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EAN : 9782246809173
162 pages
Grasset (06/04/2016)
3.8/5   10 notes
Résumé :
Le constat de Philippe Vilain n’est pas flatteur : la littérature française contemporaine est en proie au désenchantement. Quelles sont les raisons de ces écrits consensuels et dociles, qu’ils soient sociologiques ou narcissiques ? L’abandon de la recherche du style est sans conteste la première. Qui se soucie de l’écriture, de la forme ?
À travers une relecture des écrivains les plus contemporains, Philippe Vilain révèle tout un mouvement de délégitimation d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Pour une réflexion sur le style autant qu'un regard porté sur la mutation culturelle de la littérature contemporaine…
Cet essai permet de faire le point sur la vision que nous nous faisons aujourd'hui de la littérature. Va-t-elle bien ? S'interroger sur un principe fondateur, celui de "l'idéal" de la littérature, apparait comme une quête ambitieuse mais non dénuée de sens pour qui veut être confronté à ce que l'on pourrait appeler, la refonte d'un nouveau "moment" littéraire. Qu'est-ce-que la littérature nous offre à vivre ? L'auteur, Philippe Vilain tente de répondre à cette question en s'interrogeant sur le nouveau rôle de la littérature ainsi que des limites qu'elle se donne.
Pour cette critique j'ai décidé de privilégier seulement quelques thèmes parmi tous ceux qui sont abordés dans le livre.
Ma prière au style
Je suis obsédée par le style. Celui-ci nous échappe, nous file droit devant alors que nous en avons tellement besoin dans notre vie de tous les jours ! J'en demande sa réintroduction pour ma thérapie. Je veux entendre une écriture qui me transcende et me bouleverse, autant qu'un pianiste qui joue sa composition et choisit avec amour et délicatesse ses notes les plus sensibles et fragiles, prêtes à faire frémir un coeur et faire couler des larmes d'apaisements sinon de joie… le style sera un refuge sinon une chance ; ma chance de m'inventer un bonheur que je ne peux construire et prolonger que par les images et les mots que j'ai élus et que j'espère pouvoir retrouver sous la plume de… le style, la beauté transparente du langage, laissez-moi cela s'il vous plait !
Que penser aujourd'hui derrière le terme du « littéraire » et de la « littérature » ?
Constat d'une autorité symbolique disparue ou en déperdition.
Dans ce magnifique plaidoyer, Philippe Vilain traite du cas en voie de désaffection de la littérature. Une discipline en cours de redéfinition aujourd'hui avec toutes les mutations qu'a engendré la société. Plus précisément, il s'agit de faire le point sur la question en examinant ce qu'est réellement la littérature pour nous aujourd'hui, ce qu'elle a perdu et le paradigme vers lequel elle pourrait évoluer et éventuellement se tourner si elle se donnait les moyens d'y parvenir.
Dans un contexte de mondialisation et de dématérialisation des pratiques culturelles, on note pour la littérature dans son contexte actuel de création, une « peopolisation des esprits » accompagnée d'une « désaffection du style » dans la production d'écrits. Face à ce triste constat, l'auteur décide d'énoncer un certain nombre d'arguments pertinents afin de hisser un plaidoyer magistral pour le style. Un livre qui fait du bien car très peu de travaux se sont attachés à parler de ce désamour plutôt attristant du littéraire. Non pas décadent car nous sommes dans une autre « phase » elle aussi intéressante dans l'histoire évolutive de cette discipline des sciences humaines ; néanmoins il paraissait plus que nécessaire de témoigner de cette désaffection croissante pour un écrit emplit d'esthétique et de poétique. Un néologisme évocateur apparait « le désécrire »…car c'est bien de cela qu'il s'agit ! Il y a comme un accord tacite qui semblerait faire blocus de ne plus vouloir faire de « style ». Chez P.Vilain, le style est synonyme de poétique, de manière, de « pate »… comme on pourrait dire. le constat est dressé, la réalité implacable : les critères de littéralités ne sont plus les mêmes aujourd'hui.
Pour étaler sa plaidoirie, l'auteur revient sur plusieurs points notamment du pourquoi on a déclaré une guerre contre Proust ? du pourquoi Céline est un faux styliste ? du pourquoi les formes dominantes du littéraire sont aujourd'hui la biofiction ou l'autofiction rassemblées dans un courant que l'on pourrait appeler le post-réalisme ? Ou encore du pourquoi la littérature est en réalité en manque cruel d'inspiration et de souffle novateur. Tout cela, le long du feuilletage des pages, nous conduit pour notre plus grand plaisir, à avoir une lecture émancipée et décomplexée. Cette lecture nous permet de prendre conscience plus efficacement de la métamorphose socio-culturelle qui est à l'oeuvre.
