtait, par tête, plus que le revenu annuel d'une famille de crève-la-faim bengalis. »

Viet Thanh Nguyen est en train d'écrire une suite, elle se déroulera en France, une réflexion sur la diaspora vietnamienne et la colonisation. Intéressant de voir ce qu'il fera de la guerre d'Indochine qui a une image très romantique en France entre Catherine Deneuve du film Indochine et les mots de Duras dans l'Amant.

Lu dans le cadre de l'US Book Challenge
Lire un Pulitzer ( ici 2016 )
https://www.facebook.com/groups/294204934564565/
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Durant la guerre du Vietnam, le narrateur, nommé Capitaine, est une taupe, officiellement bras droit d'un général du Vietnam du Sud. Comme le dit un de ses amis, il est bien planqué :”La mission d'un espion est de se cacher là où tout le monde peut le voir et où il peut tout voir”. Ce livre est sa confession.
A l'époque, en 1975, ils sont trois amis, trois frères de sang, Capitaine, Bon et Man. Ils se nomment Les trois mousquetaires. Bon est nationaliste, Man et Capitaine, communistes. Un peuple, des familles divisés, et entre eux Les États-Unis, un sujet qui ne fera que du mal. C'est cette triste histoire que nous abordons dans ces pages, d'un passé qui semble lointain mais qui se répète depuis à volonté sur d'autres scènes géographiques mondiales, une guerre civile menée d'une main de maître, celle des différentes puissances mondiales....et qui finit toujours mal.
Tout est ambigu chez cet homme, fils naturel d'un prêtre catholique et de sa bonne vietnamienne, né dans le Nord,enfui lorsque les communistes l'occuperont, et passé au sud, leur espion, pas facile une identité nette avec cette donne-là. Il en souffre aussi, d'où le nom du livre....un sympathisant, un homme capable de sympathiser avec les deux côtés.
À la chute de Saigon, ces «  hauts dignitaires » des forces armées du Vietnam du Sud , on les retrouve en Californie, où ils poursuivent leurs «business », y compris notre taupe. le business de la taupe va se corser.....

J'ai trouvé cette histoire trop américanisée, fortement teintée du racisme de “l'homme blanc” pour la race jaune mais aussi vice versa, de la condescendance du narrateur pour eux. Ces deux dernières remarques ne sont pas nécessairement dans le sens négatif. Les dialogues du Capitaine avec l'arrogant « Auteur » de Hollywood soulignent bien l'arrogance couplée d'ignorance de l'Américain et d'autres vérités sur un peuple qui a voté dernièrement à la majorité pour un type comme Trump, sont très juste vues. J'attendais juste une histoire plus originale, une perspective plus vietnamienne, alors que c'est hybride, vu que déjà, c'est écrit en anglais.
Ce personnage de taupe aussi ne m'a pas vraiment convaincue, même à la fin,....un personnage ordinaire, que le narrateur lui-même confesse (« such a man best belonged in a low-budget movie, a Hollywood film », un homme pareil ne pouvait être qu'un personnage de film hollywoodien bon marché). J'ai eu du mal à saisir certains points dans son histoire, comme l'interêt de raconter et comparer ses ébats sexuels zoophiles ( ici il est question d'une poulpe) avec le massacre, la torture,.....de la guerre; il pense que le premier n'est pas obscène, comparé au massacre et à la torture de milliers de personne, quel rapport ? ; j'ai été peu convaincue de l'intérêt pour les communistes de ses lettres à la tante, ou de ses réflexions analytiques ou philosophiques, genre "fast food", des recettes à l'américaine, simplistes, sur des questions existentielles, “A person's strength was always his weakness, and vice versa.”( la force de quelqu'un est toujours sa faiblesse et vice versa), rien de bien profond. Même la fin est hollywoodienne,....ce n'est que mon avis bien sûr .

