Le bruissement des feuilles

Les livres nous montrent d'autres destins, parce que nous ne pouvons pas tout vivre - nous ne vivons que notre propre vie. Les livres sont capables de nous ramener dans le passé ou de nous transporter dans le futur. Ils élargissent nos esprits. Ils nous montrent de nouveaux mondes. C'est ça, la fiction. Son pouvoir est considérable.

Les randonneurs du dimanche vont marcher même par temps de brouillard épais et ne suivent pas le sentier balisé. Dans ce cas, c'est à nous de les retrouver - de faire des battues et de les secourir si besoin. Certains d'entre eux se promènent en T-shirt et en tongs. Bien dommage qu'on soit obligés de sauver ces crétins.

La liberté vaut la peine qu'on se batte pour elle. La liberté, c'est pouvoir penser ce qu'on veut. Et ne pas se laisser dire qu'il n'y a qu'une seule voie possible.

La zone déboisée semblait se prolonger indéfiniment tandis que Leon la traversait en voiture. Ce type de paysage ne lui était pas inconnu - sa famille avait abattu des arbres pendant des décennies. Et ce genre de ravages l'avait poussé à s'éloigner de la tradition familiale. Il était peut-être possible, des années auparavant, de croire que l'homme ne pourrait jamais surexploiter les forêts mais, à présent, c'était allé trop loin. La Tasmanie possédait encore des arbres immenses, cependant, les forêts anciennes disparaissaient. Ces vieux troncs étaient creux à l'intérieur ou alors ils se fendaient en tombant, inutiles pour l'industrie. Alors quel intérêt ?

Je ne fais que mon travail [de vétérinaire ]. J'aime bien aider les animaux . Et vous ? Vous êtes tellement occupé à sauver le monde, qui vous sauve, vous ?

Miki adorait les arbres et les oiseaux mais, ce qu'elle préférait le plus au monde était invisible : c'était ce qu'elle ressentait dans la forêt. L'odeur du bush après la pluie. Le craquement de l'écorce. Le grincement des branches. L'impression de quiétude et d'intemporalité, la croissance et le renouveau. L'aura des arbres. Le sentiment que tout est connecté. A sa place. Elle aurait pu rester là toute la journée, à respirer en rythme avec l'arbre, à inspirer la vie qu'il insufflait.

C'était ça, la vie, pas vrai ? Des larmes, puis des rires. Des bleus, puis la convalescence. La solitude, puis l'amitié.

Le sentier s'éloignait vers une montagne lointaine drapée dans la brume. Droit devant, la lumière transperçait les nuages en larges pinceaux qui projetaient des ombres sur le paysage-- c'était merveilleux. Ils traversèrent des ruisseaux bruns comme le thé, qui coulaient sur des pierres tachée de lichens. Là-haut, les pentes étaient piquetées de blocs de granite et les formes rabougries d'arbres erodés par le vent. Le sentier se mit à redescendre puis un lac surgit de la brume : un œil argenté à la surface gris ardoise ridée par le zéphyr.

Lorsqu'ils s'arrêtèrent devant la maison de retraite, Thomas lança l'assaut.
- Le dernier homme aussi parfait que toi marchait sur l'eau.
- Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? demanda Leon, piqué au vif.
- Tu dois pardonner, mon grand. Personne n'est parfait.
- Certains sont encore moins parfaits que d'autres.
- Ton père est malade comme un chien. Où est passé ton cœur ?
- Tu n'as pas vu ce qu'il lui a fait.
- Et je m'en réjouis - je suis certain que c'était terrible. Mais elle lui a pardonné, pourquoi pas toi ?
- Elle n'aurait pas dû.
- Elle l'a pourtant fait. Tu le dois aussi.
- Je ne peux pas. Il ne mérite que ça.
- Vis en colère. Meurs en colère. Vis en paix...
- Oui, je sais... Meurs en paix.
- Penses-y, mon grand. Promets-le-moi.
- J'y penserai, fit Leon en serrant le volant.
Il vivait toujours dans la colère. La paix n'était nulle part en vue.
- Tu pourras m'y reconduire demain ? demanda Thomas.
- Non, je ne pourrai y retourner que ce week-end, après le match de samedi.
- Et s'il meurt avant ?
- Aucune chance. Seuls les meilleurs meurent jeunes.

"Le thé, c'est toujours meilleur préparé par quelqu'un d'autre."