Les derniers chapitres sont consacrés sur le devenir de la littérature. Une prise de position intéressante puisque c'est une large question auquelle j'aspire à avoir des réponses ou du moins une proposition de démonstration cohérente et plausible. Ses réflexions rejoignent les miennes quand il dit « Depuis une trentaine d'années, ainsi, la démocratisation, plus exactement, la multiplication des écrivains, a dissous le modèle antérieur de l'écrivain et a rendu problématique l'émergence de grandes figures de la littérature ». Cette quantification s'est faite au détriment d'une certaine exigence de qualité puisqu'on a vu arriver la disparition peu à peu du style… « le grand ingrédient distinctif » à mes yeux qui permet de nous élever l'esprit. D'ailleurs le chapitre « du grand écrivain à l'écrivain pour tous » rend bien compte de cette critique fondée, qui permettra presque bientôt de voir diffusé partout (si ce n'est déjà fait) un « écrivain mode d'emploi ».
L'auteur souligne comme autres constats dans son essai, le profil peut-être trop narcissique du lectorat d'aujourd'hui dans son pouvoir quasi incontrôlé de pouvoir influer directement et très facilement sur l'oeuvre d'un auteur. Ce point souligne le risque de dérives dans les critiques d'ouvrages sur les blogs ou réseaux sociaux. Cette question me parait très intéressante car elle est symptomatique de nos pratiques et de nos modes de consommation culturels aujourd'hui. Aussi j'écris cette note de lecture (non pas sans risques !) sûrement à l'encontre de ce que pense justement l'auteur : quelle légitimité peut avoir le lecteur lambda dans la rédaction de discours critiques sur un ouvrage qu'il a lu ? Moi-même je n'ai pas la réponse, mais cet espace de liberté me semble intéressant. Si on continue dans ce raisonnement, doit-on en conclure que Philippe Vilain ne cautionne pas le principe du site de Babelio ? Face à cette position de l'essayiste, je me risque quand même à publier mon avis. Aussi désintéressé qu'il puisse être, il a le mérite d'exister et de pouvoir être critiqué en retour… car rien ne me parait aussi important et fondamental que l'échange et de juxtaposer des points de vues aussi différents et controversés soient-ils.
le match Proust/Céline:
En parcourant le livre, je me suis rendue compte que l'auteur revenait souvent sur ces deux grandes figures littéraires : Proust et Céline. Deux géants…en tout cas un seul pour l'auteur. Or je me suis demandée pourquoi provoquer un « match » entre eux deux principalement ? Car pour moi il s'agit de deux littératures finalement différentes. Ce débat à première vue me semblait trop subjectif pour en retirer une analyse globale objective qui puisse faire sens pour tout le monde.
En effet dès la page 21, l'essayiste revient sur l'épineux « cas Céline » en affirmant que ça été une sorte de "bluff" littéraire. Une analyse très discutable mais sommes toute intelligible et intéressante… Aussi ma curiosité m'a poussée paradoxalement à aller voir plus loin l'argumentaire de l'auteur. Effectivement beaucoup de personnes en lisant Céline on fait la part des choses en disant précautionnement à son propos : « Attention, moi j'aime l'écrivain, mais je déteste l'homme et ses idées". Ainsi il poursuit « Aimer Céline (…) serait prendre le parti du poétique, avec les occultations qu'un tel parti présuppose, et donc prendre le risque, sinon d'une grave contradiction, d'un certain absurde".
D'un point de vue théorique, je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette affirmation de l'auteur du fait qu'"hyperboliser l'inventivité poétique" a permis "d'édulcorer la monstruosité des thèses racistes soutenues par Céline ». Sans être une célinienne, je pose un avis tout nuancé (excepté bien sûr pour le pamphlet « Bagatelles pour un massacre » qui dérive vers l'insoutenable) : il est possible selon moi de faire la part des choses entre l'homme, ses convictions et l'oeuvre aussi contradictoire que cela puisse paraître. L'oeuvre n'est pas la vie si on n'y déverse pas totalement son « moi ». Une part de la fiction et de l'imaginaire a souvent le dessus dans la création d'histoire et elle a le pouvoir de déformer la réalité intrinsèque à sa guise. Peut-être la lecture des essais d'Henri Godard m'a influencé malencontreusement et qu'il existe bel et bien malgré tout, un style chez Céline et que celui-ci appartient bien à la littérature. En cela les ouvrages de cet autre essayiste : « La poétique de Céline » - « Céline scandale » - « À travers la littérature Céline » permettent de se forger son propre avis sur la question.
Mais pour poursuivre la réflexion, continuons. Page 93, l'auteur revient dans son argumentation sur Céline : « Même s'il aboutit à un résultat linguistique similaire, le désécrire se distingue bien, dans son esprit, d'une poétique du désécrire dont la déconstruction est, précisément, l'ambition, qui est de « ruiner l'idée de la littérature ».