Bref ce livre ne m'a rien apportée de nouveau sur cette guerre ni sur ce pays, ni en réflexions, en générale, sinon qu'une fois encore à me faire révolter à la pensée de tout ces morts, ces vies gâchées. Pour quel résultat ? le pays est toujours communiste, dans le sens de ce qui reste de cette idéologie. Ceux qui les gouvernent sont toujours aussi corrompus et maintiennent toujours étroitement leur joug sur les civiles, sauf que peut-être le peuple vit un tout petit peu mieux mais toujours assez loin de l'aisance. Finalement qui en a profité ? les marchands d'armes et de toutes sortes de drogue et autres contrebandiers, sans compter les dirigeants communistes du pays, qui eux-mêmes peinent à croire à leur propre idéologie. Si on les avait laissés seuls se débrouiller, ils s'en seraient beaucoup mieux sortis que tout ce gâchis, car c'est un peuple très travailleur et très débrouillard.
Mais je ne regrette pas de l'avoir lu. C'est bien écrit ( v.o.), un anglais bien manié mixé à un humour subtile, d'où je pense son prix Pulitzer plutôt que pour l' histoire (à moins que appréciée pour son côté très américain :) ), dont le coté humain des contradictions du narrateur et sa lucidité à la fin, ajoutés à la nostalgie de l'exil n'en restent pas moins émouvants .
La seule chose importante que je retiens de ce livre c'est l'Amitié, primordiale pour moi.
Je remercie palamede dont l'excellent billet m'a poussée à le lire, alors que je n'en avais nullement l'intention.
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Après le départ des troupes américaines au Vietnam en 1973, la guerre continue entre le Sud et le Nord malgré les accords de Paris. Et pendant les jours qui précèdent la chute de Saïgon, c'est le sauve-qui-peut pour beaucoup de Sud-vietnamiens qui cherchent à quitter leur pays.

Le sympathisant, agent double au service des communistes et aide de camp d'un général, est chargé d'organiser l'exil de celui-ci vers les Etats-Unis. Pour ses frères d'armes qui sont aussi ses ennemis c'est la fin de leur monde, alors que pour lui ce n'est qu'un changement de monde. L'homme, qui a des loyautés divisées car fils d'une Vietnamienne et d'un prêtre catholique français, communiste mais pas ennemi des capitalistes, se remémore avec humour et ironie sa carrière d'espion, la chute de Saigon, l'exil avec les boat people et son retour au Vietnam où il est prisonnier du régime.

Un récit original — puisqu'il raconte la guerre du Vietnam surtout du point vue des réfugiés vietnamiens — qui repose sur des faits historiques. L'histoire est en partie inspirée par celle de l'auteur : américain et vietnamien, immigré aux Etats-Unis avec ses parents, Viet Thanh Nguyen pendant ses études, sans devenir communiste, face au racisme anti-asiatique qu'il attribue au capitalisme, s'est radicalisé politiquement. Une prise de conscience qui a été le point de départ de ce roman dense et percutant sur l'ambivalence interdisant tout manichéisme, récompensé par le prestigieux prix Pulitzer.

Challenge MULTI-DÉFIS 2018
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Le Sympathisant nous plonge dès la première phrase dans l'ambiance ; avec un incipit qui sonne comme une confession, nous savons d'emblée à quel type de héros nous avons affaire : « Je suis un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double ». En fait, tout le livre, et c'est un choix narratif original, est au sens propre une confession.

Ces premiers mots renvoient bien sûr aux maîtres du genre. On pense à Graham Greene (L'Agent secret, Un américain bien tranquille) et à John le Carré (La Taupe). Il est d'ailleurs fait référence dans le livre, comme par un effet de miroir, à Un Américain bien tranquille et à son personnage Alden Pyle (page 136). Logique, nous sommes à Saïgon. le narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, a écrit un mémoire sur le livre de Graham Greene. Mais ici, le narrateur à la double face ne peut se contenter du côté Pyle… car il est plutôt de l'autre bord !

Le Sympathisant est un agent communiste infiltré qui roule en réalité pour le Viêt-Cong, et qui, après une première période aux côtés des Français d'Indochine, dont nous retiendrons du récit quelques madeleines de Proust bien croustillantes (les biscuits Petit Ecolier), aura passé presque toute sa vie aux côtés des Américains, en adoptant « l'American way of life » pour mieux se fondre dans le décor et mieux observer ses ennemis.

