La vie d'avant n'est qu'un souvenir anesthésié et la vie d'après se chuchote comme une promesse impossible.
"Il vous reste combien de kilos pour sortir ? Ah, quand même. Enfin si vous ne jetez pas votre nourriture dans les toilettes, vous allez finir par y arriver. [...] Après tout, c'est une question de volonté.[...]"
La bleue tourne les talons. Elle porte cette fois un manteau mauve hideux. Sur le pas de sa porte, Laure la regarde s'éloigner. Un peu plus elle verserai une larme. C'est pas possible d'être sensible à ce point. Un peu plus elle lui agiterait le mouchoir en la remerciant pour tous les monologues qu'elle lui a infligés, toute cette connerie en tube qu'elle déversait, y avait pas moyen de refermer le bouchon. C'est vrai, elle est presque triste. Toute cette solitude qui colle aux gens, ça fout le moral à zéro, c'est tout.
Parce qu'elle est devenue presque sourde, bouffée de l'intérieur à force de ne rien bouffer.
Vous n'avez pas besoin de mourir pour renaître.
La maigreur comme un cri. L'infirmière presse plus fort sur les veines, sans perdre patience. Elle dit comment peut-on en arriver là ? Ce n'est pas un reproche, juste une question qu'on se pose à voix haute. Sa voix vibre d'une compassion hésitante. Sous la blouse, on devine de vrais seins qui se soulèvent au rythme de sa respiration.
Dans le désordre souvent, il faudra extraire avec précaution ces souvenirs entreposés comme des cochons égorgés, suspendus par les pieds, leur peau maculée de sang séché, il faudra lutter pour ne pas faire marche arrière, à cause de l'odeur de pourriture qui les étreint et qui empêche qu'on s'y attarde trop longtemps.
Un matin, elle a senti que le froid était parvenu jusqu'au bout des membres, dans les ongles, dans les cheveux. Elle a composé le numéro de l'hôpital, elle a demandé à lui parler.
La mort battait alors dans son ventre, elle pouvait la toucher.
Elle revient d’une terre aride qu’elle ne peut raconter...
Le docteur Brunel est aussi un émetteur non verbale de haute capacité.
Leurs regards s'infiltrent comme une mise à nu. Ils se parlent à voix basse, la main devant la bouche, ils détaillent son corps, morceau par morceau, ils cherchent. Elle s'émiette sous leurs yeux, tellement vulnérable, friable comme un os de couscous-poulet en boîte.