Plus loin, à la page 106 on note encore : « de la grande musique proustienne à la petite musique célinienne : du style à l'expression ». Autre point où j'émets là aussi une réserve et un jugement de valeur plus restreint. À lire cette phrase on comprendrait que pour lui l'esthétique du "parlé" ne peut pas faire l'objet d'une littérature. Comme il le reformule à sa façon : « C‘est tenté de faire de la littérature à moindres frais ». Plus loin il parle même « de discount littéraire ».
Enfin…de conclure pour l'auteur sur une critique virulente d'après son expérience personnelle de la lecture de Céline:
« A l'inverse de Proust, Céline n'écrit pas, il déparle ; de temps à autre, il poétise, trouve dans l'argot des images et des échappatoires poétiques, il illustre, il hystérise, il hurle, rote et onomatopète par la langue, il vomit et syncrétise la syntaxe, provoque pour faire criser la littérature (…) Assurément, la technique célinienne est ingénieuse sans être géniale, elle repose sur une certaine richesse de trouvailles poétique (…) S'il y a de l'humilité à reconnaitre le travail de son oeuvre, à reconnaitre que sa poétique réclame un incommensurable travail sur la langue (…) cet effort n'a de méritoire qu'au regard d'un plumitif candide, ignorant que les efforts demandés par l'écriture oralisée sont aussi les plus aisés à fournir". Ici on peut, peut-être y voir un jugement de valeur un peu facile de la part de l'auteur. Car le plus simple exercice grammatical d'apparence peut parfois s'avérer aussi être le plus compliqué à réaliser. Aussi selon l'auteur qui continue toujours son observation : « Céline ne peut se vanter d'un labeur aussi spectaculaire, vraisemblablement très exagéré, que par le procédé peu contraignant qu'il a choisi (…) la poétique du parlé requiert d'une exigence inférieure ». Ce point-là me semble là aussi un peu trop brute de décoffrage et un peu réducteur car pour moi la littérature c'est avant tout de l'oral et cela depuis l'origine de l'humanité. Avant d'être écrite sur papier, la littérature s'est construite oralement par des procédés de transmission. Car poursuit l'auteur « si toute pratique possède son excellence, il est cependant, des pratiques plus simples à s'approprier ». Or que faire de Platon, Homère, des Troubadours et j'en passe encore… leur parole n'en est pas moins de qualité ! Pensons au ton employé, à l'émotion qui s'en est dégagée et surtout de l'héritage qui en a découlé. Si oeuvres transmises et diffusées auprès du public il y a eu alors il doit y avoir une raison. L'oralité est fondamentale, encore plus l'évolution linguistique de la langue. Renier Céline, c'est renier d'une certaine façon Rabelais.
Enfin dernière remarque intéressante à débattre à la page 109 : « Sans doute Céline aura-t-il fait beaucoup de mal à la littérature contemporaine (…) en donnant à ses épigones l'illusion que la littérature était une tâche aisée, qu'il suffisait de savoir s'exprimer pour savoir écrire ».
Aussi à nous de conclure que, selon l'auteur, Céline serait un malin génie qui nous aurait dupé sur le terrain de l'excellence, celui de la littérature ? Son travestissement aurait conduit au déclin que l'on connait aujourd'hui ?
Même si je ne partage pas l'avis de Philippe Vilain sur ce point de l'histoire littéraire à travers cet écrivain, il en demeure que j'ai particulièrement apprécié de lire cet ouvrage qui m'a permis de réfléchir et de me bousculer dans mes interrogations. Aussi j'en remercie son essayiste. Même si la poétique de Céline n'est pas "performative" comme il le dit, elle reste pour moi une expérience poétique originale qui ne m'a pas laissée indemne car elle m'a montré finalement autre chose dans l'expérimentation possible du langage. Travailler sur les discours et les interprétations est quelque chose de passionnant et il y a du bon à prendre malgré tout dans chaque expérimentation linguistique…et même, encore une fois quand on a affaire à un écrivain aussi controversé et polémique que Céline. Une expérimentation Célinienne donc, que je reconnais par un "style" et non pas par un "non-style". Condamner Céline a de la non-littérature me parait pousser un peu fort. Pensons, par ailleurs, que ce serait omettre la prouesse stylistique du comédien qu'est Fabrice Lucchini qui a consacré plusieurs lectures des oeuvres de Céline au théâtre et qui s'est adonné avec passion et justesse dans ce récital !
Tout de même, je dois noter chez l'auteur, son avis partagé sur un point : paradoxalement il a démasqué la prose célinienne en y reconnaissant malgré tout son génie poétique dans « le fait seul d'avoir pu « dépuceler le roman » ». Alors seule reconnaissance ?...
Il y a eu des stylistes de la langue qui m'ont bouleversé : James Joyce, Samuel Beckett, Colette, Marguerite Duras et surement d'autres que je ne connais pas encore mais que j'aimerais découvrir en attendant d'en trouver un du 3ème millénaire…