Cette position l'amène à tout moment à devoir trancher des choix cornéliens intenables. Si les situations sont prises au début avec cocasserie et humour par le narrateur (avec un rire que l'on peut toutefois qualifier de « jaune »), le ton général ne tarde pas à plonger dans la désillusion, l'amertume et la noirceur.

Le héros cornélien peut s'aventurer sur le terrain de la tragédie grecque, une sorte de voyage au bout de l'Enfer personnel. Car contrairement aux apparences, on est plus ici chez Cimino que chez Coppola. Notre homme dont on ne connaît pas le nom a fait un pacte avec ses deux amis d'enfance, Bon et Man. Un pacte du genre : on se mélange nos sangs et on devient des frères à vie, ce qui va quand même un peu plus loin que la simple fanfaronnade du juré craché par terre. Or, Bon deviendra le bon soldat du Sud-Vietnam, anticommuniste, assassin sans sourciller des basses oeuvres de l'armée en exil, un peu bourrin mais pour la bonne cause. Man lui, deviendra l'officier traitant du narrateur, resté au pays, anticapitaliste et commissaire politique de l'autre bonne cause. Trois frères, deux camps, un frère dans chaque camp et le troisième au milieu. le narrateur, le traître quoi qu'il puisse arriver, devra choisir. Ou pas. le drame peut donc se jouer.

L'effet cornélien est renforcé par le choix de personnages archétypaux, dont on ne connaît jamais les noms. Ce procédé donne un côté allégorique et théâtral à la tragédie. Certains des personnages (mais pas tous) sont nommés par leur rôle : le général, Madame (la femme du général en question), L'adjudant glouton, le congressman, L'Auteur, le Comédien, etc. Dans cette tragédie, les personnages, tout comme le narrateur, avancent masqués.

Un épisode du roman évoque le tournage mouvementé du film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. L'auteur (avec un a minuscule) ne s'en cache pas, et cite dans sa postface sa source d'inspiration. L'American way of life montre alors un visage plus cynique et beaucoup moins souriant.

Mais le pire reste à venir, avec la confession d'un souvenir occulté, l'aveu des méthodes de torture de la CIA, à la guerre comme à la guerre, c'était pour la bonne cause n'est-ce pas mon général ?

Quant aux camps de rééducation de l'autre bonne cause, auxquels le narrateur, le « sympathisant », sera confronté tout en restant fidèle jusqu'au bout à ses convictions, ils montrent in fine comment se terminent généralement toutes les idéologies révolutionnaires.

Je m'interroge sur la phrase de Man, le commissaire politique, qui écrit à son agent de terrain dans une correspondance cryptée : « Ne reviens pas. On a besoin de toi en Amérique, pas ici. C'est un ordre. » A posteriori, cela ressemble plus à une mise en garde qu'à un ordre de mission secrète, cela sonne comme une mise à l'abri de son frère de sang, comme l'aveu d'un mauvais choix idéologique et d'une cause qui tourne mal.

Presque tous les personnages du roman, sympathiques et pleins de bonnes intentions au départ, se révèlent être les bourreaux ou les victimes d'un système, guidés par leur aveuglement idéologique. le sympathisant est un livre étonnamment ambitieux pour un premier roman, qui donne à réfléchir, mais qui en n'adoptant aucun autre point de vue que celui de son narrateur au double visage, brouille les pistes et reste finalement assez ambigu dans son éventuel message.

