Dans "Le paquebot Tenacity", Charles Vildrac nous présente une "tranche de vie". Deux ouvriers typographes, Bastien et Segard, ont décidé de tenter leur chance au Canada, mais le "Tenacity" a une avarie et son départ est retardé de quinze jours ; ils descendent alors dans une auberge et s'embauchent en ville pour de durs travaux. Segard qui s'est blessé à la main reste à l'auberge et fait la cour à Thérèse, la jeune servante.
C'est un timide, un rêveur qui s'est laissé entraîner par Bastien. Il reconnaît son caractère indécis et tente de l'analyser à sa manière, pour que Thérèse devine son "débat" intérieur : il hésite entre l'aventure lointaine et le bonheur tout simple, à portée de sa main. Sa timidité justifie la concision du dialogue, et son tempérament rêveur ajoute cette note de poésie discrète caractéristique du réalisme de Vildrac.
(extrait de "Lagarde et Michard" - XX° siècle - Le Théâtre de 1919 à 1939)
HIDOUX Les autres, c'est encore moi, si tu veux, moi qui suis libre! Libre des hommes, mais néanmoins l'esclave des vents et du fleuve: tantôt vieille girouette et tantôt vieux bouchon. Un vieux bouchon toujours attiré, misère!, vers les goulots de bouteilles...
SEGARD, après un instant de réflexion.
Mais il arrive aussi... Comment le dirai-je.,. Il arrive si tu veux que le fleuve ait deux bras, que la route bifurque.
HIDOUX
Souvent!
SEGARD, vivement.
Alors tu peux choisir!
HIDOUX
Oui. Il arrive que tu puisses choisir, si tu l'oses! Sinon le courant choisit pour toi.
Oui. Il arrive qu'on puisse vite choisir. Il arrive aussi, mon pauvre Ségard, quand il n'y a de passage que pour un seul, qu'on soit bousculé par celui qui a osé plus vite que vous...
(Un long silence,)
Bah! N'empêche que la vie est belle!
SEGARD Et triste.
HIDOUX Et triste et gaie et triste encore.
Les deux buveurs, Charles Vildrac