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Philippe Vilain La littérature sans idéal Grasset (158 pages – 16€)


La fable choisie par Philippe Vilain pour introduire son sujet est inattendue mais atteint son objectif : nous alerter sur le déclin de la littérature. Il vient ainsi rejoindre
André Blanchard, citant Léautaud qui présente Wilde, VanGogh «  comme des êtres en marge certes, sauf que c'en est une d'excellence, en dehors de la médiocrité de la vie courante » et «  il ne faut pas se lasser de songer à eux et de les aimer ».

Philippe Vilain, lucide, dresse un état des lieux de la littérature peu optimiste.
Par «  désenchantement », il entend l'indifférence face à «  la paupérisation de l'écriture ». Il déplore que maints auteurs n' accordent pas leur priorité au style.
Il dénonce aussi «  un fétichisme futile de la marchandise », visant ces page turners et best sellers à des fins mercantiles. Ce qu'il recherche c'est une voix singulière, qui le fasse vibrer. Parmi ses bonheurs de lecture, « ces réussites d'écritures, poétiques, stylistiques », on trouve des auteurs confirmés : Serge Joncour, Jérôme Garcin, Dany Laferrière, Emmanuel Carrère, Vincent Almendros.

Philippe Vilain s'offusque du formatage de l'écriture qui aboutit à « une parole industrielle, vulgarisée, en littérature contemporaine.
Dans le premier chapitre, il décrypte l'injonction relevée dans des revues : comment se débarrasser de Voltaire, Proust ? Il montre l'absurdité de « vouloir liquider les classiques », d'autant que dans les arts, au contraire, Renoir( le cinéaste), Monet (le peintre) restent des références.
Pour l'essayiste, ce sont les auteurs de la génération de Modiano , d'Annie Ernaux, qui n'hésitent pas à revendiquer l'héritage de leurs figures tutélaires.
Antoine Compagnon pointe justement cette carence de «  maître spirituel ».
Par contre, on se cherche des modèles, « une fraternité d'écriture ». Ainsi Michel Houellebecq devient « le grantécrivain contemporain » dont il importe de trouver l'ascendance de son oeuvre. Philippe Vilain montre comment des auteurs (P.Bergounioux, Lydie Salvayre, P.Michon) rendent certes un hommage à des figures illustres mais visent à « inscrire le moi dans l'histoire », à mettre la focale sur des « vies minuscules ». Ainsi leur «  parentèle ne meurt plus », mise en lumière par leur « panthéon culturel ».
On assiste à la multiplication d'idoles , de « stars de proximités », issus de milieux variés ( cinéma, sport, chanson, médias …) dans cette quête de la notoriété.
Le personnage du roman L'idole de Serge Joncour , devenu Superstar à l'écran, incarne « une image et des valeurs insignifiantes de la société ».
Philippe Vilain voit dans ce besoin de se forger « des modèles consommables » une sorte de « nihilisme littéraire », l' « abaissement des âmes ».

