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LES HEURES SOUTERRAINES"
Delphine de Vigan (Poche, 240 pages).
Delphine de Vigan suit dans des chapitres alternés deux personnages perdus, écrasés, fatigués de ce qu'ils vivent.
Thibaut, la quarantaine, sans enfant, médecin de ville dans un service d'urgences à domicile, vient de réussir à quitter celle qu'il aime éperdument, parce qu'il se sentait prisonnier d'une histoire sans issue, avec une femme qui ne lui rendait rien ; une femme qui, au-delà des plaisirs partagés, était incapable de lui offrir son mal-être, et comment peut-on se sentir aimé quand l'autre est inapte à partager sa douleur la plus intime, qu'elle se la garde dans une zone inaccessible ? L'auteur décrit minutieusement ce fossé brûlant que jamais Thibaut n'a réussi à franchir, la souffrance que cela provoque chez ce médecin qui s'est enfermé de plus en plus dans une pratique qui conduit au burnout.
Mathilde, veuve depuis des années, trois jeunes enfants, cadre dans une entreprise commerciale, a eu le tort un jour de contredire son boss. Commence alors de la part du chef un lent processus de harcèlement infernal, insidieux, étouffant, maîtrisé avec une intelligence diabolique et perverse. Peu à peu, en même temps qu'elle est dépossédée par étapes de toutes ses responsabilités professionnelles, qu'elle est systématiquement isolée, Mathilde perd ses repères, sa confiance en elle, sa dignité. La dépression l'envahit, elle est prisonnière du piège machiavélique. Tout est décrit par
Delphine de Vigan avec une minutie exceptionnelle, rigoureuse, le mécanisme d'humiliation est rendu de manière implacable, on voudrait tendre la main à Mathilde, car ne va-t-elle pas aller jusqu'à… ?
On a parfois du mal à terminer un livre parce qu'il est vraiment insignifiant. On peut aussi au contraire avoir du mal à avancer dans un roman dont l'écriture, exceptionnellement efficace, raconte une histoire terrible qui noue les tripes, et ce fut pour moi le cas ici. Parfois j'ai voulu refermer le livre, je me sentais piégé avec Mathilde, à d'autres moments j'ai sauté quelques lignes pour connaitre plus vite la suite, la fin. Je ne sais pas si c'est de la « grande littérature » ( ??!) mais ça touche vraiment très très juste.
Pour moi, la belle découverte d'un auteur dont j'ai envie de poursuivre la lecture.