Agnès étouffe un cri. Elle se relève, ses jambes tremblent. Elle regarde son père dans l’espoir de trouver l’aide nécessaire, mais l’homme s’est allongé et somnole au gré du moment. Alors, en dernier recours, l’enfant hurle. Son cri perce les sonorités étouffées de la plage pour venir se loger dans les oreilles de son père, telle une balle de revolver. Il se redresse, l’air hagard, et court vers sa fille.
— Que se passe-t-il, chérie ?
Agnès se contente de pointer du doigt le bord de plage. Son père se paralyse devant la découverte macabre. À la surface de l’eau, ballotté par les courants, un corps flotte. Comment ont-ils pu ne pas l’apercevoir en arrivant ? Son père n’en revient pas. Aussitôt, il se précipite, tout en criant :
— Agnès, reste là !
Les maillots de bain, OK, les serviettes de plage, c’est bon, la crème solaire – très importante, la crème solaire – posée dans le vanity-case… Paréos, robes légères, sandalettes, casquette, Vanessa détaille sa valise d’un air satisfait. Rien ne manque… à condition que le soleil brille pendant quinze jours. La jeune femme grimace, obligée d’ouvrir le tiroir pour attraper l’un de ces maudits pulls. Par ce geste, elle a peur d’attirer la poisse. Les dernières vacances estivales, à Port-Barcarès, elle s’en souvient encore. Dès que le soleil daignait pointer le bout de son nez, aussitôt, la tramontane prenait le relais. Du sable dans les yeux, les enfants – des autres, Vanessa n’en veut pas – qui pleuraient, son homme qui grognait, quelle ambiance !
L’homme plonge dans l’océan. La sensation vivifiante traverse ses vêtements et se colle à sa peau. L’eau en cette saison n’est plus vraiment tempérée. Qu’importe ! Poussé par l’adrénaline, le père d’Agnès accélère encore. Il atteint le corps et, le souffle coupé, le retourne. Le noyé, la quarantaine passée, porte un costume complet jusqu’aux chaussures d’un cuir éclatant. Il semble plongé dans un sommeil profond, si ce n’est ce teint blafard des plus inquiétants. Sans attendre, le père d’Agnès tire le corps sur la plage. Troublé, il cherche sa fille du regard. Envolée !
Comment toutes ces personnes peuvent-elles supporter pareilles conditions ? Le Bruit, la promiscuité, la foule et dire qu’ils payent pour ça ! Malgré ses réticences, la voilà à faire la queue comme tout le monde. C’est ça ou se passer des viennoiseries nécessaires au rétablissement d’un moral en berne. Soudain elle se raidit. La jeune femme, devant elle…pas de doute possible, c’est cette voisine hystérique, mère de famille shootée au Red Bull. Ce n’est pas possible…
Qu’importe, l’argent est fait pour être dépensé, sinon, à quoi bon trimer comme une bête ? Surtout que Vanessa et son homme ne sont pas à plaindre. Genre couple bobo, difficile de faire mieux. Deux cadres dans une banque réputée – la même, où ils se sont rencontrés –, petit appartement standing en plein cœur de Paris – si l’on considère petit un soixante-douze mètres carrés face à la tour Eiffel – coupé Audi pour frimer sur la route, que demande le peuple ?
Nous avons reçu l'auteur Jean Vigne qui nous a parlé de son actualité avec ses romans Holomorphose aux éditions du Chat Noir et Givre aux éditions du Petit Caveau mais aussi de ses (nombreux) projets à venir !