Dans le post-réalisme, l'oeil voyant devient «  subjectivant », tout en se plaçant au coeur du réel, parfois «  apocalyptique », étayant son propos avec le roman de F.Beigbeder sur le 11 septembre. Si la littérature post-réaliste reconnaît «  sa soumission à l'image », les mots ne possédant pas « la puissance des images », l'auteur va «  inventer d'autres images, va « recréer » l'événement «  par son imaginaire ». Philippe Vilain souligne cette «  fascination pour le déclin de l'homme, ses drames, ses malheurs », « le désenchantement du monde », à travers les romans de C.Angot, A.Ernaux, R.Jauffret, A.Bosc, P.Claudel, etc... Il y subodore «  la crainte du silence et de l'enlisement », d' aboutir au « degré zéro de l'histoire ».
D'où ce besoin de « vérifier, à chaque instant, la vitalité de son histoire » en captant le moindre soubresaut,conflit, symptôme.

Philippe Vilain définit notre époque comme «  égocentrée » et décline ce qui entre dans la « littérature focale du présent » : la biofiction, l'autofiction, le docufiction.
Il met en garde contre la littérature «  post-réaliste » qui vise à « réinventer subjectivement » «  des événements spectaculaires, des sujets sensationnels ».
Ne risque -t-elle pas « de concurrencer le journalisme », « de bégayer une actualité déjà hypermédiatisée » ?

L'autofiction , que Philippe Vilain appelle la «  selfication des esprits », d'autant plus répandue que l'époque se veut «  soucieuse de reconnaissance » permet « de refonder sa mythologie personnelle » tout en s'autorisant à «  romancer à la première personne ». On retrouve C. Angot, N. Bouraoui, M. Nimier, etc...
A ce sujet Dominique Noguez déplore le fait qu' une goutte de fiction, véridique, rende le tout fictif d'où le mot roman mentionné sur la couverture.

Il est à noter que notre imaginaire est « lié à la mémoire affective et à la capacité
à ressourcer les souvenirs », ou «  ressusciter des voix », comme chez A. Wiazemesky (Une année studieuse), J. Garcin ( La chute de cheval, Olivier) ou C. Laurens.
Toutefois, nous savons notre mémoire « capricieuse » ou « défaillante », ce qui conduit à «  esthétiser sa mémoire, à s'inventer ».

Philippe Vilain s'étonne de l'engouement pour les adaptations cinématographiques de la littérature. Y aurait-il «  faillite des mots par rapport à l'image » ? Il suffit parfois qu' un best seller, comme La délicatesse de David Foenkinos, devienne le coup de coeur d'un réalisateur pour devenir un film.

Dans le chapitre final, l'auteur dresse un aperçu des conséquences de «  la mutation culturelle ». On relève en particulier la «  spectacularisation de l'écrivain pour tous »,
« la standardisation des textes pour un lectorat de masse », « l'assujettissement de la littérature à la culture de divertissement ». Mais le plus alarmant, n'est-ce pas cette loi du marché, misant sur la «  best-sellérisation » au détriment de la valeur intrinsèque ?

Philippe Vilain sous-entend que les «  littéraires », « avec l'ambition de faire oeuvre » existent mais restent minoritaires et met en parallèle cette invasion d ' écrivains auto édités, lancés par le net, qui contribue à «  la médiocrité de la production », à son nivellement. Il analyse sur quoi se construisent la notoriété et la reconnaissance d'un écrivain, la visibilité sur les réseaux sociaux étant un atout.
Pour exemple, A. Martin-Lugand et son « succès mondial ».
Qu'en est-il du statut d'écrivain ? Fait-il encore rêver ? Les ateliers d'écriture font florès, répondant à ce «  fantasme social attractif et prestigieux de devenir écrivain ».
Philippe Vilain fait remarquer que « l'écrivain du dimanche » n'est pas prêt à s'investir quotidiennement, sur des années.