Pour terminer, je remercie comme il se doit l'éditeur Belfond et Babelio de m'avoir fait découvrir ce premier roman d'un écrivain prometteur qui possède déjà à son palmarès le Prix Pulitzer fiction 2016.
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Zut, me direz-vous, encore un roman sur le Vietnam ! En effet... Sauf que celui-ci ne ressemble pas tout à fait aux autres.
Écrit par un Américain d'origine vietnamienne, il raconte l'histoire des véritables perdants, ces Sud-Vietnamiens qui ont dû fuir leur pays sur des rafiots surpeuplés pour se soustraire aux déportations, aux équipes de déminage et à la rééducation forcée à laquelle voulaient les soumettre « pour leur bien » leurs gentils frères du nord. Un sauve qui peut tragique qui a conduit les plus chanceux d'entre eux jusqu'aux rivages de l'Amérique des années soixante-dix, une Amérique raciste, traumatisée par son échec et peu encline à faire une place à cette nouvelle minorité.
Toute l'histoire du Sympathisant est racontée par un narrateur anonyme, individu pas toujours fréquentable, que traversent la plupart des lignes de faille de la société vietnamienne : catholique, dans un monde majoritairement bouddhiste, marxiste, mais fasciné par le mode de vie et la culture occidentales, il est un espion communiste infiltré dans les rangs de l'armée capitaliste ; mais surtout, pour ses compatriotes, ce n'est qu'un « bâtard », né de mère vietnamienne et de père français : cette faute originelle lui est constamment reprochée et l'empêche de s'insérer dans quelque milieu que ce soit.
En résultera une personnalité complexe et douloureuse, jusqu'à la transformation finale du personnage, dont je ne dirai rien pour ne pas déflorer une intrigue extrêmement soignée.
Le Sympathisant, de Viet Thanh Nguyen, est un roman puissant, qui traite de la condition de l'exilé, et de la difficulté que celui-ci éprouve à se reconstruire une fois qu'il a coupé les ponts avec sa terre natale.
C'est aussi le livre des grandes amitiés et des idéaux défigurés, à l'image du visage d'un des amis du narrateur, calciné par le napalm (on songe à Dorian Gray).
C'est enfin à une satire férocement drôle de l'Amérique et de l'american way of life que se livre ce Persan d'Extrême-Orient, qui écrit régulièrement des lettres chiffrées à une mystérieuse parente :
« Oh, le nuoc-mâm ! Comme il nous manquait, chère tante, comme plus rien n'avait de goût sans lui, comme nous regrettions ce « grand cru » de l'île de Phu Quoc, avec ses cuves remplies des meilleures anchois pressés ! Les étrangers aimaient dénigrer ce condiment liquide et âcre, à la couleur sépia très foncée, pour son odeur supposément atroce, ce qui donnait un autre sens à l'expression : «  Ça ne sent pas bon ici », car c'est nous qui ne sentions pas bon. de même que les paysans de Transylvanie arboraient des gousses d'ail pour repousser les vampires, nous nous servions du nuoc-mâm pour tracer une frontière avec ces Occidentaux incapables de comprendre que ce qui ne sentait vraiment pas bon, c'était l'odeur nauséabonde du fromage. Qu'était le poisson fermenté comparé au lait caillé ? »
En dépit de quelques longueurs dans sa partie centrale (largement compensées par un "finale" digne du 1984 d'Orwell), le Sympathisant est une fresque superbement écrite et qui ne laissera personne indifférent.

Un grand merci aux Éditions Belfond et à Babelio pour cette excellente lecture.
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Il m'a fallu attendre de l'avoir presque terminé pour apprécier pleinement le sympathisant, un roman gratifié du prix Pulitzer l'année dernière. Tout au long des dix-huit premiers chapitres de ce livre qui en compte vingt trois (et cinq cents pages), j'ai savouré les belles qualités littéraires d'une narration présentée sous forme de confession, tout en me demandant, avec un peu d'agacement, quel pouvait bien être le sens que son auteur avait voulu donner à cette oeuvre.

L'auteur, justement, Viet Thanh Nguyen. Dans sa vie comme dans son livre, tout commence en 1975. Il a quatre ans. Avec la chute de Saïgon, c'est la fin de la guerre du Vietnam. Ses parents fuient et, comme des centaines de milliers de Vietnamiens, se réfugient aux Etats-Unis, où ils réussiront à reconstruire leur vie. Sous le regard fuyant ou condescendant de l'Américain blanc moyen, l'Américain Viet Thanh Nguyen prend conscience de l'ambiguïté de son identité. Il constate aussi que sa nationalité d'origine ravive la mémoire d'une défaite américaine cuisante et d'une guerre jugée aujourd'hui infamante.

