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Critique de Voirac


FATIGUE PHYSIQUE HIER, LASSITUDE PSYCHIQUE AUJOURD'HUI.
Cette étude sociologique remarquablement documentée retrace l'évolution du concept de fatigue à travers les âges.
LA FATIGUE DU CORPS : Au Moyen Âge, elle tient à une fuite d'humeurs contemporaine de la moindre transpiration, blessure, confirmant ainsi l'amalgame entre fluide et vitalité ; la présence de ces humeurs signifie la vigueur, leur disparition c'est l'épuisement voire la mort. Mais en même temps, la fatigue peut être rédemptrice ou sanction : on envoyait les pécheurs et les malandrins se racheter par un pèlerinage à Compostel, (ce qui pouvait rendre le camino moins bien fréquenté !).
Jusqu'au XVe siècle, la durée du travail était balisée par le soleil levant et couchant, puis l'horloge va délimiter des durées égales quelque soit les saisons.
Au XVIIIe avec les physiciens apparaît l'unité de travail : élever 20 livres à la hauteur de 3 pieds à chaque seconde équivaut à élever 60 livres à la hauteur d'un pied dans le même temps. Ainsi le travail peut être additionné, soustrait et divisé c'est-à-dire faire l'objet d'une algèbre économique. Puis on ajoutera le temps que dure cette action (vitesse) pour mesurer la « dépense » du corps. Lavoisier va plus loin en mesurant la dépense énergétique du travail musculaire avec la découverte de l'oxygène. « Le corps est un brûleur dont il est possible de quantifier la consommation ». Cela profile déjà la notion de rendement. 1829 : invention du dynamomètre, instrument dont la version ludique envahit les foires. On découvre que la musculation augmente la puissance musculaire. Les chimistes vont faire le ratio entre exercice musculaire et dépense de calories, lesquelles sont apportées sous forme d'hydrates de carbone.
Pourtant, Jean-Jacques Rousseau pour la première fois prend en compte le ressenti du travailleur avec la notion de compassion. Diderot fera d'ailleurs le lien entre harassement des métiers et espérance de vie. Puis avec la taylorisarion, la fatigue viendra non pas tant de l'effort physique, qui est économisé, mais de l'attention soutenue à la fixité du poste, de la monotonie prolongée. Mais parallèlement, la fatigue va être recherchée comme gage d'atteindre l'extrême sous forme d'une performance (conquête du Mont Blanc). Avec la lassitude, l'effort par le sport devient récompense du plaisir (Pierre de Coubertin)
LA FATIGUE DE L'ESPRIT : mais à l'ère industrielle, la fatigue musculaire participe également à une fatigue mentale, la dépense pour une peine moins acceptée est de plus en plus mal supportée. Stakhanov : l'homme transformé qui ne connaît pas la fatigue ? Ici le stalinisme va essayer d'idéaliser l'image de l'homme au travail pour stimuler une économie déjà déficiente, puis utiliser l'épuisement du Goulag pour le casser.
Produire vite, beaucoup et à bon marché, telle est la devise d'un capitalisme stigmatisé par Germinal et combattu par Engel et Marx.
Avec la mécanisation, la fatigue physique diminuera au profit de la fatigue mentale, qui est médicalement reconnue au XIXe sous le nom de neurasthénie, évoluant au XXe vers le stress, la dépression ou le burnout. La pharmacologie va bien sûr s'adapter avec la commercialisation de la cocaïne, la synthèse des amphétamines et des antidépresseurs.
Au total, une belle étude sociologique, que j'ai trouvée parfois un peu longue (370 pages) sur l'évolution au cours des siècles, de la fatigue physique vers la souffrance mentale.
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