L'interrogation de Philippe Vilain «  Pourquoi lire ? » fait écho au recueil éponyme de Charles Dantzig. Ne lit-on pas un livre «  pour danser avec son auteur » ? Si la lecture a encore des beaux jours, l'auteur est quelque peu hérissé devant la pléthore de critiques émanant de non professionnels, sur le net ? Il fustige les abus ( bashing, diffamations) dont peuvent être victimes des écrivains, émanant souvent d'anonymes.


Même si cet essai n' a pas «  d'ambition exhaustive », Philippe Vilain témoigne d'une connaissance approfondie des oeuvres citées et donne un ample panorama de la littérature contemporaine, destiné à prouver que «  la littérature a troqué son idéal littéraire contre un idéal marchand », comme il le confie dans des interviews.
Espérons que ce percutant plaidoyer pour le style fasse des émules. A noter que le Prix du Style a récompensé M.H Lafon, C. Minard, O. Rolin, S. Chalandon.
Tel un lanceur d'alerte, Philippe Vilain livre un essai à charge dans le but de sauvegarder une qualité à la littérature. Au lecteur de bien choisir ses lectures.
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Je remercie dans un premier temps les éditions Grasset et Netgalley pour l’envoi de ce livre.

J’ai regardé l'émission « ça balance à Paris » sur Paris Première. Au cours de celle-ci, les chroniqueurs s’en sont donnés à cœur joie sur deux livres que je me suis empressée de lire : Célibataire longue durée de Véronique Poulain et La littérature sans idéal de Philippe Vilain.

Ce dernier regrette que la place de l’écrivain soit si réduit dans les médias et que je cite « la réduction des espaces consacrés à la culture, et à la littérature en particulier, restreignant la critique […] à un ordinaire exercice de compte-rendu plus qu’à une exégèse ».

En regardant l’émission, je ne pensais pas que ce thème serait abordé. En fait le sujet principal de ce livre est que le style des écrivains d’aujourd’hui n'est pas aussi rigoureux que celui d’avant. Il regrette entre autre que les auteurs d’aujourd’hui choisissent d’écrire au sujet de fait historique, de façon journalistique, se contentant de raconter et d’imaginer ce que les personnes qui ont vécu ces drames, pouvaient ressentir. Pour lui, nous sommes dans la période de ce qu’il nomme le "post-réalisme".

Philippe Vilain compare Proust à Céline et dit qu’il y a un avant et un après Proust. Céline s’est fait connaître par un style oralisé, qui selon Philippe Vilain, a été repris par mes auteurs contemporains. C’est même devenu la norme. De plus, les écrivains aujourd’hui ne se revendiquent pas s'inspirer par des auteurs classiques : ils inventent leurs propres styles. L’auteur de cet essai ajoute que la plupart des auteurs n’ont pas de bagage littéraire.

Beaucoup se lancent dans l’écriture et s’auto-proclament écrivains. Par conséquent, le choix de lecture est beaucoup plus important qu’avant et les éditeurs hésitent plus avant d’éditer des livres qui sortent du lot. Donc, la littérature devient de moindre qualité, le style étant moins recherché que le caractère économique, répondant davantage aux envies des lecteurs de masse.

Il conteste le rôle des blogueurs et les trouve illégitimes. Seuls les journalistes qui remettent dans le contexte l’œuvre littéraire peuvent en tout connaissance de cause proposer au public un vrai regard et un vrai conseil. Ce qui est contradictoire, c’est que le livre est proposé sur la plateforme Netgalley. Et qu’en l’occurrence, j’ai été sélectionnée alors que si on regarde bien ce que je lis, je ne figure pas dans la tête de cible de ce livre. Loin de là.

Or, si nous, blogueurs parlons de livres, c’est bien pour partager une passion commune qu’est la littérature au sens large. Et c’est bien pour promouvoir la lecture que nous le faisons. Notre rôle est par conséquent pour moi tout à fait légitime.

Il faut dire que ma culture littéraire est très limitée. Je le conçois parfaitement. Je ne lis essentiellement que des livres dits populaires ou des classiques qui ne sont pas Céline ou Proust (je compte bien m’y atteler d’ailleurs). Mais, je lis quand même pas mal de livres qui me permettent de m’évader. J’ai souvent des avis tranchés sur les livres mais cela ne reflète que mon avis. Souvent d’ailleurs, j’aime des livres que d’autres n’ont pas aimé. L’inverse est parfois aussi vrai.