C'est pour exorciser ce sentiment perçu comme une injustice, qu'il écrit le sympathisant, l'histoire fictive d'un homme qui aurait pu connaître le même exode que ses parents. Cet homme, dont la double identité est poussée jusqu'à l'absurde, se voit comme un bâtard. Les autres aussi le voient comme tel. Né de la séduction scandaleuse d'une très jeune fille vietnamienne par un prêtre français installé en Indochine, sa peau n'est ni jaune ni blanche… à moins qu'elle soit à la fois jaune et blanche. Sa culture est à la fois orientale et occidentale… à moins qu'elle ne soit ni l'une ni l'autre.

En fait, l'esprit de cet homme est double, ce qui lui permet de voir les problèmes des deux côtés. Dans sa longue confession, dont on ne connaîtra le contexte qu'à la fin, c'est en toute logique qu'officier américain au Sud-Vietnam, puis membre d'une diaspora revancharde exilée en Californie, il assume ses agissements d'agent double au profit de l'ennemi affiché. Voilà un sympathisant communiste qui consomme avec opportunisme et délectation l'american way of life. Appelons les choses par leur nom : un traitre qui ne recule devant rien, pas même le meurtre, sans que sa conscience en soit profondément perturbée... Mais on peut changer, tant qu'on reste vivant !

Le livre est une critique féroce d'une société américaine, dont les archétypes amènent les minorités ethniques à se sentir inférieures, tout intégrées qu'elles soient sur les plans intellectuel et économique. Sous la forme d'un épisode aux Philippines, il lance un violent coup de gueule à l'encontre d'Apocalypse Now, ce film halluciné des années soixante-dix, proclamant avec tambours, trompettes et napalm, que le destin des combattants américains est la gloire, les Vietnamiens n'étant voués qu'au silence et à la mort.

Mais malgré toutes ses carences, l'Amérique n'est pas pour autant l'enfer. L'enfer, selon l'auteur et, finalement, son personnage du roman, ce serait plutôt le monde communiste et ses pratiques de « rééducation » normalisatrice. Tout sympathisants qu'ils soient, leur esprit double comprend qu'une révolution menée au nom du principe que rien n'est plus important que l'indépendance et la liberté, conduit à une société policière où indépendance et liberté valent moins que rien. Car les révolutionnaires d'aujourd'hui sont les impérialistes de demain.

L'écriture, complexe et envoûtante, mêle narrations et dialogues sans ponctuation spécifique, tout en enchevêtrant les faits vécus par le narrateur avec ses souvenirs, ses réflexions et ses rêveries. Un ton très libre d'humour et d'autodérision. Très peu de noms. On ne connaît pas celui du narrateur, pas plus que ceux de la plupart des personnages, notamment des militaires : on a ainsi l'adjudant glouton, le lieutenant insensible, l'opérateur radio maigrichon, l'infirmier philosophe et d'autres. Sans oublier les Marines mat, plus mat et très mat, trois GI qui sont restés au Vietnam, et dont le soleil a tanné la peau à des degrés différents.

Un roman puissant et profond, associant recherches historiques, méditations politiques, études ethnologiques et profilages psychologiques, pour une lecture qui laisse leur part à l'émotion et au burlesque.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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« J'avais à peine l'occasion de dormir, car un agent dormant est presque toujours victime d'insomnie. Peut-être James Bond arrivait-il à dormir tranquillement sur ce lit de clous qu'est la vie d'espion – pas moi. » p.101 Isolée comme un agent infiltré cette phrase travaillée pourrait faire silencieusement son chemin jusqu'à subrepticement modifier l'opinion du lecteur. Hélas, trop nombreuses elles se font remarquer, finie la discrétion, oubliée la subtilité, anéanties les chances de surprise. Bonjour la lourdeur, de la répétition naît l'ennui d'un travail à la chaîne.