Ce que j’apprécie dans ce livre, c’est que pour une fois, un critique littéraire me donne des pistes de livres à lire. Vous les trouverez ci-dessous : je compte bien les lire pour savoir ce qu’est, pour lui, de la vraie littérature littéraire (deux termes à significations très différentes).

A lire selon Philippe Vilain
Apprendre à finir de Laurent Mauvignier
L’énigme du retour de Dany Laferrière
Grâce leur soit rendue de Lorette Nobécourt
Renée Camps de Jean-Noël Pancrazi
L’enfant éternel de Philippe Forest
En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis
L’amour sans le faire de Maylis de Kerangal
Le goût des femmes laides de Richard Millet
Un roman russe d’Emmanuel Carrère
La chute de cheval de Jérôme Garcin
La perfection du tir de Mathias Enard
Les moustaches de Staline de François Cérésa
L’hyper Justine de Simon Liberati
Ma chère Lise de Vincent Almendros

Est-ce que j’ai aimé ce livre ? Oui, parce que je suis sortie de ma zone de confort et m’a bousculé dans mes idées arrêtées sur la littérature. Ce livre m’a donné à réfléchir malgré tout.
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Pour Philippe Vilain, le constat est sans appel : la littérature se désenchante. Qu'entend-il par là ? En faisant fi d'un « idéal d'écriture », elle s'éloigne de l'art et du style qui sont sa raison d'être.
En reniant l'essence même de ce qui la constitue, la littérature d'aujourd'hui fait table rase du passé en se débarrassant des classiques dont le plus illustre représentant est, selon l'auteur, Marcel Proust. D'après Philippe Vilain, seul Céline trouverait grâce aux yeux de nos contemporains. « L'écriture rationnelle a été supplantée par une écriture émotionnelle » écrit-il. Pour étayer cette affirmation, il oppose Proust à Céline dans un combat dont le premier sort bien évidemment vainqueur. « A l'inverse de Proust, Céline n'écrit pas, il déparle » écrit-il.
Plus loin, il estime que la rupture revendiquée par les auteurs « modernes » avec leurs devanciers n'est qu'un leurre voire une imposture.
Les genres dans l'air du temps ne sont pas des créations ex nihilo :
« la biofiction recycle ainsi (…) la biographie fictionnelle » ; elle entre en résonance avec la peopolisation des cerveaux
l'autofiction s'est développée dans la lignée des « Essais » de Montaigne ou encore des « Confessions » de Rousseau qui invitent « l'homme à se prendre pour objet de lui-même ». L'auteur la qualifie avec justesse de « selfication des esprits ».
le docufiction « hérite de la littérature populaire, du roman-feuilleton... »
La vogue de ces genres soi-disant post-réalistes serait liée au « culte du réel ». L'exemple le plus frappant est la manière dont les auteurs se sont emparés du 11 septembre 2001, événement hautement médiatique. Et de citer Frédéric Beigbeder, Luc Lang, Don de Lillo (j'ajouterai Jonathan Safran Foer, Paul Auster, Richard Bausch, Jay McInerney).
Et de s'interroger sur le bien-fondé de ces romans : ces fictions disent-elles « quelque chose que le réel ne dit pas » ?
La littérature post-réaliste, selon l'essayiste, « ne se caractérise plus par une objectivation du réel mais par sa subjectivation » ce qui signifie qu'elle « décrit sans analyser ». « Le roman (…) a renoncé à décrire l'aventure intérieure, existentielle, de ses personnages... » ajoute l'auteur en poursuivant : « ainsi, le roman se préfère-t-il d'aventures et d'actions, depuis qu'il n'est plus une aventure de l'écriture ».
L'écriture, justement, la grande affaire de Philippe Vilain, s'est internationalisée, aseptisée pour être « lisible par le plus grand nombre » et, par conséquent, être commercialisée au plus grand nombre.
Certains auteurs échappent à cette observation plutôt banale sur la mort du style. Et de mentionner les ouvrages de Laurent Mauvignier, Dany Laferrière, Lorette Nobécourt, Jean-Noël Pancrazi, Philippe Forest, Edouard Louis, Serge Joncour, Maylis de Kerangal, Richard Millet, Emmanuel Carrèren Jérôme Garcin, Mathias Enard, François Cérésa, Simon Liberati, Vincent Almendros.
D'autres, comme Annie Ernaux et Michel Houellebecq, sont engagés résolument dans « une poétique du désécrire dont la déconstruction est (…) l'ambition (…) de « ruiner l'idée de la littérature », selon la formule de Céline ». C'est un parti pris qui met en avant le fond sur la forme.
Il y a bien pire que cette justification de l'esthétique de l'inesthétique : ce sont les liens adultères que la littérature entretient avec le cinéma dont elle tire souvent une forme de légitimité. Pis, elle s'inspire de ses procédés narratifs.
Encore pire, la littérature dépend des diktats de ses lecteurs qui imposent leurs choix. « On ne lit plus pour être questionné, mais pour se divertir... » écrit l'auteur.
Pour conclure, Philippe Vilain exige que le monde de l'édition reconnaisse sa vocation commerciale et, comme la plupart des acteurs économiques, se conforme aux lois du marché en différenciant le prix des livres selon leur valeur littéraire ! Une décision radicale qui a peu de chances d'aboutir...
Je serai un peu plus optimiste que le polémiste : il restera en effet toujours des écrivains de niche qui raviront notre goût pour le beau style.
Enfin, j'ajouterai qu'on prend fort heureusement un grand plaisir à naviguer d'un thriller captivant à une oeuvre littérairement plus exigeante comme « La Recherche » par exemple.