Pendant près de 400 pages, je n'ai pu m'empêcher de penser pfff que c'est long, pourquoi tant de détails, d'affirmations si tôt atténuées par d'autres informations venant partiellement les contredire, pourquoi des faits semblant importants au départ devenaient-ils évanescents ? C'est seulement à partir du chapitre 19, je le confesse, qu'il m'apparut de plus en plus clairement que trop d'informations tuent aussi sûrement l'information que trop d'effets de style ne tuent le style en effet. S'il y a une pratique reprise allégrement par le communisme à la religion c'est l'exercice de la confession auquel est contraint cet espion communiste infiltré dans la police spéciale du Sud Vietnam comme aide de camp d'un général ennemi.

Qu'il est difficile de conserver toute sa crédibilité quand on est sans cesse obligé de porter un masque et inévitablement appelé à participer à des actions contre son camp pour protéger sa couverture. Dangereux et sans gloire ce jeu d'information désinformation et grand le risque de finir par sympathiser à force d'être immergé dans l'autre camp. Si les déviances du capitalisme et les défauts des américains sont pointés en long et en large dans la première partie celles du communisme apparaissent criantes dans la seconde, en commun la corruption et les cercles de pouvoir.

La dénonciation des deux systèmes pose clairement la question de la représentativité qui est centrale dans le roman. L'on ne peut que s'interroger combien facilement un état peut perdre sa souveraineté dans le jeu géopolitique que mènent les puissants prenant appui sur les ambitions personnelles de quelques-uns pour servir leurs (pas si) propres intérêts. « Car la question de savoir qui était le peuple et ce qu'il souhaitait demeurait sans réponse. » p.282

Question d'autant plus complexe que nombre d'individus sont écartelés par leurs histoires dans le temps et l'espace ainsi que par leurs liens familiaux et d'amitiés. Ne serions nous pas tous des boat people, ou du moins en puissance ? Et ne sommes-nous pas surtout coupables de ce que nous ne faisons pas ? Au final pas mal de profondeur donc, mais plus de questions que de réponses. Je plains les chinois pour lesquels un renforcement de la pratique vient d'être annoncée par leur président Xi Jinping, autant que les turcs en prison ou les soldats au combat et les espions en mission ; les plus à plaindre ne sont-ils pas au bout du compte les migrants déracinés ?
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Ce roman, premier roman de l'auteur amérasien Viet Thanh Nguyen, a reçu le prix Pulitzer 2016 et a l'ambition formidable de traiter de la guerre du Vietnam a été un sujet amplement traité aux Etats Unis, mais uniquement racontée du côté des Américains. et jamais des vietnamiens.

" Je gardais mon regard accroché au sien, tâche extrêmement difficile, étant donné la force gravitationnelle exercée par son décolleté…le décolleté séparait l'homme de la femme. Les hommes n'avaient pas l'équivalent sauf, peut-être, le seul type de décolleté dont se souciait vraiment la femme: l'ouverture d'un portefeuille bien garni »

L'occasion de porter un regard inédit sur une guerre du Vietnam loin d'Apocalypse Now et autre Platoon où les vietnamiens étaient considérés comme de simples silhouettes.

L'intrigue , pour le moins dense et complexe, débute à la chute de Saïgon en avril 1975, signant la fin de la Guerre du Vietnam et l'exil du narrateur qui n'a pas de nom, aux Etats-Unis, et narre ses aventures de taupe auprès d'un général pro-américain.