EXTRAIT
Par style, je n'entends ni le beau langage mais la justesse orfèvre d'un accord avec son sujet, une plénitude d'expression qui subordonne le factice à une vérité essentiellement poétique, ni le « bien écrire » mais l'essence même de l'écrire, sa spiritualité, son immatérialité, ou, si l'on veut, son incarnation en l'espèce du Verbe...
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Selon l'auteur, la littérature française contemporaine romprait avec ses idéaux. Elle devient essentiellement mercantile, n'a plus de prétention stylistique, se complaît dans la standardisation, dans l'uniformité. Elle serait devenue un simple divertissement culturel. Le problème n'est pas qu'elle le soit, le problème selon l'auteur est qu'elle se complaît dans un sentiment d'imposture c'est-à-dire qu'elle prétend toujours répondre à des quêtes existentielles ou esthétiques inhérentes à l'existence humaine alors qu'elle ne serait que divertissement de bas étage. Constat sévère car les deux productions ont toujours existé et sont nécessaires. Chaque lecteur peut passer de l'un à l'autre. La production est aujourd'hui quantitativement tellement importante que la qualité peut être noyée dans la masse, cela est vrai. L'auteur cite tout de même des auteurs qui échappent à son constat sévère. Selon lui, la littérature rompt avec ses racines, refuse l'admiration, l'ancrage dans le passé et les références antérieures mais ce constat peut s'appliquer selon moi à la société en général. Enfin, pour étayer ce dernier point, Proust serait méprisé, rejeté par les auteurs alors qu'il me semble au contraire qu'il est devenu la référence absolue, incontournable chez les intellectuels même si son style, ses longueurs, son analyse psychologique, ne correspondent plus à notre époque d'immédiateté.
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critiques presse (1)
NonFiction
07 septembre 2016
Le romancier Philippe Vilain défend le style, paradis perdu de la littérature contemporaine.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
En faisant de la littérature le terrain d'un immense reportage, en prolongeant la journaliste d'investigation, les écrivains draguent le lecteur. Ils ne décident plus, au gré de leurs obsessions de ce que les lecteurs doivent lire, ce sont les lecteurs qui, à distance, télécommandent leur propre horizon d'attente, leurs désirs; ils décident, selon leurs caprices, de ce que les écrivains doivent écrire et comment ils doivent l'écrire: ce que veulent les lecteurs, en priorité, on le sait, ce n'est pas connaître, mais reconnaître les drames, les personnages de l'actualité, les familiers de leur culture, et, si possible, s'informer en se divertissant, à travers une littérature " facile et agréable à lire", "légère", " sans prise de tête surtout", qui ne les exclut pas du jeu culturel et qui, ainsi, dans leur candeur, leur donnera la conscience de lire " de la vraie littérature" - la paradigme de la littérature-divertissement ayant une fonction unifiante, conciliante entre tous les lectorats. Ce sont les lecteurs qui, incidemment, deviennent les auteurs en dictant, de loin, leurs sujets.
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