Une plongée à l'intérieur de la guerre du Vietnam, à travers la passionnante et pleine de surprise confession d'un agent secret. La chute de Saigon, les bombes au napalm, les camps de rééducation, la terreur,les interrogatoires où le prisonnier est prêt à avouer n'importe pour abréger ses souffrances : tout est raconté avec autant d'acuité que d'humour par la plume particulièrement en verve de Viet Thanh Nguyen qui propose une oeuvre aussi exigeante que foisonnante.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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J'ai en mémoire le précédent roman récompensé par le Prix Pulitzer de littérature, donc, lorsqu'on m'a proposé de découvrir, en avant-première, le dernier lauréat,  le sympathisant de Viet Thanh Nguyen, je ne pouvais pas refuser,  ce célèbre prix américain étant synonyme de qualité.
L'auteur, avec ce titre, se voit pour la première fois publié en France.
Saïgon 1975, dans un chaos indescriptible et sous les bombardements les Américains tentent d'évacuer leurs représentants et leurs principaux alliés d'une guerre qui se termine par un échec.
Le narrateur,  Capitaine au service d'un général de l'armée du Sud Vietnam, fidèle parmi les fidèles, réussi à fuir et gagner les États-Unis,  sa terre d'adoption.
Cet homme,  dont on ne saura jamais le nom, annonce la couleur.
Je suis un bâtard.
Chahuté dans son enfance parce que le fruit du péché entre une jeune fille vietnamienne et un prêtre français, il est aussi, il le reconnaît  dès ses premières paroles,  un agent double, bâtard là encore, puisque navigant dans les eaux sombres de l'espionnage, contre ses concitoyens réfugiés,  dans un pays qui l'a accueilli,  pour le compte d'une idéologie communiste qui n'est pas tendre même avec ceux qui se prétendent sympathisant. ..
Viet Thanh Nguyen ne nous parle pas de l'Amérique terre d'accueil, la débâcle vietnamienne a traumatisé ce pays qui tournera vite le dos à ses vétérans vaincus.
Il nous raconte, parfois avec humour,  le parcours de ce soldat sans foi ni loi, prêt à tout pour sauver sa peau. Il nous raconte le Vietnam et sa population, victime d'un terrible conflit militaire puis victime de la répression et de l'endoctrinement mis en place par le nouveau régime et dont la seule échappatoire semble être la corruption et la fuite.
Ces fameux Boat People dont se souviennent les gens de ma génération,  terribles images qu'une actualité récente nous a remise en mémoire avec l'afflux de ces réfugiés fuyant les différentes guerres qui enflamment notre monde.
Malgré quelques longueurs, j'ai découvert avec plaisir cette belle écriture et ce grand roman qui mérite à n'en pas douter les éloges qui lui sont faites.
Merci aux éditions Belfond et à Babelio.


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La triste farce d'un homme invisible et désenchanté.

Si on a pu être confronté à maints récits sur la Guerre du Viêt-Nam, ceux-ci se positionnaient côté des américains, capables de se hausser du col en antihéros glorieux, même dans une guerre perdue.

Quant aux communistes indigènes, la réunification du pays après le départ de l'Oncle Sam a dû les occuper à plein temps et a produit peu de fictions arrivées jusqu'à nous.

Voici donc un roman ambitieux sur un agent dormant communiste, "taupe" dans les rangs de l'armée Sud-vietnamienne, participant à l'expatriation forcée vers les États Unis à la fin du conflit. Continuant à rendre des comptes à son officier traitant, sa confession s'apparente à un documentaire sur une époque, sur la confrontation de deux cultures et sur les notions intellectuelles de l'engagement idéologique et de la fidélité.

Mais l'individu isolé en milieu hostile doit aussi faire face à d'autres enjeux: la désillusion, la perte de l'innocence, le doute insidieux et l'attrait pernicieux d'un mode de vie confortable. Ceci produit un homme double, ambigu, tirant le meilleur parti d'une situation trouble. Un sympathisant opportuniste, façonné par son histoire personnelle.

Une écriture travaillée, alerte et décomplexée, joyeuse et ironique par instants, jouant l'autodérision pour confronter les identités américaines et vietnamiennes, des personnages en clowns tristes, une charge féroce envers les États Unis...
Le tout produit une tragi-comédie décalée, faisant revivre les temps forts de la guerre et de l'après-guerre: la fuite cataclysmique de Saigon devant les troupes communistes, l'adaptation sociale aux États Unis, le fossé entre les deux peuples stigmatisé par le tournage burlesque d'Apocalyspe Now (excellent!), la parodie de reconquête de déracinés, les camps de rééducation...

Roman original, touffu, documenté, aux multiples facettes d'intérêt.
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